Nucléaire et environnement : un affrontement franco-allemand

Alain Howiller sur le « fossé nucléaire » qui sépare la France et l’Allemagne…

Est-ce que l'Allemagne va repenser sa sortie du nucléaire ? Foto: Fred-niro / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Alain Howiller) – Qui aurait pu croire, un peu plus de dix ans après la décision du Bundestag (30 Juin 2011) de suivre Angela Merkel en décidant la fermeture, d’ici au 31 Décembre 2022, des 17 centrales nucléaires d’Outre-Rhin (elles représentaient alors 17% de la production d’électricité), que le sort de l’énergie d’origine nucléaire ne serait pas scellé ? L’abandon paraissait être le sort d’installations devenues suspectes après Fukushima. Et pourtant, aujourd’hui, les certitudes d’hier, ont cédé devant un retour en force d’une énergie qui a… retrouvé ses défenseurs !

La Russie construit (et exporte, malgré Tchernobyl) des centrales nucléaires, de même que la Chine. La Grande Bretagne va en relancer la construction et Joe Biden, la nouvelle coqueluche des écologistes qu’on a cru un moment hostile au nucléaire, a prévu dans son plan de relance, des infrastructures et des crédits pour des « Small Modular Reactors-SMR » (petits réacteurs nucléaires modulaires) ! Et si l’Allemagne ferme cette année trois centrales et trois autres l’année prochaine -en versant notamment 2,4 milliards d’Euros pour indemniser les groupes frappés par la sortie du nucléaire- le sort de cette source d’énergie est loin de faire l’unanimité dans l’Union Européenne (UE), au point que l’ambitieux plan « climat », publié le 14 Juillet par la Commission de Bruxelles, n’évoque pas le sort du nucléaire !

L’étrange et barbare « taxonomie » ! – Sous l’influence du néerlandais Frans Timmermans, le vice-président exécutif, chargé de proposer les axes pour « décarboner l’économie européenne », la Commission a relancé un certain nombre d’études pour savoir si, comme certains états le demandent et comme le suggèrent un certain nombre d’études(1), l’UE peut classer l’énergie d’origine nucléaire, non productrice de gaz à effet de serre, dans la liste des « produits durables et verts » relevant de ce qu’on appelle de ce nom barbare de : « taxonomie européenne ».

La « taxonomie » définit ce qui dans l’UE est « climato-compatible » : elle définit les activités qui peuvent se targuer de relever de l’économie verte et durable et qui contribuent à la lutte contre la pollution et le changement climatique. On en vient, finalement, à créer une sorte de « label » qui peut ouvrir la voie à d’éventuelles aides européennes et favoriser une activité exportatrice générant de l’emploi. Porte-parole de 7 états de l’Union, dont les membres de ce qu’on appelle le groupe de Visegrad, Emmanuel Macron défend le classement des centrales nucléaires et de leur production dans la liste relevant des entreprises climato-compatibles de la taxonomie.

Les centrales françaises : « climato-compatibles » ? – L’Allemagne, invoquant les leçons de Tchernobyl et de Fukushima, conduit un groupe d’états défendant une thèse inverse, au nom des principes de sécurité et de sureté. Il est vrai que la production d’électricité, en France, est assurée à 70% par les centrales nucléaires (11% encore en Allemagne l’année dernière), que l’Autorité de Sureté Nucléaire-ASN a autorisé, sous des conditions et des contrôles drastiques, 32 anciennes centrales à prolonger leur existence de dix ans, que le pays continue de développer (et d’exporter) sa technologie dans le secteur nucléaire et que ses dirigeants estiment que s’ils veulent respecter, conformément aux accords de Paris, les promesses de réduction des gaz à effets de serre, l’apport des réacteurs sera décisif, même si l’engagement a été pris de ramener leur part de production à 50% d’ici à 2035 !

D’autant que la part de l’hydraulique dans la production d’électricité n’est encore que de 12%, alors que la part de l’éolien et du solaire est de 8% de la production. Trois centrales à charbon sur quatre étant en cours de fermeture, la dernière devant s’arrêter en 2024. En marge de l’arrêt des réacteurs de Fessenheim, il est prévu que le parc français s’allègera d’une douzaine de centrales.

Karlsruhe et Paris d’accord pour sanctionner. – Quelle sortie de crise trouvera-t-on dans cet affrontement franco-allemand dont on parle peu ! Quel rôle jouera dans la solution, le résultat (avec ou non-participation des Verts au gouvernement) des élections allemandes du 26 Septembre ? Quel poids pourra avoir Emmanuel Macron qui prendra, le premier Janvier, la présidence du Conseil Européen, à une poignée de mois avant les élections présidentielles ? Quelle majorité se dégagera au Conseil Européen ou au Parlement de Strasbourg ?

La Cour Constitutionnelle de Karlsruhe a sanctionné le gouvernement d’Angela Merkel, en lui reprochant sa lenteur à mettre en application ses décisions en matière de protection de l’environnement. A Paris, le Conseil d’Etat a emprunté une voie semblable allant même jusqu’à condamner l’Etat une amende de dix millions d’Euros (renouvelable !) à verser à différents organismes ou associations : sanction justifiée pour le Conseil parce que l’Etat n’a pas respecté ses engagements de protection de la qualité de l’air ! Des signes révélateurs : la protection de l’environnement semble être devenue un enjeu majeur ! Qu’en sera-t-il de la… taxonomie ?

(1) Etudes du « Centre Commun de Recherche Européen-CCR », un centre interne à la Commission Européenne et études du « Comité d’experts d’Euratom ».

1 Kommentar zu Nucléaire et environnement : un affrontement franco-allemand

  1. Василий // 13. August 2021 um 5:28 // Antworten

    Et je dirai meme : oui ceux qui defendent cet argument comme au dessus des autres meritent d etre ecoutes (M Huet ici, mais aussi M Jancovici, NegaTEP ou Sauvons le climat). Je reste en desaccord avec eux mais ils posent des bonnes questions, questions que refusent bon nombre d anti-nucleaire au risque de se decredibiliser souvent des que des chiffres arrivent sur la table. Dire que l Allemagne ne s en sort pas vraiment dans sa transition energetique est egalement une verite. Ou en tout cas dire que c est loin d etre rose que de sortir du nucleaire au vu des technologies du renouvelable actuelles. On lit souvent l inverse dans les medias anti-nucleaire mais le bilan tire par M Huet est juste : pour l instant l Allemagne n est pas vraiment un exemple ! En tout cas il est juste a l heure H, et il y a la une grosse subtilite tout de meme Cette verite sur l Allemagne est dure a entendre et elle fait chi** mais de facto les allemands remplacent plutot le nucleaire par du charbon et il n est pas sur que le renouvelable prenne vraiment beaucoup plus de place un jour (meme si je le souhaite).

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