Nord Stream 2 : la gourmandise germano-russe

Un procès contre l’Union Européenne !

Dans la Baltique, de la Russie à Greifswald , le projet de gazoduc Nord Stream 2, déjà largement réalisé Foto: Open StreetMap/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 2.0Gen

ø(Marc Chaudeur) – Vendredi dernier, juste avant un week end politiquement très mouvementé en Russie, les dirigeants de la compagnie Nord Stream 2 ont intenté un procès pour faire annuler les règles pertinemment restrictives de l’Union Européenne, mises en place en avril de cette année, sur le transport de gaz. Après échec d’une tentative de règlement à l’amiable avec la Commission Européenne.

Dans un communiqué publié vendredi dernier le 26 juillet, l’opérateur Gazprom, à majorité russe, explique que «les changements de la législation européenne sur le gaz ont clairement été conçus et entérinés afin de désavantager et de décourager le gazoduc Nord Stream 2.(…) Cette discrimination évidente à l’égard d’un investissement commercial individuel mine aussi la capacité du marché intérieur de l’Union Européenne à attirer des investissements pour parvenir à réaliser la transition énergétique.» Une tentative de règlement à l’amiable avait été entreprise avec la Commission Européenne le 25 juin dernier ; mais elle n’avait pu aboutir.

Le but qu’exprime Matthias Warnig, le PDG de Nord Stream 2, c’est d’obtenir une dérogation à la réglementation européenne. Mais ces règles nouvelles ne vaudront qu’à partir de cet été, et ne concernent que les projets définitivement ficelés. En début d’été, 800 kms de pipeline rampaient déjà sous les eaux de la mer Baltique, avant qu’y soient encore construits 430 de plus…

La législation européenne vise à prévenir le monopole énergétique d’une quelconque puissance trop… puissante et trop gourmande. Eh bien, oui, en l’occurrence, la Russie constitue une menace en ce sens, comme nous l’avons expliqué dans nos articles précédents. Nord Stream 2 est majoritairement russe – les autres actionnaires de cette Aktiengesellschaft étant le français Engie, l’autrichien OMV, l’anglo-néerlandais Shell et deux compagnies allemandes Wintershall (BASF) et Uniper (E.ON) – et cette société se sent lésée dans sa stratégie économique générale par ce que lui impose une législation qui, en un sens, va de soi : transparence des prix, accès des tiers (c’est-à-dire, notamment, d’instances d’observation de pays non participants à la compagnie) et surtout, la séparation des activités entre fournisseurs et gestionnaires de réseau.øøCela pour une raison analogue à la précédente : tout va dans le sens de la transparence, et comme l’ont bien compris les Russes, d’une possibilité pérenne de contrôle des activités des… fournisseurs. Et par voie de conséquence, de celles de l’État russe dans le périmètre européen.

Selon le PDG de Nord Stream 2, la compagnie a déjà investi 6 milliards d’euros. Selon ses affirmations, le prix du gaz devraient baisser de 13% en 2020, et permettre de créer au moins 30 000 emplois dans l’Union Européenne. Peut-être, mais…

Mais il faut veiller, bien plus attentivement que ne l’ont fait jusqu’à présent les dirigeants politiques allemands (on connaît d’ailleurs l’activité débordante de Gerhard Schröder, l’ancien chancelier « social-démocrate », dans la compagnie à dominante russe…). Veiller aux conséquences géopolitiques des « agissements » de Nord Stream 2 et de Gazprom qui le chapeaute. Pour commencer, la situation s’est évidemment avérée très défavorable à la Pologne, qui reste largement dépendante énergétiquement de la Russie, hélas. Et aussi de l’Ukraine, qui touchait des droits de passage pour la gaz russe en direction de l’Europe occidentale – et qui n’en touchera plus à partir de cette année… Par ailleurs, dès 2015, les Etats-Unis ont mis tous les bâtons possibles dans les roues de la charrette poutinienne qui tire largement les ficelles de Gazprom, au point d’avoir menacé la Russie de sanctions pour les accords décidés avant le 2 août 2017. Le Danemark, lui, est réticent à laisser passer le fameux gazoduc dans ses eaux territoriales.

Que le projet Nord Stream 2 menace l’indépendance énergétique et, dans une certaine mesure, géopolitique de l’UE commence à apparaître comme une évidence. Si l’on n’y prend garde !

A lire absolument : pour ce qui ne savent pas le danois, la traduction allemande de l’ouvrage de Jens HØVSGAARD (trad. Tanja Ohlsen) : Gier, Gas und Geld : Wie Deutschland mit Nordstream 2 Europas Zukunft riskiert, Europa Verl., 2019. En danois : Spionerne der kom ind med varmen, Gyldendal, 2017.

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