Monténégro : un nouveau membre de l’Union européenne en 2025 ?

Le 15 avril dernier ont eu lieu les élections présidentielles au Monténégro, ce pays de 650 000 habitants si bien placé sur l'Adriatique. Devinez qui les a remportées ? Oui, Milo Đukanović ! Ce n’était jamais que la troisième fois…

Les Bouches de Kotor s'ouvrent sur bien des mystères... Foto: Litany / Wikimédia Commons / 4.0int

(MC) – Milo Ðukanović, cet ardent partisan de l’entrée de son pays dans l’Union Européenne, artisan affiché naguère de l’opposition à l’ultra-nationalisme serbe et de l’indépendance, est une sorte d’ ange-zébulon qui ressurgit de sa boîte dès qu’on a besoin de lui . Ce qui signifie en clair : quand il en a envie. Et quand il disparaît à nouveau pour un temps, on voit sa boîte remuer en tous sens. Que faut-il penser au juste de la candidature du Monténégro, avec à sa tête Ðukanović, à l’entrée dans l’ UE ?

Pourquoi une telle constance du dirigeant et de l’électorat du Monténégro ? Cet ancien petit royaume de l’ex-Yougoslavie entre Croatie et Albanie s’est rendu indépendant de la Serbie en 2006, et cela essentiellement grâce à Ðukanović. Après l’éclatement de la Yougoslavie en 1990, plusieurs partis d’opposition apparaissent. Mais en 1996, Milošević le Serbe hégémonique n’accepte pas les résultats des élections ; le vieux DPS, le parti de Tito dont les Serbes s’étaient emparés, se scinde alors en trois ; et Ðukanović s’oppose publiquement à Milošević, critiquant son ultra-nationalisme et le culte de la personnalité dont il fait l’objet depuis plusieurs années, et estimant qu’il devrait quitter la direction du parti.

En 2006, Ðukanović le Grand (il mesure 1m96 ; très grand comme la plupart des Monténégrins),né en 1962, leader charismatique par excellence aux yeux de la population, quitte la scène politique ; il est remplacé par Zeljko Sturanović, un autre dirigeant du DPS. Il se consacre durant deux ans à ses « affaires personnelles ». Une pratique récurrente chez ce rusé renard, qu’il réitère en 2016 : il se retire pour « laisser la place à d’autres » ; en réalité, il demeure dans les sous-bois du pouvoir, et occupe ainsi son précieux temps à mieux tirer les ficelles et à tisser les liens entre sa fortune personnelle et les fructueuses affaires du gouvernement. Deux éléments essentiels contribuent ainsi à la longévité politique (et à sa longévité tout court…) du grand Milo : l’organisation interne très solide et structurée du DPS, et l’auto-construction d’une image d’homme à succès, qui couvre maintenant une vingtaine d’années. Des succès politiques éclatants qui ne connaissent d’ombre qu’en 2016 ; des succès financiers qui eux, ne connaissent d’ombres qu’en un sens différent, juridique et éthique…

Le régime Đukanović, en effet, est l’un des plus corrompus d’Europe. Et c’est ce régime qui aspire à rejoindre les rangs lâches de l’ UE… Ce qui laisse songeur, malgré l’enthousiasme claironné de Madame Mogherini, qui verrait fort bien le Monténégro (et avec eux, les autres 5 pays des Balkans de l’Est) rejoindre l’Europe en 2025.

Le Monténégro est une zone de trafic depuis bien longtemps, surtout dans les ports maritimes de Bar et de Kotor. Des lieux de présence russe assez intense, par ailleurs… Un vieux proverbe yougoslave disait : «Si tu cherches ta voiture volée, va faire un tour au Monténégro ! ». Depuis les années 1980, le trafic de cigarettes y fait florès – et l’un des principaux bénéficiaires en a été Ðukanović et son clan. Le président, certes, a expliqué à plusieurs reprises dans la presse étrangère que ce trafic (et d’autres, sur lequel il est moins disert) a permis de financer la jeune indépendance et ses institutions sociales, y compris les écoles., à un moment où la Serbie retenait les fonds et essayait d’organiser un embargo. Euh, soit … Mais qu’en est-il des fonds du trafic de drogue, qui a failli lui coûter son poste et qui pèse d’un poids social très lourd dans le pays ? Avant 2009, le leader a d’ailleurs été dans la visière de la justice italienne ; mais les investigations ont été interrompues pour cause d’immunité parlementaire. Il semble bien que le gros de ces activités se soit déplacé off shore,un peu plus loin que la côte.

