Nouvelles vagues de réfugiés aux Canaries

Après la « Crise des Cayucos » de 2006, les Canaries voient arriver une nouvelle vague de réfugiés.

Le port de Mogán, à Gran Canaria, où débarquent les réfugiés partis d'Afrique de l'Ouest. Foto: Martin Falbinsoner / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Jusqu’ici destination de vacances façon Club-Med pour les plus touristiques (Tenerife, Gran Canaria, Fuerteventura) ou de ressourcement pour les autres (El Hierro, La Gomera, Lanzarote, La Palma), les Îles Canaries voient débarquer de plus en plus des réfugiés venant d’Afrique de l’Ouest. Situées à 1.000 km du Sud de l’Espagne, mais à seulement 150 km du Sud-Ouest du Sahara Occidental, ces petits bouts d’Europe exercent sur les désespérés la même force d’attraction que l’île de Lampedusa à 130 km à l’Est-Nord-Est de la Tunisie.

Le phénomène n’est pas nouveau car entre 2006 et 2008, la « Crise des Cayucos » avait fait débarquer près de 40.000 personnes sur le sol canarien, dont plus de 31.000 pour la seule année 2006. Actuellement le phénomène tendant à s’amplifier, l’armée espagnole a installé mi-novembre un camp à proximité d’un ancien entrepôt militaire sur l’île de Gran Canaria. Constitué de vingt-trois tentes, ce dispositif permet l’accueil d’une partie des arrivants bloqués sur le quai d’Arguineguín à Mogán au Sud de l’île, mais il est loin de suffire car avec 17.000 arrivants depuis janvier, le nombre de réfugiés est sept fois plus important qu’en 2019.

Les accords conclus avec la Turquie, la Libye et le Maroc afin d’exercer des contrôles aux frontières, poussent les candidats à l’exil à emprunter le chemin de l’Afrique de l’Ouest. Un voyage qui, pour sa partie Atlantique, cause la perte de nombreuses vies humaines. Selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), un quart des départs sont victimes d’incidents de parcours ou de naufrage. Depuis janvier, plus de 600 personnes ont perdu la vie, soit le triple de l’année 2019. Ne figurent à ce décompte macabre que les personnes recensées et recensables. Certains tentent même leur chance en mettant cap sur El Hierro, l’île la plus à l’Ouest de l’archipel !

Les passeurs se sont réorganisés et ont baissé leurs tarifs de plus de la moitié, la route vers l’Espagne ne passant plus exclusivement par la Mer Méditerranée, environ 30% des réfugiés ont en 2019 emprunté la voie encore plus périlleuse de l’Océan Atlantique. Un chiffre en continuel accroissement, des bateaux partant principalement du Maroc (Tan-Tan & Tarfaya) et du Sahara Occidental (El Aaiún & Bojador), avec à bord des réfugiés venant de Mauritanie, du Sénégal, du Mali, de Gambie, de Guinée et de Côte d’Ivoire. Beaucoup de candidats au départ viennent du Sahel et d’Afrique de l’Ouest, mais certains arrivent même du Sud-Soudan, soit 5.000 km à vol d’oiseau.

Plus au Sud, la jeunesse sénégalaise fuit la précarité, l’absence de perspectives d’avenir et en somme, la misère programmée. Quand on connaît la situation locale, il est difficile de leur en vouloir, comme le soulignait Moustapha Diouf, président de l’Association des Jeunes RAPatriés (AJRAP) de Thiaroye-sur-Mer, ayant lui-même tenté sa chance vers les Canaries au début des années 2000 et s’efforçant maintenant d’inciter les jeunes à rester au pays. Mais les diplômes obtenus au prix de sacrifices importants, ne procurent pas de travail. Par ailleurs, les accords de pêche conclus entre l’Union Européenne et le Sénégal, ont provoqué pour les pêcheurs locaux la raréfaction de la ressource halieutique. Ce à quoi s’ajoute maintenant la crise sanitaire et économique causée par la pandémie de Covid-19.

Le « Barça ou Barsakh » (Barcelone ou la mort)  fait quotidiennement des victimes. Les pêcheurs sénégalais artisanaux devant gagner toujours plus le large pour trouver de quoi vivre, ceci les a incités à aller jusqu’aux Canaries. Les efforts conjugués du dispositif Frontex et de l’État Sénégalais pour limiter les départs resteront sans effets, tant que la mondialisation détruira l’économie locale en lui imposant une concurrence totalement déloyale et particulièrement inhumaine. Human Right Watch (HRW) et d’autres Organisations Non Gouvernementales s’inquiètent à bon droit des conditions d’accueil des réfugiés aux Canaries, mais le problème se situe en amont et il n’est pas comparable, n’en déplaise à un ex-président français totalement nixon-compatible, à une grosse fuite d’eau.

Dans l’immédiat, les autorités espagnoles font de leur mieux, avec comme mouche du coche, le parti d’extrême-droite Vox, actuellement sans élus au parlement régional, mais pour qui l’arrivée des réfugiés est une véritable aubaine. La plupart des Canariens n’ont, comme tous les peuples insulaires, pas pour habitude de rejeter les naufragés à la mer. Ainsi, beaucoup d’entre eux font preuve d’humanité, à contrario de certains politiciens locaux dont le comportement n’anoblit pas le genre humain.

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