Mehr Licht ! ou Itinéraire d’un enfant bâté (19)
La série hebdomadaire de Jean-Marc Claus - une vue très personnelle sur notre belle région transrhénane du Rhin Supérieur et - l'Europe. Notre Europe. (19)
(Par Jean-Marc Claus) – Sur son lit de mort, Victor Hugo affirmait « Je vois de la lumière noire », alors que dans la même situation, un demi-siècle plus tôt, Johann Wolfgang von Goethe s’exclamait « Mehr Licht ! Mehr Licht ! ». Je me suis trop longtemps réclamé du premier, tout en méprisant le second. Trop longtemps, c’est mon enfance, mon adolescence et une partie de mon âge adulte, période rapportée ici par l’ex-enfant bâté que je suis.
Épisode Dix-Neuf : Schwarzach & Schwarzwald
« Schwarz ist schwarz, hier ist meine Hoffnung. », serais-je tenté de dire, histoire de parodier un défunt, mais néanmoins célèbre optimisant fiscal. Le noir auquel je fais référence ici est, contrairement aux idées reçues et aux codes symboliques, une véritable couleur d’espoir. Sur l’excellente « Kompasskarte Nummer Eins » du pack « Schwarzwald Gesamt » se trouve, dans la Gemeinde Rheinmünster, une petite localité nommée Schwarzach. Plus à l’Est, après Bühl, noch in Baden-Württemberg, démarre das Schwarzwaldmassiv avec, plus haut, son Nationalpark. Ces deux repères géographiques constituent des points fixes, pour ne pas dire des phares, balisant mon itinéraire. Ce sont deux lieux de ressourcement que je fréquente régulièrement, car porteurs de symboles et chargés d’énergies. L’un minuscule, en regard des 6.000 km² de l’autre ; l’un situé en altitude, par opposition à l’autre, tout proche du Rhin.
La Forêt Noire, pendant du Massif Vosgien, lui est en superficie supérieure ou égale, selon les modes de calcul employés. Pour les Français dits « de l’Intérieur », elle est quasiment aussi grande que les départements des Vosges, de la Savoie, de l’Eure ou du Var soit, pour les Citoyens du Monde, une dizaine de fois Mumbai, mais en infiniment moins peuplé. Que cela soit pour y randonner et/ou y séjourner, quelle que soit la saison, j’y éprouve toujours le même heimisches Gefühl. d’abord trouvé étrange et étonnant car, même guéri de ma germanophobie, j’ai longtemps encore pris acte des traversées de frontières. Un sentiment d’être chez soi que, chemin faisant, j’ai fini par décoder : dix-neuf années passées du côté Est du Massif Vosgien, dans un village aux rues pentues, vivant près d’une forêt qui commençait juste au bout du jardin, ça marque, même et surtout quand on s’est par la suite exilé dans la « Plaine ». La forêt et la montagne sont mes lieux, mes racines, réelles et symboliques. Je ne peux vivre sans relief et sans arbres. C’est aussi pour cela que chaque matin, depuis la fenêtre de ma salle-de-bain, je scrute au loin das Schwarzwälder Relief ! La Forêt de Haguenau, c’est aussi beau, mais alors, quelle désespérante planéité, pour ne pas dire platitude ! Les montagnes couvertes d’arbres recèlent, à mon sens, des mystères et possèdent des attraits que n’ont ni les plaines, fussent-elles très fertiles, ni les montagnes dépourvues de forêts, fussent-elles très hautes. Dans le Schwarzwald, je retrouve régulièrement les Vosges que j’ai quittées à l’âge de 19 ans, mais avec ceci de plus : je m’y sens Européen.
Cette identité européenne, je la retrouve et la cultive notamment à Schwarzach, juste de l’autre côté du Rhin, dans la Gemeinde Rheinmünster. Cette petite localité conserve les vestiges d’une abbaye bénédictine qui, de 817 à 1803, connut malgré plusieurs incendies ses heures de gloire. Il en reste aujourd’hui l’abbatiale et quelques dépendances, dont un porche monumental. Abbatiale plusieurs fois reconstruite et rénovée, combinant les styles roman, gothique, renaissance et baroque. Une combinaison d’architectures m’obligeant à supporter le clinquant du baroque, alors que j’apprécie infiniment plus l’austérité du roman. Ce lieu, que je fréquente plusieurs fois par an, me parle de l’histoire des ordres monastiques qui ont fait l’Europe, bien longtemps avant la création de l’Union Européenne.
Au delà des croyances, que chacun reste libre de partager ou non, il n’en demeure pas moins réel que des femmes et des hommes ont tissé un vaste réseau à travers l’Europe, alors que sur ce continent, royaumes et principautés se faisaient la guerre. Au delà des croyances,que chacun reste libre de partager ou non, il a été montré que jusqu’au temps des révolutions, les monastères jouaient un rôle important dans la vie sociale et l’économie des régions où ils étaient implantés. A Schwarzach, sur le site de l’ancienne abbaye, ont été construits au 20ème siècle, une école qualifiée à sa création en 1956 d’avant-gardiste, puis une maison de retraite ayant à son rez-de-chaussée le Café Klostergarten, un lieu où, depuis sa création se vivent les mixités sociale et générationnelles. C’est dans ce lieu, où se conjuguent histoire et géographie, que j’éprouve également cette heimisches Gefühl, sentiment qui me parle autant de mon appartenance à un ensemble transrhénan, lequel est inclus dans un continent appelé Europe.
Fortsetzung folgt…
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