Oui, nous avons une double appartenance

Avocate et médiateure à l’origine de la pétition pour le maintien de la Section Internationale Allemande à Strasbourg, Maître Alice Canet répond à nos questions.

Maître Alice Canet dans son cabinet strasbourgeois. Foto: privée

(Jean-Marc Claus) – Nous avions évoqué lundi dernier, la menace pesant sur la Section Internationale Allemande à Strasbourg. Depuis, les parents d’élèves et le rectorat ont échangé en visioconférence le 1er Février, le député Bruno Studer (LREM) a reçu une délégation de parents le 4 février. Interview avec Maître Alice Canet qui a lancé une pétition demandant le maintien de cette Section Internationale.

Me Canet, vous formez dans votre vie privée un couple franco-allemand, dont sont issues deux petites filles. Qu’apporte à votre quotidien cette double appartenance ?

Alice Canet : Oui, nous avons une double appartenance : le père de mes filles est Allemand et je suis Française, nos filles sont franco-allemandes. Au quotidien à la maison, cela apporte des challenges, à l’évidence, parce que faire fonctionner une famille franco-allemande, ça peut être compliqué : ça nécessite de l’écoute, de l’ouverture, du dialogue, mais c’est également très enrichissant !

Par exemple lorsque nous sommes devenus parents, la confrontation des modèles culturels français et allemands, avec en France, l’idée que la maman doit recommencer le travail lorsque le bébé a 3 mois et le faire garder toute la journée dès lors, et en Allemagne, l’idée que la maman doit rester un an à la maison et reprendre à mi-temps par la suite, nous a permis de nous interroger sur ce que nous souhaitions, nous, réellement ; ce que nous pensions, nous, être le mieux pour nos enfants au-delà des pressions sociétales française où allemande.

Au niveau professionnel, le franco-allemand est une partie de mon identité professionnelle, puisque j’exerce en matière familiale franco-allemande : j’aide les couples ou les familles franco-allemandes à retrouver la paix par-delà les transformations de leur famille. Pour ça, la compréhension des modèles culturels et des langues française et allemande, sont essentiels.

Qu’en est-il des pratiques et usages des deux langues dans vos rapports et échanges familiaux ?

AC : Après échanges avec de nombreuses familles et amis franco-allemands, nous avons décidé que chaque parent utiliserait uniquement sa langue maternelle avec les enfants : mon partenaire ne parle qu’allemand et je ne parle que français lorsque nos filles sont présentes. De même, nous insistons pour qu’elles nous répondent dans notre langue, même si nous sommes tous les deux capables de parler et de comprendre la langue de l’autre.

En quoi, vous et votre famille, êtes concernées par la fermeture annoncée de la Section Internationale Allemande dans le premier degré (CP-CE1-CE2) ?

AC: Nous sommes concernés parce que notre fille aînée, âgée de 3 ans, va actuellement en petite section internationale de maternelle. A priori, elle pourra aller en moyenne section et en grande section aussi en section internationale, en tout cas on l’espère. Mais pour le CP, à priori, il n’y a déjà plus de possibilité de rester en section internationale et ce sera au mieux la section bilingue, de ce que nous avons compris.

Mais la section bilingue est sur sectorisation, donc à voir s’il y en a une dans notre quartier, ce que je ne crois pas actuellement. Sinon nous devrons demander une dérogation, pour aller dans une école bilingue ailleurs, mais nous n’aurons pas d’avantage particulier dû au fait que notre fille soit déjà germanophone, donc il n’est pas garanti qu’elle y ait une place. Et même si elle a une place dans cette section-là, nous craignons qu’elle ne puisse pas réellement parler allemand à l’école, car elle sera peut-être la seule germanophone de sa classe, et nous ne savons pas encore s’il y aura réellement des enseignants germanophones pour toutes les sections bilingues.

La question de l’isolement des enfants germanophones est également un vrai problème, parce qu’on sait qu’à l’enfance, être différent, peut devenir vite problématique.

En section internationale, nos enfants germanophones sont réunis par groupe de 15. Ils savent qu’ils ont une différence par rapport au reste de l’école, mais ils voient beaucoup d’autres enfants avec des différences similaires, puisqu’ils sont avec 15 anglophones en maternelle, et qu’en primaire, il y a également des sections internationales polonaises, italiennes, espagnoles, coréennes… Cette différence linguistique et culturelle y est vraiment facilement vécue comme un enrichissement. Alors qu’on craint qu’elle ne soit vécue comme une source d’exclusion, si les enfants sont seuls dans une classe à être germanophones.

Nous avons également une fille d’un an : si la suppression de la section internationale est maintenue, elle ne pourra plus parler allemand avec ses copains à l’école dès la maternelle, comme le fait notre aînée, et entendra que très peu l’allemand par des locuteurs natifs avant le collège. Nous craignons donc qu’elle perde beaucoup de son usage de l’allemand à partir de son entrée à l’école.

Quels problèmes concrets pose l’annonce en janvier d’une telle fermeture de classes à l’horizon de la rentrée de septembre ?

AC : Le fait que cela soit annoncé en janvier ne permet pas aux parents qui le souhaiteraient, d’inscrire leurs enfants dans le système privé, où les inscriptions sont déjà closes.

Si cela doit se produire, quelles options envisagez-vous pour votre fille ?

AC : Si la suppression des sections internationales se confirme, nous envisagerions probablement d’inscrire nos filles dans le privé, pour garantir qu’elles puissent réellement parler allemand avec leurs copains et lors d’enseignements. Mais cela serait un crève-cœur pour moi, qui suis fille de professeur et croit profondément en les vertus de l’école républicaine, notamment par l’apport de la mixité sociale qu’elle représente.

Une autre option est de les inscrire en Allemagne, dans un système international, pour leur permettre d’entendre toute la journée l’allemand et le français.

La dernière option est bien sûr de laisser nos filles dans l’enseignement public tel qu’il est envisagé maintenant, avec au mieux, un bilinguisme renforcé éventuellement.

Nous pensons d’ailleurs que ce système bilingue est une chance pour les francophones ! Mais nous pensons aussi que pour notre fille qui est actuellement germanophone, cela ne favoriserait pas le maintien de ses compétences et plaisir à parler en allemand.

Les deux systèmes peuvent parfaitement coexister, comme c’est le cas aujourd’hui ! Pourquoi, donc, supprimer cette Section internationale ? C’est pour moi incompréhensible !

Donc quelle que soit l’option choisie, elle le sera toujours par défaut, alors quel est selon vous l’inconvénient majeur des autres possibilités ?

AC : Les inconvénients majeurs du privé sont le prix d’accès : il faut pouvoir payer cet enseignement-là, ce qui crée une division dans la société selon les capacités financières des parents. Nous ne souhaitons pas proposer cela à nos enfants… si tant est que nous ayons le budget pour payer une telle école ! L’inconvénient majeur de l’Allemagne pour nous aujourd’hui, c’est le temps de trajet. Nous habitons à Strasbourg, je travaille et dépose les filles à Strasbourg.

Merci Me Canet d’avoir pris le temps de répondre à nos questions

Pour signer la pétition, veuillez cliquer ici.

D’autres articles seront consacrés à ce sujet sur Eurojournalist(e), qui suit de près cette affaire.

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