Mehr Licht ! ou Itinéraire d’un enfant bâté. (5)

La série hebdomadaire de Jean-Marc Claus - une vue très personnelle sur notre belle région transrhénane du Rhin Supérieur et - l'Europe. Notre Europe. (5)

Ah, l'apprentissage de la langue de Goethe... toute une histoire... Foto: Manfredspies / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Jean-Marc Claus) – Sur son lit de mort, Victor Hugo affirmait « Je vois de la lumière noire. » alors que dans la même situation, un demi-siècle plus tôt, Johann Wolfgang von Goethe s’exclamait « Mehr Licht ! Mehr Licht ! ». Je me suis trop longtemps réclamé du premier tout en méprisant le second. Trop longtemps, c’est mon enfance, mon adolescence et une partie de mon âge adulte, période rapportée ici par l’ex-enfant bâté que je suis.

Épisode Cinq : Rolf und Gisela

1975-1980 : le collège. Oui, j’ai tellement aimé ça que j’en ai repris une tranche. Soit, mais est-ce vraiment le plus important ? Il faut surtout savoir que les élèves demeurant, comme moi, dans le bas de la Haute Vallée de la Bruche allaient au Collège de Schirmeck, et que ceux venant du haut de la Haute Vallée étaient affectés au Collège de La Broque. A ceci près que, mon tour venu, comme il fallait bien équilibrer les effectifs entre les deux établissements je me suis retrouvé à… La Broque, parmi les élèves venant du haut de la Haute Vallée alors que je demeurais dans le bas de la dite Haute Vallée, et ça c’était vraiment important. Contrairement aux élèves chanceux du Collège de Schirmeck situé face à la gare, nous devions, après les cours, nous autres du bas de la Haute Vallée, nous rendre à pied à Rothau ou à Schirmeck pour prendre le train. Ce n’était pas le pire, car je garde de cette époque un goût prononcé pour les déplacements pédestres, d’où peut être mon indéfectible admiration pour Théodore Monod.

Le pire, c’était qu’au Collège de La Broque, nous côtoyions les jeunes de Natzviller, les Nâzvîlle comme on les disait, vous savez ceux que par un immonde raccourci nous assimilions aux Nazis en raison du Konzentrationslager Natzweiler-Struthof situé au dessus de chez eux alors qu’ils n’étaient en rien responsables du drame qui s’y déroula de Mai 1941 à Septembre 1944. En plus d’être là, ils avaient ceci d’insupportable que, parlant alsacien, ils devenaient rapidement tous des cracks en allemand ! Cette langue de l’envahisseur à laquelle j’avais réussi à échapper durant trois ans m’a fait connaître « ein wahrer Kreuzweg » tout au long des deux années suivantes. Point ne me fut donné comme à Bismarck la liberté de proclamer « Nach Canossa gehen wir nicht ! », je dus à l’instar d’Henri IV, celui du Saint Empire Romain Germanique, m’humilier devant mon ennemi et bouffer du « Wir lernen Deutsch – Classe de Quatrième » puis, comme si cela n’était pas suffisant, l’année suivante du « Wir lernen Deutsch – Classe de Troisième ».

« Wir lernen Deutsch »… und was noch ? – Eh bien si, il l’a fallu et je l’ai fait bien malgré-moi ! C’est alors que je me suis découvert une certaine proximité avec les « Malgré-nous » dont le sort, évidemment plus tragique que le mien, prenait dans ma tête une toute autre dimension ! J’ai eu cependant deux professeurs remarquables. Totalement antagonistes, et néanmoins remarquables. Monsieur Claude, dont le prénom était François, me fit découvrir le quotidien de Rolf und Gisela dans le magnifique ouvrage « Wir lernen Deutsch – Classe de Quatrième ». Il y avait aussi Vati qui fumait la pipe en lisant le journal tandis que Mutti faisait la vaisselle. Le schéma classique d’une famille heureuse des seventies, pardon des Siebziger. Forcément, il devait y avoir aussi un chien ; en revanche, je ne parierais pas qu’il s’appelait Waldi. Monsieur Claude était un homme exquis. Également professeur de lettres, il m’a entraîné parallèlement dans les œuvres de Jules Vallès et de Saint-Exupéry, ce qui m’a pas mal aidé à faire passer la pilule du « Wir lernen Deutsch – Classe de Quatrième ». Il a cédé la place, en classe de troisième, à Herr Schnabel, un véritable aryen : cheveux blonds, yeux bleus, grand et fort comme le Hermann dominant du Teutoburger Wald en Nordrhein-Westfalen. Avec lui, nous marchions symboliquement au « Stechschritt », nous chantions réellement des « Seemannslieder » que certains appellent aussi Shanty, et surtout, nous étions très gentils car « es gab keine Alternative ». Bien des années plus tard, au XXIème siècle, me trouvant incidemment à un concert donné à Haguenau par le « Shanty-Chor Marinenkameradschaft von Ettlingen-Albtal », j’ai été profondément ému quand soudain, les paroles des refrains de « Capitano », « Alte Kameraden », « Wir lagen vor Madagaskar » et « La Paloma » jaillirent de ma mémoire au son des mélodies de chants de marins. Cet apprentissage forcé d’une langue que je détestais me rend aujourd’hui encore bien des services au point que je regrette de ne pas m’être plus appliqué à une époque où je n’avais que ça à faire.

« Capitano, Capitano nimm mich mit auf große Fahrt nimm mich mit auf deiner Reise um die Welt. »…

Fortsetzung folgt…

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