Monsieur Aznavour de Mehdi Idir et Grand Corps Malade, un biopic classique

Le biopic est un genre florissant au cinéma et à la télévision, qu’il soit scrupuleusement fidèle à l’histoire de la personnalité célébrée ou qu’il prenne quelques libertés par rapport à sa vraie vie.

"Monsieur Aznavour", un film qui raconte la vie du grand chanteur de souche arménienne. Foto: Mariusz Kubik / Wikimedia Commons / CC(BY 3.0

(Esther Heboyan) – Lorsqu’il s’agit d’Elvis de l’Australien Baz Luhrmann, présenté hors compétition au Festival de Cannes en 2022, on va crier au scandale, on va dénigrer un film esthétiquement audacieux, parfois à la limite de l’intelligibilité, laissant les spectateurs sur leur faim ou leur quête de sens. Avec Monsieur Aznavour de Mehdi Idir et Grand Corps Malade, on est dans le cas contraire – narration linéaire en plusieurs chapitres conduisant de l’enfance à l’âge mûr, avec ce trait dominant chez Charles né Aznavourian dans une famille arménienne réfugiée politique, dont le patronyme sera francisé en Aznavour : l’obsession de monter sur scène et de se voir en haut de l’affiche. Parcours classique que le long-métrage restitue de manière classique. Les épisodes se succèdent sans que les spectateurs ne se sentent perdus, floués. C’est un film hollywoodien au sens premier, c’est-à-dire destiné aux masses. On comprend tout ce qu’on voit et (presque) tout ce qu’on entend. Pourquoi pas ? Art populaire, le cinéma n’a pas systématiquement besoin de faire et refaire du Robert Altman ou du Michelangelo Antonioni. Ce Monsieur Aznavour de Mehdi Idir et Grand Corps Malade, qui ont déjà coréalisé Patients (2017) et La Vie scolaire (2019), rappelle plus la mise en scène soignée d’un Frank Capra, mais en moins naïf.

Quant à la performance de Tahar Rahim, qui a déjà joué le rôle d’un Arménien dans The Cut (2014) du réalisateur germano-turc Fatih Akin, on peut dire que l’acteur habite son personnage. La critique lui reproche d’en faire de trop, de porter des prothèses pour faire plus vrai, de rendre Aznavour antipathique, etc. À croire que la critique n’a pas voulu voir le travail scrupuleux de l’acteur. Son jeu relève d’une imitation qui ne peut être que forcée, soulignée à coup de détails physionomiques, gestuels, langagiers, vocaux. Chez Baz Luhrmann, Austin Butler fait un travail fabuleux, devient Elvis Presley. Chez Mehdi Idir et Grand Corps Malade, Tahar Rahim devient Charles Aznavour avec ses mimiques, costumes, rêves et aspirations, choix et décisions, frasques, drames, son éternelle insatisfaction et sa solitude d’artiste. A-t-on reproché à Marion Cotillard dans La Môme d’Olivier Dahan d’en faire de trop pour ressembler à Edith Piaf ? Le biopic d’une figure publique, qui plus est artiste, a ses feintes et contraintes. À quoi bon attendre l’impossible, l’irréalisable ? Après s’être absorbé dans le personnage de Charles Aznavour, Tahar Rahim ne sera jamais tout à fait Charles Aznavour. Et tant mieux.

Toutefois, on peut tenir rigueur au film d’accumuler les séquences. Le film pèche par excès d’épisodes, ce qui nuit au rythme dramatique. Il n’est certes pas facile de couvrir une longue carrière. Certes, on a voulu représenter les moments cruciaux d’une vie. Mais la multiplication d’effets ou de théâtralité ne garantit pas la réceptivité des spectateurs. La démonstration se faisant redondante, le long-métrage ressemble à une mini-série télévisée.

L’autre point qui pourrait agacer les spectateurs est l’utilisation du numérique pour certains décors. Certes, le numérique est entré dans les usages, fait partie des procédés et artifices du cinéma. Et le cinéma, après tout, n’est qu’artifice. Mais lorsque Paris devient un faux arrière-plan et que cette fausseté est bien trop visible, il y a quelque chose de dérangeant. Le jeu des acteurs perd de sa substance, s’en trouve délité.

Monsieur Aznavour vient commémorer le centenaire de la naissance du chanteur. Ses fans seront ravis, émus, car on entend ses plus belles chansons, interprétées par Tahar Rahim, la voix d’Aznavour n’émergeant que sur le générique de fin. Les Arméniens de France et d’ailleurs seront eux aussi ravis et émus car on entend parler arménien, surtout au début du film, et l’on voit évoluer une famille solidaire à travers les époques. À tous ceux et à toutes celles qui n’ont jamais entendu parler de Charles Aznavour, le film a le mérite de montrer comment autrefois (un autrefois sans web, sans sites d’autopromotion) on pouvait se forger une place dans le show-biz – entêtement, persévérance, échecs, rebonds, rencontres, chance et talent.

Le film de Mehdi Idir et Grand Corps Malade devient intéressant lorsqu’il met l’accent sur le processus de création, sur la capacité d’Aznavour à inventer des chansons aux paroles émouvantes sur des thèmes universels. Tout le monde a eu, aura eu vingt ans, un jour.

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