Mehr Licht ! ou Itinéraire d’un enfant bâté (12)

La série hebdomadaire de Jean-Marc Claus - une vue très personnelle sur notre belle région transrhénane du Rhin Supérieur et - l'Europe. Notre Europe. (12)

L'Asile Stéphansfeld à Brumath en 1841. Foto: Auteur inconnu / Wikimedia Commons / PD

(Par Jean-Marc Claus) – Sur son lit de mort, Victor Hugo affirmait : « Je vois de la lumière noire » alors que dans la même situation, un demi-siècle plus tôt, Johann Wolfgang von Goethe s’exclamait : « Mehr Licht ! Mehr Licht ! ». Je me suis trop longtemps réclamé du premier tout en méprisant le second. Trop longtemps, c’est mon enfance, mon adolescence et une partie de mon âge adulte, période rapportée ici par l’ex-enfant bâté que je suis.

Épisode Douze : Stephansfeld bei Brümath

Comme relaté précédemment dans l’épisode intitulé Welchitude, j’ai appris mon métier et choisit de travailler à l’hôpital psychiatrique de Stéphansfeld, sis à Brumath. Mis à part la confrontation brutale au langage alsacien, ce lieu où j’exerce encore aujourd’hui fut pour moi le théâtre d’étonnantes découvertes, quand je me mis à en explorer l’histoire. Histoire remontant au 11eme siècle et donc au temps du Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation (962-1806). Initialement Commanderie de l’Ordre Hospitalier du Saint Esprit de 1216 à 1774, dont les “succursales” essaimèrent en Europe jusqu’aux frontières de la Russie, par la création de maisons de charité destinées à l’accueil d’enfant abandonnés, l’institution passa aux mains du Royaume de France en 1648 avec l’annexion de l’Alsace par ce verdammter Louis XIV, et partit à la dérive après avoir connu diverses affectations, jusqu’à 1835 où elle devint un asile d’aliénés qui, comme le rapporta Paul Janet en 1857 eut ses heures de gloire de 1840 à 1859 sous la direction de David Richard (1806-1859). Porteur de projets et de pratiques soignantes avant-gardistes, ce dernier y développa également le patrimoine bâti de l’établissement.

Suite à la déculottée que se prit Napoléon III à Sedan le 01 septembre 1870, l’asile d’aliénés de Stéphansfeld passant sous l’autorité du Kaiser Wilhelm I, sa direction y fut assurée par des Prussiens qui, dans l’esprit présidant à la création de la Neustadt strasbourgeoise, en assurèrent le développement, la modernisation  et l’embellissement. En 1888, le Kaiser y fit construire une gare sur la ligne Straßburg-Paris, crée par les Français en 1845. Durant cette période la direction repassa des mains des administratifs à celle des médecins et plusieurs praticiens de renom y laissèrent leur emprunte. Karl Wilhelm Pelman (1838-1916), fondateur avec quelques rheinischen Irrenärzten de la Psychiatrischen Verein der Rheinprovinz (1867) fut le premier d’entre eux. Cet humaniste, rejetant les méthodes coercitives en vigueur à l’époque dans nombre d’institutions psychiatriques, œuvra dans la droite ligne des principes énoncés par David Richard en 1841. Administrant l’établissement de 1871 à 1879 il n’eut de cesse de s’employer à la « Umwandlung der Irrenanstalten » in « Humanitätsanstalten », ligne de conduite qu’il suivit toute sa vie. Karl Hermann Starck prit la suite durant dix-huit années au cours desquelles, il installa notamment l’eau courante dans tous les bâtiments, fit construire une piscine et une salle des fêtes. De 1897 à 1904, son successeur Hans Vorster, y augmenta le nombre de bâtiments et substitua l’éclaira électrique à l’éclairage au gaz, avant d’être assassiné par un patient. Albert Ranshoff assura ensuite la direction de l’établissement jusqu’à ce qu’il repasse aux mains des Français. Il poursuivit l’œuvre de Karl Wilhelm Pelman, qui avait ouvert une annexe à Hördt en 1878, et contribua activement à l’ouverture de l’asile de Ruffach en 1910, ainsi qu’à l’autonomisation de l’annexe de Hördt, devenant asile à part entière en 1912. Tant de progrès qui, me forçant à l’admiration, contribuèrent à me donner une nouvelle vision de l’Allemagne et de la culture germanique.

Vision qui se brouilla avec l’annexion de 1939, où jusqu’en 1944, la nazification du Land Elsaß-Lothringen apporta sont cortège d’humiliations et de souffrances, notamment dans les hôpitaux psychiatriques. Un épisode très sombre, longtemps passé sous silence de l’histoire des institutions psychiatriques brumathoise et hoerdtoise, se joua le 05 Janvier 1944 quand cent patients furent déportés à 250 km au Nord, au Landesheil und Pflegeanstalt Hadamar, pour à terme y être exterminés. Trois seulement en revinrent. 71.000 patients furent victimes de gazage dans les six instituts spécialement créés par les nazis à cet effet. Mais de l’autre côté du Rhin, les Français firent aussi très fort, notamment en laissant au bas mot 45.000 malades mentaux mourir de faim sous les lois d’exception vichystes, lois promulguées par le Vainqueur de Verdun devenu le Vendu à Berlin. L’Histoire retient ces actes immondes sous l’euphémisme « extermination douce ». C’est au courage de médecins humanistes, tels que le réfugié catalan marxiste Franscesc Tosquelles Llauradó (1912-1994), devenu lors de sa naturalisation François Tosquelles, qu’un certain nombre échappa à la famine à Saint-Alban-sur-Limagnole. Dans sa résistance aux lois scélérates vichyssoise, il trouva en le psychiatre communiste lozérois Lucien Bonnafé (1912-2003), un indéfectible allié. A Bonneval, en Eure-et-Loire, ce fut le neuro-psychiatre et philosophe Henri Marie Jean Louis Ey (1900-1977), plus connu sous Henri Ey, qui en cette période de terrible inhumanité, sauva l’honneur de la psychiatrie en organisant, comme ses collègues lozerois, l’approvisionnement clandestin des patients, mais aussi en créant le Colloque de Bonneval qui, durant l’Occupation, releva le niveau du discours psychiatrique en traitant “L’histoire naturelle de la folie” (1942) et “Les rapports de la neurologie et de la psychiatrie” (1943). D’ailleurs, un pavillon de l’hôpital psychiatrique de Brumath, construit par le célèbre architecte Brumathois Charles-Gustave Stoskopf (1907-2004), fut dédié à Henry Ey. Ainsi, l’étude de l’histoire de l’Asile de Stéphansfeld, me conduisit progressivement à conclure que, Français et Allemands étant capables du meilleur comme du pire, je me devais de me défaire définitivement de mes clichés manichéistes absurdes, et de la pensée binaire qui les fabrique.

A suivre…

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