Mehr Licht ! ou Itinéraire d’un enfant bâté (9)

La série hebdomadaire de Jean-Marc Claus - une vue très personnelle sur notre belle région transrhénane du Rhin Supérieur et - l'Europe. Notre Europe. (9)

L'Alsace, un si beau pays... Foto: Silésie19 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Jean-Marc Claus) – Sur son lit de mort, Victor Hugo affirmait : « Je vois de la lumière noire » alors que dans la même situation, un demi-siècle plus tôt, Johann Wolfgang von Goethe s’exclamait : « Mehr Licht ! Mehr Licht ! ». Je me suis trop longtemps réclamé du premier tout en méprisant le second. Trop longtemps, c’est mon enfance, mon adolescence et une partie de mon âge adulte, période rapportée ici par l’ex-enfant bâté que je suis.

Épisode Neuf : Welchitude

C’est durant mes années de lycée que j’ai pris pleinement conscience du caractère minoritaire du groupe linguistique auquel j’appartenais. A l’instar des Arvernes, des Helvètes, des Goths, des Normands et autres peuples antiques évoqués dans les albums sortis de l’imagination de Goscinny & Uderzo, que je lisais et relisais avec passion, j’étais un Welche ! Un Welche qui vivait dans un petit village welchois, tout près de la frontière linguistique, et qui devait, cinq jours sur sept, se rendre dans une ville où l’on parlait alsacien, un idiome gothique qui me hérissait alors le poil à l’envi !

Ça commençait à Urmatt, dans le train des ouvriers que je préférais à celui des lycéens, une brave « môdôm » au verbe haut, jouant à l’ouvreuse de cinéma pas discrète pour deux « Gulden », claironnait matutinalement à l’adresse de ses comparses : « Dô esch noch e plötz ! ». Cette scène, se répétant invariablement, comme « Le jour sans fin », avait pour moi quelque chose de pathétique, mais aussi de souverainement agaçant. D’une, il y avait dans ce train, contrairement à celui des lycéens, toujours des places assises. Et de deux, il n’était pas nécessaire de le brailler en « alsaco » dans tout le wagon ! Je pouvais changer de wagon, ce que je faisais assez souvent, mais cette « brôv môdôm », choisissant elle-même le sien de manière aléatoire, la malchance, avec une redoutable régularité, s’abattait sur moi comme la vérole sur le bas-clergé. Ensuite, il y avait Heiligenberg-Mollkirch, Gresswiller, Mutzig, ainsi arrivé à Molsheim, une grande partie des passagers « hachepaillant » à qui mieux mieux, je vivais ma descente du train comme une libération. Libération de très courte durée, car au lycée autant que dans la ville, je me retrouvais inévitablement confronté à ce maudit parler germanique !

Idem pour mon premier job d’été, aux Hospices Civils de Strasbourg, où je quittais parfois la chambre noire pour donner un coup de main aux manipulateurs dans les salles de radiologie. Les entendre m’appeler « Chanmark », ne rendait pas pour autant mon oreille plus fine et mon esprit plus pointu. Je me faisais régulièrement avoir par leur foutu accent, comme le jour où l’un deux, occupé à installer une patiente, me dit « Cherche moi le blond ! ». Interloqué, j’explorai dans mon esprit embrumé, le trombinoscope de tous nos collègues en poste cette heure : aucun n’était blond ! Agacé par ma lenteur, il quitta la table de radio et, saisissant un sac de plomb, il le brandit en s’écriant : « Bisch du so bleed, oder tu comprends pas le français, verdammter Welsch ? ». Comment aurais-je pu lui en vouloir ? D’autant plus que, l’éclat de rire qui s’en suivit, lorsque je répondis ingénument « Ah oui, le plomb ! », provoqua l’hilarité de l’ensemble des personnes présentes dans la salle, à commencer par la patiente elle-même qui, allongée sur la table de radio, s’est peut être demandé si nous mettions au point un numéro de music-hall !

Cette sensation de solitude s’aggrava en 1983, car après avoir tenté et réussi plusieurs concours dans les départements du Bas- et du Haut-Rhin, des Vosges, de la Meurthe-et-Moselle et de la Moselle, je me rabattis sur Brumath, pour y suivre ma formation d’Infirmier de Secteur Psychiatrique. Au Centre Hospitalier Spécialisé de Brumath, anciennement Stefansfeld and nowadays Epsan, à une vingtaine de kilomètres au Nord de Strasbourg, seuls les médecins et les directeurs parlaient français ! J’étais devenu étranger dans mon propre pays ! Les patients parlaient le dialecte, les soignants leur répondaient en dialecte, les personnels administratifs et techniques parlaient en dialecte, même les transmissions se faisaient en dialecte ! Heureusement que quelques collègues compatissants, mais aussi quelques patients pétris d’humanité, m’assurèrent très souvent la traduction simultanée. C’est notamment en ces circonstances ubuesques, que mes rudiments de « schwiizerdutsch » et mes deux années de cohabitation forcée avec « Rolf und Gisela », me furent d’un grand secours. Cependant, à Brumath autant que lors de mes stages à Strasbourg ou Haguenau, il se trouvait toujours quelqu’un pour s’exclamer : « Tu t’appelles Claus et tu parles pas l’alsacien ? »… Non mais allo, quoi !

Fortsetzung folgt…

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