Mehr Licht ! ou Itinéraire d’un enfant bâté. (6)

La série hebdomadaire de Jean-Marc Claus - une vue très personnelle sur notre belle région transrhénane du Rhin Supérieur et - l'Europe. Notre Europe. (6)

La "Maison de l'Ami Fritz" à Wissembourg. Foto: JoachimKohlerBremen / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Jean-Marc Claus) – Sur son lit de mort, Victor Hugo affirmait : « Je vois de la lumière noire.» alors que dans la même situation, un demi-siècle plus tôt, Johann Wolfgang von Goethe s’exclamait : « Mehr Licht ! Mehr Licht ! ». Je me suis trop longtemps réclamé du premier tout en méprisant le second. Trop longtemps, c’est mon enfance, mon adolescence et une partie de mon âge adulte, période rapportée ici par l’ex-enfant bâté que je suis.

Épisode Six : Fritz Kobus von… Mörle ?

Mon premier contact avec l’alsacien est bien antérieur à mes années collège où, comme rapporté dans l’épisode précédent,    j’avais été confronté à l’étrangeté linguistique des habitants de Natzwiller. Cet oncle, né en 1924, donc « Malgré-nous », parti s’installer en Suisse alémanique avec sa famille dans les années soixante (cf Épisode Quatre), était originaire de Marlenheim ou plus précisément Mörle. Ainsi, dès l’enfance, empruntant train et bus, je me suis rendu souvent avec ma grand-mère paternelle quadrilingue à Mörle pour visiter la mère de mon oncle. C’était une vieille dame aux longs cheveux blancs qui me faisait penser à la sorcière de « Hans et Gretel », mais une gentille sorcière, car elle n’habitait pas dans une maison de pain d’épices et offrait à ma gourmandise des « Wolfzähn » dont j’ai retrouvé et mis en œuvre la recette un demi-siècle plus tard. Plus que la dégustation de ces surprenants et délicieux sablés, expérience pour laquelle la communication non-verbale suffisait à se comprendre, c’était la communication verbale qui nous manquait. Eugénie parlait l’alsacien et lisait l’allemand dans de vieux livres imprimés en… gothique !

Cette expérience de l’incommunicabilité qui aurait dû me mettre la puce à l’oreille quant à mon indigence intellectuelle renforçait plus encore ma conviction stupide d’être à part et, pire encore, de faire partie d’une élite. Alors même que je m’attelais à baragouiner quelques mots de « schwizerdütsch », je ne cherchais pas un seul instant à comprendre et prononcer un seul mot en alsacien. Mieux encore, quand un certain 15 Août des années soixante-dix, j’ai observé à Mörle le cortège du Mariage de l’Ami Fritz -tradition instituée en 1973- je me suis perçu comme un explorateur confronté à une tribu primitive aux étranges coutumes. Il faut dire que de l’Ami Fritz, je connaissais bien les célèbres pantoufles fabriquées à Wasselonne par les établissement Amos de 1795 à 1987 et concurrentes des très franchouillardes charentaises. Donc, dans mon esprit d’enfant bâté, Wasselonne d’un côté et Mörle de l’autre faisaient que Fritz Kobus était un Alsacien pur sucre. Mieux encore, « Kirsche auf der Schwarzwaldtorte », quand s’ajoutait à cela le « Munster Les Petits Amis » la confusion prenait une ampleur cataclysmique !

C’est bien des années plus tard, en me plongeant dans l’œuvre d’Erckmann-Chatrian, deux Lorrains publiant comme un seul homme, que des détails du roman intitulé « L’Ami Fritz », publié un siècle avant ma naissance, mirent mon esprit enfin déniaisé en alerte. L’histoire ne se déroulait pas plus à Wasselonne qu’à Mörle. Au final, Fritz Kobus était autant alsacien que moi, c’est-à-dire victime collatérale de multiples déplacements de frontières au gré des remous et humeurs de l’Histoire ! Cette découverte me cloua au sol à l’instar d’un bombardier britannique frappé mortellement par la « Luftwaffe ». Le choc fut immense et sa déflagration phénoménale. Il n’y avait ainsi plus moyen de faire entrer les gens et leurs histoires dans des cases aux contours très clairement délimités. Non mais sérieusement, des Lorrains qui écrivent sur l’Alsace, laquelle ne tient pas dans les seules frontière de la France, vous y comprenez encore quelque chose vous ? Plus sérieusement, j’ignore si Émile Erckmann (1822-1899) et Alexandre Chatrian (1826-1890) nés de l’autre côté du Donon, avaient au 19ème siècle une quelconque idée de l’Europe et un avis tranché sur l’antagonisme « germanitude versus franconnerie », mais la lecture et la mise en perspective de leurs œuvres romanesques apporta bien plus qu’un simple divertissement à mon esprit trop longtemps enfumé par des préjugés de la pire espèce…

A suivre…

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