Non sans mal, le gouvernement allemand voudrait « exfiltrer » le soldat Ursula Von der Leyen…

Alain Howiller analyse les difficultés auxquelles Ursula Von der Leyen doit faire face dans la quête de la présidence de la Commission Européenne.

Le prix de la rénovation du voilier-école "Gorch Fock" est passé de 10 à 130 millions euros - une des nombreuses casseroles d'UVDL... Foto: Soenke Rahn / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Jean-Claude Juncker aura-t-il été -comme il le redoute (non sans ambiguïté !)- le premier et le… dernier Président de la Commission Européenne à avoir été élu dans la lettre et l’esprit du Traité de Lisbonne ? Celui-ci précisait, en 2014, que pour proposer un candidat au poste de Président de la Commission, les chefs d’Etat ou de gouvernement – le Conseil Européen – proposent un candidat en tenant compte du résultat des élections européennes. C’est cette décision qui avait entraîné l’élection de l’ex-Premier Ministre luxembourgeois : le Conseil Européen s’inclinait devant le résultat des élections qui venaient de renouveler le Parlement Européen et se défaussait en quelque sorte sur lui. Emmanuel Macron n’avait pas caché que selon lui, la désignation de 2014 était une dérive peu admissible et que c’était bel et bien au Conseil Européen de retrouver pleinement ses prérogatives en désignant le Président de la Commission dont le Parlement Européen ratifie le choix !

Le « champion de la ‘nouvelle Europe’ » retrouvait -en même temps (!)- les réflexes des représentants de l’ancien monde et arrivait – provisoirement ? – à ses fins en proposant la candidature de l’inattendue Ursula Von der Leyen. Pour ce faire, il bénéficiait de la complicité du Hongrois Victor Orban, l’une de ses bêtes noires avec l’Italien Matteo Salvini.

Un choix de provocation ? – Le choix proposé non seulement mettait en cause la norme amorcée avec Jean Claude Juncker, mais il s’apparentait à une sorte de provocation en désignant une personnalité, certes d’expérience puisque membre du gouvernement allemand depuis 2005 à des postes différents, mais qui n’a jamais participé aux élections de cette année. Sa désignation rappelle les décisions prises à l’issue de tractations menées en coulisse sans transparence aucune, pour s’indigner (un peu tard !) de la nomination de Jean Claude Juncker. La confirmation, le 16 Juillet, de la « nomination » de Von der Leyen est loin d’être acquise, même si elle a (déjà !) pris un bureau provisoire à Bruxelles et qu’elle a pratiquement déserté son poste ministériel à Berlin pour faire campagne en soutien de sa candidature.

Etre nommée Présidente de la Commission serait évidemment un nouveau tournant dans une longue carrière(1) où elle a déjà connu deux espoirs majeurs déçus : en 2012, elle n’a pas réussi à être candidate à la présidence de la République et n’a pas réussi, non plus, à être candidate au poste de Secrétaire Générale de l’OTAN, le Norvégien Jens Stoltenberg ayant été à deux reprises prolongé dans ses fonctions (jusqu’en septembre 2022).

Réussira-t-elle maintenant, alors qu’en tant que Ministre de la Défense elle n’a jamais été aussi contestée qu’aujourd’hui : au point que le ralliement d’Angela Merkel à sa candidature peut être assimilée à une tentative… d’exfiltration du gouvernement fédéral. Certes, elle a été, pendant très longtemps, l’une des favorites poussée par Merkel vers la chancellerie avant que, finalement, cette dernière ne se décide à aider Annegret Kramp-Karrenbauer dans ce qui sera une guerre de succession !

Un impressionnante somme de… casseroles – Excellente tacticienne, Angela Merkel profitera du départ de Von der Leyen pour remplacer cette Ministre discréditée qui fut sa candidate préférée mais dont elle s’est distancée progressivement. Des différends se sont installés publiquement lorsque, à plusieurs reprises, Von der Leyen s’était prononcée pour les Etats-Unis d’Europe ou la création d’une armée européenne, axes auxquels la chancelière (contrairement à ce qu’on croit) n’adhère pas pour un horizon prévisible. Pragmatique, Merkel ne peut pas ignorer que sa Ministre de la défense a été jusqu’à récemment « lanterne rouge » sur la liste des ministres.

