Niederschaeffolsheim. La vie. La vraie. (22)
Dénommé localement Hagelfeiertag, ce vendredi suivant l’Ascension, près de quatre-vingt Niederschaeffolsheimoi(se)s ont effectué le traditionnel pèlerinage pédestre à Marienthal. En quoi cela a-t-il encore du sens, à la fin du premier quart du XXI siècle ?

(Jean-Marc Claus) – Mentionné pour la première fois en 1681, dans les Comptes de Fabrique de la Paroisse St Michel créée en 1401, le pluriséculaire pèlerinage à Marienthal a connu un essor considérable au XIXe siècle. Ceci suite à une série de catastrophes naturelles, dont notamment une violente averse de grêle qui, le 17 juillet 1820, anéantit les récoltes de céréales et de pommes de terre. D’où la dénomination locale Hagelfeiertag (Jour férié de la grêle), donnée au lendemain de l’Ascension, fête religieuse traditionnellement précédées de trois jours de rogations.
Que signifie aujourd’hui pour ses participant(e)s, cette randonnée à travers champs et forêt ? Il faut tout d’abord savoir se lever à l’heure du laitier : 5h00 rassemblement devant l’église – 5h15 départ de la procession au son des cloches. Ne pas craindre de marcher est la seconde condition, car les 6,5 km séparant Niederschaeffolsheim de Marienthal, sont à parcourir à pied dans les deux sens. Mais ceux dont la mobilité se trouve limitée, peuvent se rendre en voiture à la basilique, où ils attendent le groupe pour 7h00. Ce qui vendredi dernier, eut pour effet de porter le nombre de pèlerins, de près de quatre-vingt à plus de cent.
Ces gens sont-ils tous des grenouilles de bénitiers ne se posant pas de questions, ou des seniors commençant à se questionner avec angoisse sur l’au-delà et tentant alors de mettre quelques chances de leur côté ? Que nenni ! Toutes les classes d’âges sont représentées dans le groupe, où se côtoient croyants plus ou moins pratiquants et plus ou moins croyants non pratiquants. C’est aussi, selon une participante, « l’occasion de ce recentrer sur soi, le temps d’une randonnée dans la nature » et évidemment de « passer un moment avec des concitoyens qu’on ne fait que croiser habituellement », comme l’ajoute une autre.
Prendre du temps, échanger, partager, voilà des termes qui reviennent souvent dans les témoignages, le père Mark originaire du Ghana et pour la première fois pèlerin du Hagelfeiertag, l’a parfaitement saisi en soulignant que « de tels moments resserrent les liens et font vivre la communauté ». Les jeunes, souvent en tête de cortège, apprécient cette randonnée matinale, à laquelle ils apportent une dynamique particulière. Lors du petit-déjeuner, l’un d’entre-eux, primo participant, a soufflé la bougie de son quinzième anniversaire sous les chants et les bravos de l’ensemble du groupe. Un autre, arrivé à l’âge adulte, dit « avoir avec les années atteint un bon quota de participation », ayant même une fois « embrayé direct en rentrant d’une soirée, qui s’était prolongée jusqu’au petit matin ».
Un octogénaire que la vie à conduit à s’installer en Bretagne, se souvient de sa participation à ce pèlerinage quand il était enfant, et renoue avec la tradition maintenant qu’il a un pied à terre au village. A l’époque, le vendredi suivant l’Ascension était déclaré férié par le maire de la commune, donc tous les enfants pélerinaient ainsi que les agriculteurs et ouvriers agricoles, qui faisaient relâche à l’occasion de cette journée dédiée à la Vierge, pour qu’elle porte leurs prières à son Fils en vue de protéger les futures récoltes. Aujourd’hui, le caractère religieux toujours clairement affiché de cette manifestation, ne l’empêche pas d’être inclusive, en ce sens qu’il n’est demandé à personne, de présenter un certificat de catholicité pour y participer.
Ce qui la place d’une certaine manière, dans la catégorie des événements associatifs ouverts à tous, comme on sait si bien en organiser à Niederschaeffolsheim. Les anciens se remémorent leur enfance : « On faisait le trajet par la route, les premières et premiers communiants ouvraient la marche, les filles en robes blanches, les garçons en costumes, et on avait parfois bien mal aux pieds ».« La sous-préfecture n’autorisant plus depuis 2011 le passage de la procession sur la route départementale, un nouveau tracé a été défini à travers les champs et les bois », précise l’historien du village, qui, ayant abondamment documenté le sujet, poursuit néanmoins ses recherches. Ce nouvel itinéraire a non seulement l’avantage de sécuriser le parcours, mais aussi celui de le raccourcir et de le rendre bucolique.
Se remémorer le passé commun, vivre ensemble l’instant présent et construire conjointement l’avenir, tel est aussi le caractère pluri-temporel de ce moment, si l’on se met à l’écoute des conversations. La Grande Histoire et les petites histoires se transmettent, agir de concert fédère, envisager l’après, ouvre des perspectives. Personne ne peut à l’avance être sûr que ce pèlerinage garantira ou non la protection des futures récoltes, mais il est par contre certain que les fruits de ce moment de vie communautaire, dont la coexistence et le dialogue, se récoltent immédiatement. Or, arrivé à la fin du premier quart du XXIe siècle, c’est peut-être de cela dont nous avons universellement besoin.
Le petit-déjeuner partagé communautairement va dans ce sens, et il a une histoire. Comme autrefois, le vendredi était un jour maigre, c’est-à-dire au cours duquel on s’abstenait de consommer de la viande, les pèlerins devaient après la messe, se sustenter d’un sandwich au fromage. D’où le nom « Kasprocession » donné au pèlerinage, et dont certains ont encore le souvenir. Mais aujourd’hui, signe des temps, les knacks ont leur place au buffet et personne ne s’en plaint. Par contre, une constante demeure : « Quand les parents donnent l’impulsion et montrent la voie, les enfants suivent »,résume une participante, et la présence d’enfants d’âge scolaire laisse espérer que grâce à eux, cette tradition demeurera bien vivante.
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