Curieusement, la violence mafieuse, surtout lorsqu’elle atteint un point critique, semble profiter électoralement à Ðukanović : ainsi tout récemment, en 2017, lorsque des affrontements armés ont opposé des trafiquants dans la ville même de Kotor, point névralgique et plaque tournante du trafic de drogue. Un affrontement qui a duré plusieurs jours, digne de westerns tournés dans le Far West balkanique. Ðukanović ne se trouvait pas directement au pouvoir à ce moment là … Que faut-il en conclure ? Que la population ne se sent protégée que par le chef expérimenté et même que, le sachant, Ðukanović a organisé ce spectacle pyrotechnique en vue des élections proches ?

L’association OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project), qui se compose de journalistes d’investigation et qui a joué un rôle important récemment en Slovaquie, a élu le grand Milo homme politique de l’année dans la rubrique : crime organisé…Pour ces journalistes, aucun régime, sinon celui de Vladimir Poutine, ne dépend à ce point de la corruption, du crime organisé et de pratiques « sales » de la politique. Les liens entre le gouvernement « démocratique socialiste » et la mafia (les mafias, plutôt) sont notoires, et fort visibles même sans lorgnon. Il règne dans le pays une véritable omerta, et un nombre important de faits sanglants ne transpire jamais dans la presse nationale ou internationale .C’est le cas surtout dans quelques villes comme la capitale, Podgorica, ou Nikšić un peu plus au nord, haut lieu du crime organisé et capitale des règlements de compte entre politico-mafiosi. Nikšić est la ville natale du grand Milo …

Une opération particulièrement juteuse pour le grand Milo et son clan : la privatisation de l’une des banques nationales. Des fonds très importants y ont été investis ensuite ; on (le clan Ðukanović) y a pratiqué le blanchiment et contracté des emprunts colossaux. Remboursés par qui ? Par le Parlement national, sur ordre du président ! Et quand la Banque centrale a osé protester contre les activités illégales, le directeur en a été limogé sur ordre de qui vous savez.

Quelques milliers de personnes s’enrichissent ainsi, tandis que la grande partie de la population s’appauvrit. Un nombre restreint d’organisations civiques (MANS, notamment) et écologistes essaient cependant de faire bouger le front, et envisagent ce que l’avenir pourrait réserver de prometteur dans un si beau pays. Elles ont fort à faire, on l’imagine… Pour ce qui est des premières, elles sont l’interlocuteur indispensable à qui désire être informé. Les organisations écologistes, elles, sont à l’origine de belles réalisations : ainsi, dans la région de Žabljak, au nord du pays, la construction de villages verts pour un tourisme responsable. Et au sud-est, dans le district autrefois arraché à l’Albanie et peuplé d’Albanais, la résistance acharnée que mènent quelques dizaines de personnes contre la destruction des Salines d’Ulcinj ; une sorte de vaste Camargue peuplée de pélicans et de touristes enchantés de nager parmi les serpents, promise encore voici peu à la mainmise financière de la mafia russe - la sœur ennemie …

Les relations entre le Monténégro de Đukanović et la Russie est en elle même digne d’un roman de 1000 pages. L’intérêt pressant du Parlement européen et de la Commission s’explique largement par le fait que ces relations sont, grosso modo, très froides, alors que la Russie ne cesse de lorgner avec l’insistance d’un vieillard libidineux sur le pays et d’y réaliser de très importants investissements, pour des raisons historiques et géostratégiques à la fois. La Russie aurait même projeté d’installer un port civil et militaire à Bar, qui aurait pu devenir un point de départ militaire pour la Syrie …

Pour des raisons sans doute fort intéressées, le DPS a toujours essayé de se tourner davantage vers l’Occident. L’une des explications de l’appartenance du pays à l OTAN serait un coup d’État manqué qui entre autres, aurait eu pour but de liquider physiquement le leader. Mais cette explication est infirmée par bien des observateurs et par des opposants basés à Podgorica.

En somme, le problème récurrent pour tant de pays candidats à l’entrée dans l’Union Européenne demeure. Avec un bel optimisme, Parlement et Commission posent que cette entrée favorisera le règlement des problèmes de corruption et des liens organiques entre politique et crime organisé. A moins que le processus soit en réalité inverse ? La faiblesse actuelle de l’ UE ne permet-elle pas une contamination interne et un affadissement, voire un affaiblissement, de la démocratie en principe constitutive de la Communauté  européenne ?

 

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