Niederschaeffolsheim. La vie. La vraie. (3)

« Ici, personne n’est un matricule », dit Alexis Parré, « alors licencier quelqu’un serait une tragédie, car nous connaissons les besoins et les engagements financiers de tous nos salariés. »

Amandine, Alexis, Cornélia, Maryline, Loïc, Florian, Sébastien, Magalie, Olivier, Clara, Jason : les 2 gérants, 7 salariés et 2 apprentis de la Boulangerie-Pâtisserie Parré, veulent faire front, mais jusqu’à quand le pourront-ils ? Foto: Boulangerie Parré

(Jean-Marc Claus) – En février, c’était la fête à la Boulangerie Pâtisserie Parré à Niederschaeffolsheim au nord de Strasbourg : dix ans d’activité pour ses nouveaux gérants entourés d’une équipe motivée, il fallait marquer le coup. Mais début octobre, c’est un coup dur que leur a assené leur fournisseur d’électricité, en vue du renouvellement de leur contrat triennal prévu pour janvier : 480% d’augmentation, qui ont depuis été renégociés à 370% avec Électricité de Strasbourg, mais restent insurmontables pour cette entreprise déjà malmenée par la pandémie de Covid-19.

« Les bénéfices que nous réinvestissions chaque année dans le développement, ont été absorbés par le maintien des salaires », précise Amandine pour qui la boulangerie est, à côté d’Ambre et Thea, son troisième enfant. Pour les époux Parré, leur commerce est plus qu’une simple entreprise, « car ici personne n’est un matricule », souligne Alexis, « alors licencier quelqu’un serait une tragédie, car nous connaissons les besoins et les engagements financiers de tous nos salariés ». Or, procéder à des licenciements, ce qu’il a été contraint d’effectuer sur ordre de la direction dans l’entreprise où il était cadre précédemment, il ne souhaite surtout pas le revivre : « Quand vous avez 24 ans, et que vous devez signifier son licenciement à un salarié âgé de 54 ans, vous ne vous sentez pas à votre place. ».

C’est justement pour ne plus se trouver dans des situations aussi dramatiques, qu’il a suivi Amandine dans son projet de reprise de la Boulangerie-Pâtisserie Wartzolff à Niederschaeffolsheim en 2012. Une reconversion et une rédemption pour lui, l’aboutissement d’une passion pour elle qui fut en 2007, la première femme titulaire du Brevet de Maîtrise Supérieur en Boulangerie. Mais la facture d’Électricité de Strasbourg, s’élevant jusqu’ici annuellement à 20.000€ hors taxes et passant à 75.000€ avec le nouveau contrat triennal, va avoir une incidence dramatique sur l’entreprise, amenant ses gérants à se poser la question de licencier pour essayer de tenir ou carrément tout arrêter.

Si les prix au comptoir ont légèrement augmenté ces derniers mois, nous sommes loin des hausses de tarifs des matières premières qui n’ont pas été répercutés intégralement depuis une quinzaine d’années. Actuellement, avec 230% d’augmentation sur la crème, le beurre, le sucre, la levure et 120% sur la farine, même via le Groupement d’Achats de la Corporation des Boulangers de Haguenau, les prix restent trop élevés. Si on y ajoute l’augmentation annoncée du coût de l’énergie, la baguette sera à 1,80€. Un tarif prohibitif, qui donnera la part belle à la grande distribution, vendant à prix cassés du pain issu de pâtons surgelés pour certains.

Or, une boulangerie-pâtisserie artisanale, ce n’est non seulement un service de proximité dans un village ou un quartier, mais aussi un pôle de formation et d’excellence. Ce dont Amandine parle avec passion, car très impliquée dans la formation des jeunes au niveau de la corporation haguenauvienne. Un soutien est trouvé auprès de la Corporation des Boulangers de Haguenau ainsi qu’auprès du GABP (Groupement d’ Achats des Boulangers Pâtissiers), organisme fondé en 1973 et regroupant actuellement 60 boulangeries dans un secteur allant de Roeschwoog à Vendenheim, en incluant Bischwiller et Herrlisheim. C’est notamment après le SOS lancé par Alexis Parré fin octobre, qu’une rencontre s’est tenue début novembre avec différents responsables sous l’égide de la Corporation des Boulangers de Haguenau & Environs. Mais nous sommes très loin du but et le compte n’y est pas.

« Quand il a fallu sauver Duralex, 150 millions d’€ ont été trouvés très rapidement », pointe Alexis, « alors que cette entreprise compte 250 salariés, mais pour les 33.000 boulangeries couvrant le territoire national et représentant 160.000 emplois, rien ne bouge. » Très remonté contre la C.N.B.P.F. (Confédération Nationale de la Boulangerie – Pâtisserie Française), il ne cache pas son amertume, car les contrats étant triennaux, tout le monde n’a pas le couteau sous la gorge au même moment. « Nous sommes dans la première vague avec certains de nos confrères de la Corporation de Haguenau », dit-il, « alors que les responsables de certaines fédérations ne seront touchés que dans un ou deux ans, d’où une certaine inertie observable chez ces derniers et un déficit de compréhension de la détresse de ceux qu’ils représentent. »

Le 15 décembre, les 27 chefs d’état ou de gouvernement des états membres de l’Union Européenne devraient discuter du renforcement de la coordination énergétique, de la réforme du marché de l’électricité et des prix de l’énergie. Est-ce qu’il en ressortira quelque chose de positif, pour les PME telles que les boulangeries-pâtisseries, ou devrons-nous encore conclure sans mauvais jeu de mots, que l’UE n’est rien d’autre qu’une usine à gaz ?

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste