«Nous trois ou rien» : une vraie déclaration d’amour.

Nicolas Colle a rencontré en exclusivité pour Eurojournalist(e ), l'humoriste Kheiron qui signe ici son premier long métrage et son premier rôle féminin Leïla Bekhti.

Une scène de ce film très émouvant et vivant - un must pour tout cinéphile ! Foto: Reza / Adama Pictures-Gaumont

(Par Nicolas Colle) – Avec ce premier film, l’humoriste Kheiron retrace le parcours de ses propres parents, leur combat contre la dictature en Iran jusqu’à leur arrivée en France. Il signe là une œuvre pleine de tendresse et d’humour même quand il évoque les aspects les plus douloureux de leur vie. Je peux écrire aujourd’hui que j’ai eu un grand plaisir à pouvoir échanger avec celui qui officie ici, en tant que cinéaste et comédien puisqu’il incarne son propre père à l’écran, ainsi qu’avec sa complice et camarade de jeu qui incarne sa mère, la toujours radieuse et solaire Leïla Bekhti que j’ai eu le bonheur de retrouver une nouvelle fois après avoir travaillé à ses côtés, alors que je n’étais qu’un étudiant-stagiaire, sur le tournage de «Avant l’hiver», le troisième film de notre cinéaste local, Philippe Claudel.

Voici quelques extraits des meilleurs moments de cette rencontre en exclusivité pour Eurojournalist(e).

Leïla, pour moi qui ai la chance de te connaître, j’ai le sentiment que c’est un personnage qui est complètement à ton image : généreuse, aimante, courageuse… Tu l’as ressenti comme cela en lisant le scénario ?

Leïla Bekhti : C’est vrai que, comme ce personnage, je peux avoir un côté très louve et très famille, mais je suis très loin d’avoir vécu tout ce que la mère de Kheiron a pu vivre. Elle a eu une vie assez incroyable. Mais en lisant le scénario, je me suis sentie bien, j’avais envie d’être avec les gens que j’aime. J’avais envie de me dire qu’on peut toujours aller plus loin avec ses proches que seul. Donc toutes ces valeurs m’ont touchée comme cette épopée et le parcours qu’ont pu suivre ces personnages pendant toutes ces années jusqu’à leur arrivée en France. J’ai aussi été sensible à la couleur que Kheiron a souhaité donner à cette histoire. D’ailleurs, en rencontrant ses parents, on comprend très vite d’où vient son humour. C’est vraiment deux leçons de vie. Ça va au delà d’un film.

Justement, tu as beaucoup échangé avec ses parents pour nourrir ton personnage ?

Leïla Bekhti : J’ai posé beaucoup de question à sa maman pour pouvoir l’incarner au mieux mais sans jamais chercher à l’imiter. Par exemple, je lui ai demandé ce qu’elle a pu ressentir quand Kheiron est arrivé dans leur vie alors qu’ils étaient opposés au régime dictatorial en place. Elle m’a confié qu’elle n’avait jamais eu aussi peur que quand Kheiron est né alors qu’ils avaient frôlé la mort des centaines de fois et qu’ils avaient perdu beaucoup d’amis au cours de la lutte qu’ils menaient. Tout ce qu’ils ont pu vivre les a soudés comme jamais. Néanmoins, ce terme « Nous trois ou rien » ne signifie pas qu’ils se sont refermés sur eux-mêmes. Bien au contraire, ce sont les gens les plus ouverts que j’ai pu rencontrer. Mais les liens qui les unissent sont uniques et m’ont vraiment fait penser à ceux que je peux avoir avec ma famille.

Kheiron, c’était important pour toi d’apporter à ce récit cet humour, cette douceur et cette légèreté pour mieux désamorcer l’horreur de certaines situations ?

Kheiron : Complètement. On pense souvent, à tort, qu’un sujet grave doit être nécessairement traité d’une manière grave pour lui donner plus de portée. Alors qu’au contraire, la portée est bien plus grande dès lors qu’on utilise l’humour. Parce que tout le monde aime rire. Et puis quand on connaît mes parents, ça n’aurait pas été leur rendre hommage que de traiter leur histoire d’une manière grave, parce qu’ils en rigolent. Je vais te donner un exemple précis. Comme tu le sais dans ce film, je joue le rôle de mon propre père. Et quand on a tourné la scène où il se fait torturer en prison, il était présent sur le plateau ce jour là. Moi j’étais dans ma loge en train de me faire maquiller le visage avec des blessures, du sang, des ecchymoses, et ça a duré plus de deux heures. Et voilà que mon père me dit : «Tu sais, moi cette gueule là on me la faisait en trois minutes…». Donc les gens qui ont vécu des drames ont souvent plus de distance que nous autres.