Il est vrai que la somme des pépins (pour ne pas dire plus) dus au Ministère de la Défense et à sa patronne est impressionnante. Il y a les errements dus à la remise en état du trois mâts-école « Gorch Fock » mis en rade, en Novembre 2018, pour 17 semaines de travaux estimés, au départ, à un peu moins de 10 millions d’Euros. La restauration est loin d’être achevée et les coûts estimés maintenant à un peu plus de… 135 millions d’Euros ont explosé au point que l’une des hypothèses actuelles serait de… construire un nouveau bateau !

Il y a eu aussi les nombreuses pannes sur les avions transportant les membres du gouvernement. En novembre, Angela Merkel avait dû emprunter une ligne régulière passant par Madrid pour gagner (en retard !) Buenos Aires où se réunissait le G20 : faute d’entretien, son avion avait dû faire demi-tour ! On reproche à Von der Leyen d’avoir sous-traité de nombreuses et coûteuses (peut-être inutiles) études. On lui reproche l’état d’une armée mal entretenue (chars et bateaux notamment) dont le déficit d’image ne favorise pas les recrutements. Pourtant, les sommes allouées à la défense, éternelles variables d’ajustement du gouvernement, ont augmenté de 40%, ce qui n’empêche pas les militaires de ne pas aimer leur ministre !

Quand la Groko veut retrouver du lustre – Occasion rêvée pour un remaniement ministériel qui, au-delà de Von der Leyen, toucherait plusieurs postes dans l’espoir que la cote des partis de la Groko, désormais minoritaire dans l’opinion, retrouveront un peu de lustre dans la perspective de futures élections générales. L’idée d’un tel remaniement sauvera-t-il la Groko qui, en attendant des lendemains qui chantent, irait jusqu’au terme prévu en 2021 ? Pour l’heure, la CDU/CSU se range derrière Von der Leyen : d’AKK, pas fâchée d’éliminer définitivement la Ministre dans la course à la succession de Merkel, à Söder, ministre-président de la Bavière qui se verrait bien Ministre à la place de Horst Seehofer, de Wolfgang Schäuble à Manfred Weber dont pourtant la candidature a été évincée par celle de Von der Leyen.

Les écologistes, dont le vote sera important le 16 Juillet, crient à l’embrouille et aux manœuvres du Conseil Européen et réclament la démission de la Ministre et le SPD, soumis à forte pression par la CDU/CSU, n’est pas loin de partager ce commentaire acide de Martin Schulz, l’ancien président du Parlement de Strasbourg : « C’est la Ministre la plus faible du gouvernement ». Propos auquel l’ancien Ministre des Affaires Etrangères et Vice-Chancelier social-démocrate Sigmar Gabriel ajoute : « (Cette nomination)… est une raison de quitter le gouvernement ! » 56% des Allemands pensent que l’élection de Von der Leyen mettrait en place une personnalité non adaptée à la mission à la tête de la Commission de Bruxelles !

Le vote du 16 Juillet en faveur de Von der Leyen est loin d’être assuré : la Ministre a quelques jours devant elle pour convaincre les députés européens. Si elle n’y parvenait pas, le Conseil devra proposer un (ou une) autre candidat(e), à la majorité qualifiée : il aura un mois pour ce faire. Déjà caniculaire, l’été européen risque de continuer à… être chaud !

(1) Avant d’être Ministre fédérale, Ursula Von der Leyen, dont le diplôme de médecin a été confirmé en 2016 par l’Université de Hanovre, a été députée au Landtag de Basse-Saxe dès 2003 : elle a été Ministre dans ce Land dont son père Ernst Albrecht avait été ministre-président de 1976 à 1990.

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