OTAN : L’argent et les valeurs

70 ans et 2%

L'humanité sans la paix. Jacques Stella Foto: Stella / Wikimédia Commons / CC-BY-SA PD

(Marc Chaudeur) – L’OTAN célèbre cette année ses 70 ans. C’est une vieille dame ; très vieille. Trop vieille ? Il est impératif de s’interroger sérieusement sur son utilité, du moins dans sa mouture actuelle. Dans ce sens, le fameux quota de 2 % du budget national qu’elle réclame de ses membres pour leur défense est très significatif d’une rigidité et d’une absence de perspective réelle qu’on imagine mieux en 1949 qu’aujourd’hui.

2 % du budget national ? Mais pourquoi ? Ce montant, on l’a fixé en 2014, lors du Sommet qui s’est tenu au Pays de Galles. Ce chiffre est irrationnel : il est purement politique et ne repose pas sur les possibilités réelles des Etats membres, ni sur aucune considération concrète de ce qui fait la contribution d’un Etat à la sécurité du monde occidental.

Que veut l’OTAN ? Que peut-elle faire ? Que lui est-il permis d’espérer ? Le Rapport excellent du CSIS (Center for Strategic & International Studies,(https://csis-prod.s3.amazonaws.com/s3fs-public/publication/) de juillet 2018 porte le titre on ne peut plus pertinent de : Counting Dollars or Measuring Values. Compter les dollars, ou bien d’abord mesurer les valeurs et les mettre au premier plan des paramètres utiles ? Car le critère des 2 %, exigé en 2014, est cruellement insuffisant ; et il sera impératif de reconstruire un concept plein et efficace pour estimer les capacités et les réalisations des Etats membres. Il sera nécessaire que l’OTAN se réfère à ces critères précis pour atteindre à une réelle efficience.

Elle devra les utiliser en Europe centrale (Pologne, Hongrie, Slovaquie) et en Allemagne : deux régions d’Europe qui les préoccupent particulièrement, elle et les Etats-Unis trumpiens.
En Europe centrale, si la Pologne, par anti-russisme d’expérience, continue à jouer le rôle de l’élève modèle (et il est l’un des 6 Etats sur 28 en Europe à avoir atteint les fameux 2 % de son budget avec la Grèce, les pays baltes et… la Grande-Bretagne), la Hongrie d’Orbán sort à peine de sa méfiance et de son isolationnisme idéologique. Et la Slovaquie pendule entre l’influence contradictoire d’Orbán et de l’aspiration démocratique de sa population.

L’Allemagne, elle, revêt une importance particulière. On connaît la citation de lord Ismay, le premier secrétaire général de l’OTAN, en 1952 ; elle est devenue proverbiale : selon le distingué officier britannique, l’OTAN sert à « to keep the Russians out, the Americans in, and the Germans down. »  En clair : chasser et pourchasser les rats communistes, promouvoir le mode de vie redneck, et maintenir la tête des vilains krauts au fond de l’eau dès qu’ils font mine de remonter. Cela fait partie des motivations mêmes de la création de l’OTAN.

Mais aujourd’hui au contraire, savoureux retournement : aux yeux des dirigeants de l’ OTAN, l’Allemagne est… trop faible. Et elle ne cesse de montrer sa réticence à atteindre les fichus 2%, malgré certaines promesses claironnées par Merkel ou Scholz. Lors du tout récent Sommet de Washington où se célébraient les 70 ans de la vieille dame ONU un peu psychorigide (mais elle l’était tout autant en 1949, bien sûr), le vice-président US, Mike Pence, a taillé une Lederhose aux dirigeants allemands et surtout à Olaf Scholz, le ministre des Finances.

L’Allemagne pourtant a réagi en faisant des remarques en partie pertinentes et qui rejoignent le Rapport de la CSIS. Mesure des valeurs d’abord, dollars ensuite. Les sous, ce n’est pas tout : les initiatives diplomatiques qui empêchent les conflits, les politiques de développement entreprises parfois dans des pays éloignés, tout cela aussi contribue grandement à la sécurité… et à la paix. De plus, le budget de la défense d’un pays est utilisé des manières très différentes : pour payer les pensions en France, pays des rentiers ; les Etats-Unis consacrent à l’OTAN une toute petite part, et l’Allemagne… presque la totalité de son budget de défense.

Le CSIS ajouterait à ces considérations : les critères d’efficacité au sein de l’OTAN, ce sont peut être surtout la disponibilité aux engagements militaires, la part effective prise aux manœuvres, la mise en œuvre de sanctions économiques contre les « adversaires » de l OTAN, l’accueil des réfugiés, et quelques autres. C’est toute un appareillage politique qu’il faudrait (faudra?) édifier, de manière beaucoup plus persévérante et conséquente.

Mais bien évidemment, ce qui motive surtout la virulence de la critique de l’Allemagne par Trump et ses petits camarades, c’est précisément… le désengagement partiel des Etats-Unis, et par conséquent, la nécessité d’un leadership de fait par le moteur le plus puissant de l’Europe.

A travers tout cela, en tout cas, on s’aperçoit qu’assurément, la meilleure solution, la plus bénéfique, serait de transformer de fond en comble cette OTAN qui date d’un monde totalement révolu, bien que pas plus sûr que le nôtre, aujourd’hui.

L’ OTAN est une très vieille dame, décidément, qui porte des robes de smocks et des colliers de perle. Un modeste lifting n’y suffirait certes pas.

 

 

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste