Mélinée, de résilience en Résistance

Entrant au Panthéon aujourd’hui avec son mari Missak, la résistante Mélinée Manouchian eut un parcours de vie pour lequel il lui fut nécessaire de faire preuve de beaucoup de résilience.

Une combattante qui toute sa vie, fut une battante. Foto: Archives nationales / DJI / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(Jean-Marc Claus) – Ce soir à 18h00, entreront au Panthéon Mélinée et Missak Manouchian. Une cérémonie présidée par Emmanuel Macron, qui se déroulera en présence de Fabien Roussel accompagné d’autres élus communistes, ces derniers ayant le matin à 10h00, Place du Colonel Fabien, participé à un hommage rendu aux deux résistants. A 16h00 est organisé, par le PCF et la CGT, un rassemblement Rue de Plaisance, en vue d’honorer la mémoire des 23 FTP-MOI du Groupe Manouchian condamnés à mort en 1944, dont les 10 de la célèbre Affiche Rouge, « chef d’œuvre » de propagande nazie.

Groupes de résistance communiste, les FTP-MOI (Franc-Tireurs et Partisans – Main d’œuvre Immigrée) créés en 1942, étaient dédiés à la guérilla urbaine contre l’occupant et agissaient en Région Parisienne. Mélinée, épouse de Missak Manouchian, ne figure ni sur l’Affiche Rouge ni au nombre des 23 condamnés à mort dont une seule femme ; Olga Bancic qui fut décapitée à la prison de Stuttgart le 10 Mai 1944, alors que ses 22 camarades avaient été fusillés le 21 Février 1944 au Mont Valérien. Mais Mélinée Soukémian, née à Constantinople le 12 Novembre 1913, épouse Manouchian depuis le 22 Février 1936, était elle aussi une résistante.

Son entrée en résistance, mais aussi en résilience, commença bien avant la déclaration de guerre. Arménienne de sa naissance en 1913 à 1926, puis apatride titulaire d’un Passeport Nansen jusqu’en 1946, année où elle devint française, mais en 1947, répondant à une offre faite par l’URSS aux ex-ressortissants de ses républiques, elle se rendit à Erevan, car il lui avait été proposé un emploi d’enseignante de français. Très vite désenchantée, n’ayant rien de commun avec le stalinisme, malade d’un cancer, c’est au bénéfice de la déstalinisation opérée par Kroutchev, qu’elle rentra Région Parisienne en 1963, où elle décéda en 1989.

Considérée comme la principale biographe de son mari, passant à la résistance armée par la force des choses, car ce n’était pas forcément dans sa nature, elle était très jeune, lorsqu’elle perdit ses parents, victimes du génocide des Arméniens perpétré par l’Empire Ottoman. Mise à l’abri par une mission protestante, avec sa sœur aînée en territoire grec, elle débarqua à Marseille en 1926, où suite à une erreur d’enregistrement à Athènes, elle prit le nom d’Assadourian. Envoyée à Paris en 1929, elle y réussit ses études et tissa des liens avec la famille Aznarouvian, dont un membre devint un chanteur mondialement célèbre.

Elle rencontra Missak Manouchian en 1934, à la fête annuelle dela Section Française du Comité de Secours pour l’Arménie, dite HOG soit Hay(astani) Oknoutian Gomidé,crée en 1925 et issue de la République Socialiste Soviétique d’Arménie fondée elle-même en 1920. Tous deux membres du HOG et du PCF, leur engagement fut résolument antifasciste. Mobilisés lors du Front Populaire, ils soutinrent ainsi les Républicains Espagnols en lutte contre le franquisme.

Considérés comme des ennemis de la France, suite à l’insensé Pacte Germano-Soviétique (23 Août 1939), le couple fit profil bas et Mélinée dut en urgence détruire les archives de l’Union Populaire Franco-Arménienne (UPFA),qu’ils avaient fondé en 1937, les purges staliniennes (1936-1938) ayant conduit à la dissolution de la HOG. Séparée de son mari durant dix-sept mois, elle le retrouva très brièvement, avant que la rupture du Pacte Germano-Soviétique change la donne (22 Juin 1941). Échappant de justesse à une rafle, elle vit son mari incarcéré puis heureusement libéré, jusqu’à ce qu’il soit à nouveau incarcéré et condamné à mort.

A la Libération, elle devint secrétaire de la Jeunesse Arménienne Française (JAF), puis il y eut de 1947 à 1963 ce séjour soviéto-arménien aux multiples désillusions, ensuite rentrée en France, elle fut surtout très sollicitée après une vingtaine d’années de presque oubli, notamment pour la réalisation d’un film qui déboucha sur une polémique où son témoignage fut mis en cause. Mais François Mitterrand la nomma Chevalier de la Légion d’Honneur en 1986, et en 1989, année de son décès, elle inaugura au bras de Georges Marchais le Monument FTP-MOI érigé au Cimetière du Père Lachaise.

Durant toute son existence Mélinée Soukémian – Assadourian – Manouchian dut faire preuve autant de résilience que de résistance. Or, c’est très probablement l’association de ces deux qualités, qui avec tout de même un peu de chance, lui permirent de vivre soixante-seize années, malgré de multiples pertes et quelques cruelles déconvenues. Ce soir fera son entrée au Panthéon, une femme à qui André Malraux aurait pu dire, des trémolos dans la voix : «  Entre ici Mélinée Manouchian, avec ton terrible cortège. Avec ces multiples souffrances, que tu as su dépasser, et dont ton courageux témoignage, ne cessera de nous parler. ».

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