Ce qui est frappant dans cette histoire d’amour, c’est qu’elle est incroyablement pudique. Ce qui est quelque chose qui revient souvent dans ta filmographie Leïla, avec «Avant l’hiver» ou «L’Astragale»…

Kheiron : La pudeur s’imposait car même si mes parents s’aiment plus que tout au monde, je ne les ai jamais vu s’embrasser. Et il fallait que le film leur ressemble.

Leïla Bekhti : Personnellement je préfère qu’on suggère les choses plutôt que de les montrer. Après il y a des milliers de scènes de «nu» qui sont sublimes mais j’aime qu’on me dise que «L’Astragale» est un film très sensuel alors qu’on y voit rien. Et puis, c’est plus intéressant pour le jeu.

Je te rassure, je n’étais pas en train de suggérer qu’il fallait qu’on te voie plus souvent nue dans tes films…

Leïla Bekhti : Je sais… Ne t’en fais pas…

Plus sérieusement, ce que j’apprécie particulièrement dans ta démarche Kheiron, avec ce film, c’est que c’est un hommage, une déclaration d’amour à tes parents et que tu ne parles jamais de toi…

Kheiron : Ah mais moi, ma vie, elle est nulle. Enfin non, je plaisante mais tu sais, pour raconter sa vie à 33 ans, il faut avoir vécu des sacrés trucs… Moi, sincèrement, j’ai une vie banale… Je suis arrivé en France très tôt et puis j’ai eu la vie d’un Français. J’ai grandi en banlieue, je m’amusais avec mes potes, j’ai fais de la scène et voilà… Mais le vrai sujet, c’est mes parents et leur vie… C’est eux qui ont un vrai parcours héroïque.

On sent beaucoup d’amour autour de ce projet, et ça se ressent aussi quand on voit le film, au point qu’on se dit que ça a dû être un tournage très heureux ?

Leïla Bekhti : C’est vrai que tout a été à l’image du film. Il faut savoir que le metteur en scène, c’est le chef d’orchestre de l’ambiance du projet. Parfois certains réalisateurs n’aiment pas que les acteurs se comportent de telle ou telle façon entre eux. Ce qui peut amener des ambiances un peu froides sur le plateau. Sur ce film, tout le monde était logé à la même enseigne. Il n’y avait ni petits ni grands rôles. Et c’est vraiment Kheiron qui a amené ça. Et c’est très agréable car du coup, tout le monde se sent légitime et ça rappelle à chacun que tout le monde est vraiment indispensable sur un tournage.

Il y a une dernière chose dont il faut qu’on parle absolument. C’est ce que ton père a entrepris dans sa banlieue, en sensibilisant les gens à la médiation. Tu peux nous en parler un peu ?

Kheiron : Pour moi, la médiation c’est le futur de l’humanité. Mon père s’est aperçu que sans le savoir, il faisait de la médiation dans son quartier. Il pousse les gens à se mettre à la place des autres. Il forme des bénévoles de son quartier, aussi bien des profs que des épiciers ou des flics, en tout cas des gens très différents et la ville de «Pierrefitte» est devenue «ville médiation». Donc quand il y a un conflit entre voisins, au lieu d’aller au commissariat, ils se rendent auprès de médiateurs bénévoles dans la structure qu’a créée mon père. Pour moi, cet art de la médiation qui consiste à se mettre à la place de l’autre, c’est au delà du sacré. Si on l’applique dans sa vie de tous les jours, le monde ira mieux. Au lieu de parler de la dispute, on parle du ressenti. Si on ne parle que du conflit, ça ne change rien. Mais si on dit « quand tu m’as dis ça, j’ai été blessé », ce mot aura une résonnance particulière pour la personne. C’est par l’intermédiaire de la médiation que l’on se rend compte de la portée de nos actes.

Merci à vous deux.

Pour visionner la bande annonce de ce film, CLIQUEZ ICI !

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