Monsieur Sim vous changera les idées…

Après «Le Nom des Gens» et «Télé Gaucho», deux comédies politiques et sociales grinçantes et jubilatoires, c’est avec ce «Monsieur Sim», aussi drôle qu’émouvant, que nous retrouvons Michel Leclerc.

Monsieur Sim vous emmène dans son univers tout à fait particulier... Foto: Mars Distribution

(Par Nicolas Colle) – Pour bien commencer l’année, Eurojournalist(e) a eu le plaisir de rencontrer le scénariste-réalisateur Michel Leclerc pour un entretien aussi piquant qu’agréable.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter le livre original de Jonathan Coe quand vous l’avez découvert ?

Michel Leclerc : Ce qui me plaisait c’est que le récit débutait comme une comédie sociale avant de muter vers quelque chose de plus intérieur et de philosophique. Le personnage de Sim est en pleine dépression mais il a la dépression joyeuse alors que la plupart des dépressifs se renferment et se coupent des autres mais lui, il veut partager ses malheurs avec les autres. Il a la dépression altruiste et c’est une vraie source de comédie. Ce qui me plait, c’est qu’il se croit moins intéressant qu’il ne l’est. Nous, spectateurs, on écoute ce qu’il dit mais lui est persuadé que ce qu’il dit na pas d’intérêt parce qu’il pense que lui même n’a pas d’intérêt alors qu’il en a plus qu’il ne le croit.

C’est un film léger mais qui traite d’un sujet assez grave… Une recherche de soi-même, cet inconnu. Selon vous, comment prendre avec humour un mal-être inexplicable de prime abord ?

ML : Je pense que l’humour vient de cette incarnation de la «politesse du désespoir». On a là, un personnage désespéré mais très poli. Il n’a jamais de chance, il rate toutes les occasions qui s’offrent à lui. Par exemple, dès qu’il a une possibilité avec une femme, il la rate presque délibérément. C’est un personnage qui est à coté de lui même, qui n’a jamais une idée juste de ce qu’il est vraiment et du coup, il se met en situation de ratage car il ne pense pas une seconde qu’il puisse être aimé. Mais ce qui est beau, c’est que tout ce qu’il traverse au cours du film ne va pas le faire sombrer mais au contraire le révéler à lui même et le remettre de plain-pied dans la vie.

En quoi son parcours résonne-t-il avec celui de ce marin qui s’est perdu sur l’océan et dont lui parle le personnage interprété par Mathieu Amalric ?

ML : Il voit son double dans ce marin. C’est quelqu’un qui est à son image, à savoir normal et ordinaire et qui s’est perdu sur l’océan comme Sim se perd sur les routes. Il y a ce parallèle entre l’époque où l’on pouvait se perdre sur l’océan et être vraiment seul car sans moyen de communication, ce qui a amené ce marin à sombrer dans la folie. Et même si aujourd’hui on n’est plus jamais vraiment seul dans la mesure où il y a les GPS, les portables et les réseaux sociaux, tous ces outils n’empêchent pas la solitude, au contraire ils l’accentuent. Ils sont tout aussi seuls l’un que l’autre. Sim est seul au point qu’il en arrive à parler à son GPS, ce qui peut potentiellement nous arriver à tous sauf que lui, il y croit.

Ce n’est certes pas un film politique. Mais étrangement, j’ai le sentiment qu’il s’agit de votre film le plus sociologique, très intimement. Vous pourriez m’expliquer pourquoi selon vous ?

ML : Ça parle de la société dans laquelle on vit, où on est toujours suivi par des marques, où on se sent toujours épié, sans aucune possibilité de s’évader. Il y a quelques temps, j’ai écrit un film qui n’a pas pu se monter financièrement, sur un homme allergique aux ondes des téléphones portables et qui cherche à les fuir alors qu’il y a très peu d’endroits où il n’y en a pas. Il y a là, une sorte de métaphore de ce monde où on ne peut pas vraiment disparaître et pour moi, c’est quelque chose de très angoissant. Et puis c’est aussi un film qui parle d’une classe sociale avec des gens qui galèrent dans leur métier. C’est la petite classe moyenne qui se sent déclassée. Sim se sent un peu humilié de vendre des brosses à dents. Mais je pense que c’est un film qui a également une dimension presque métaphysique dans le fait que le personnage se perde, au sens propre comme au figuré, et que c’est en se perdant qu’il se trouve.

Vous avez aussi un regard assez désopilant sur les cadres de l’entreprise. Quelle image vous vouliez leur donner ?

ML : Je ne voulais pas que les cadres de l’entreprise soient antipathiques, mais ce qui est drôle, c’est leur discours qui est le discours propre à beaucoup d’entreprises et où il y a une sorte d’enthousiasme un peu extrême pour des choses qui peuvent paraître dérisoires. En l’occurrence ici, il s’agit de brosses à dents. C’est aussi ça qui fait la comédie sans il n’y ait rien de méchant de ma part. Après tout, nous on s’enthousiasme pour des films alors que pour d’autres personnes ça peut être tout aussi dérisoire.

Sans remettre en cause votre mise en scène très soignée, j’ai le sentiment que vos films sont surtout des films de scénario ?

ML : C’est vrai que j’adore l’écriture et le dialogue mais, par la suite, il y a une sorte de lutte incessante entre le scénariste que je suis et le réalisateur que je suis aussi. Car même si j’aime que mes films soient bien écrits et construits, je tiens également à ce qu’il y ait de la vie qui entre dans le scénario au moment du tournage. Par exemple, quand Jean-Pierre chante dans sa voiture, c’est quelque chose de complètement improvisé. Tout le jeu pour moi se trouve entre ces deux passions contradictoires, car si on se contente seulement de mettre un scénario en image, il y a un manque, il faut de la vie dedans…

Avez-vous des projets à venir ?

ML : Je vais bientôt commencer à écrire un scénario original sur l’école en banlieue et notamment des «bobos» qui y scolarisent leurs enfants. C’est un phénomène qui est dû au fait que, par exemple dans la périphérie de l’est parisien, il y a des gens qui n’ont pas les moyens de se payer un appartement à Paris et qui vont vivre dans la banlieue proche de Paris. Ils ne sont pas riches mais ils ont un niveau socio-culturel élevé, ils ont fait des études et travaillent ou essaient de travailler dans les milieux culturels mais ils vivent au milieu des cités et donc ils mettent leurs enfants à l’école là où ils vivent, dans la banlieue. Ce sera aussi un film sur la conscience politique et comment rester de gauche car il y a une gros questionnement sur ce que signifie être de gauche aujourd’hui en France.

Voilà un film plein de finesse, de charme, de légèreté et de gravité à la fois, porté par un Jean-Pierre Bacri de bon aloi et un scénario intelligent dans le traitement d’une énigme personnelle, plus courante qu’on le croit. Pour visionner la bande annonce de ce film, CLIQUEZ ICI !

affiche OK

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste