Nathalie Loiseau à Prague : la Colombe et le Corbeau

Le 10 et le 11 mai derniers, la ministre française en charge des Affaires européennes se trouvait en République tchèque. Son rôle : l’organisation de consultations, afin de mieux saisir les relations des citoyens à l’idée et à la réalité européennes.

Même à Visegrad, on ne se baignera pas toujours dans le même fleuve... Foto: Visegrad 1900 / Wikimédia Commons / PD

(MC) – Madame Loiseau a fort à faire, puisque la République tchèque est l’un des pays les plus réfractaires aux institutions européennes telles qu’elles existent actuellement et surtout, à la politique migratoire décidée théoriquement par ces institutions. La République tchèque, avec 3 autres Etats (Hongrie, Pologne et Slovaquie), fait partie de ce qu’on a pris coutume de désigner depuis 1991 comme le « Groupe de Visegrád », du nom d‘une ville de Hongrie où s‘est déroulé une rencontre qui a été surtout un sommet du populisme, de la démagogie et de la xénophobie.

Dans une perspective active et optimiste, la question à poser est : comment faire pour muer en attirance l’aversion de ces régimes, voire de ces populations, à l’égard des dispositions européennes, voire des valeurs européennes affichées ?

La consultation a été initiée jeudi dans un centre culturel de Prague, La Fabrika. La veille, Madame Loiseau avait suscité la polémique en France en parlant devant le Sénat d’un « shopping de l’asile » que pratiquerait avec délices un hypothétique migrant sud-soudanais remontant sans doute euphoriquement, supposons nous, les Champs Elysées pour y faire emplette chez Cartier. « Le shopping de l’asile », oui, nul doute qu’une telle formule a du plaire aux 60% de la population tchèque qui manifestent une opinion défavorable à l’ UE.

Nathalie Loiseau a affirmé regretter « que les décisions prises par en 2015 n’aient pas été appliquées par certains Etats et que le concept de solidarité, qui est au cœur du projet européen, n’aient pas trouvé de traduction. » C’est bien dit, mais quel double langage ! Prêtez moi votre loupe, que je puisse apercevoir les quelques migrants accueillis par la France…

La ministre a cependant fait remarquer très justement qu’il ne suffisait nullement de poser la question massive : « Etes-vous favorable ou non à l’Europe ? » pour espérer avancer dans la connaissance des opinions européennes et de leur évolution ; qu’il fallait interroger les populations point par point, de manière circonstanciée et nuancée.

Hélas, jeudi à La Fabrika, le débat inaugural des consultations a pris un tour prévisible : la plupart des interventions ont porté bien davantage sur des questions nationales qu’européennes ; ces dernières tournaient de manière presque obsessionnelle et exclusive sur la question des migrants.

Face à Nathalie Loiseau, le premier ministre tchèque,dont le parcours et le profil ne laissent personne indifférent. Milliardaire, Andrej Babiš est chef du gouvernement tchèque depuis 2017. Membre du Parti communiste slovaque (il est né à Bratislava) de 1980 à 1989, il fonde en 2011 l’ANO (Parti des Citoyens mécontents). En janvier 2014, il devient ministre des Finances dans le gouvernement de Bohuslav Sobotka. Mais… Mais en mai 2017, à la suite de polémiques sans fin à son sujet, il est limogé : on l’accuse d’une foule de choses pas bien jolies qui ensemble, nouent une pelote inextricable : fraude fiscale, opérations financières suspectes, conflits d’intérêt à répétition…

Mais coucou, voilà que son parti, l’ANO, remporte les législatives d’octobre 2017 : et à la fin du mois, le président Miloš Zeman, l’homme qui est apparu sur les plateaux de télé avec un fusil pour dégommer à travers l’écran les journalistes trop curieux, le charge de former un nouveau gouvernement.

Babiš a exprimé son opinion sur la politique migratoire européenne en août 2016 : «  Nous devons faire tout notre possible pour refuser les migrants. Y compris les quotas, où nous avons été mis en minorité. Je veux rejeter les quotas, même au prix de sanctions. Et l’Europe doit au plus tôt fermer la frontière extérieure à Schengen. »

Voilà qui est clair, et qui devrait obliger désormais les instituteurs à faire lire à leurs élèves l’Article 2 du Traité sur l’Union européenne dès l’âge de 8 ans. Ils y apprendront que les valeurs constitutives de l’Europe sont le respect de la dignité humaine et des droits de l’homme, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit, la non-discrimination, la tolérance et la solidarité.

Jeudi dernier, le premier ministre tchèque a répondu à Nathalie Loiseau que la Commission européenne devrait être « dépolitisée » et que l’Europe devrait achever le marché commun… En clair, on retrouve bien là la conception de Visegrád : restons dans l’UE, parce que c’est très avantageux ; mais ce que fait notre gouvernement dans notre pays ne regarde personne. Vous avez dit « Europe » ?

L’Union Européenne, en somme, doit absolument trouver les ressorts véritables d’une cohésion et d’une solidarité active.

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