Parlement, CEA – Strasbourg entre deux sièges?

Alain Howiller se penche sur la question : qui sera le mieux où...

Sièges Foto: Julien Kenji Maeda-ESM/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Par Alain Howiller) – Strasbourg l’ambitieuse – et trop souvent l’hésitante – va-t-elle voir se fermer sur elle un double piège nourri par une question de sièges ? Les problèmes qui risquent de se préciser, à un moment de rupture tranquille s’inscrivant dans l’histoire actuelle de la ville, portent à la fois sur le destin européen de la cité et sur son rôle de capitale régionale. Les inquiétudes, de nature différente il est vrai, sont doubles : elles sont d’abord générées par le déménagement incessant du Parlement Européen qui, depuis février, depuis l’irruption de la pandémie, glisse de plus en plus souvent de Strasbourg vers Bruxelles, l’une des capitales de l’Union Européenne pourtant… gangrenée par la Covid-19. Elles sont, ensuite, alimentées par les incertitudes quant au siège de la future « Collectivité Européenne d’Alsace – CEA ». Quand donc le Parlement Européen retrouvera-t-il normalement le siège strasbourgeois que le Traité de Maastricht lui a fixé en 1997 ? Quelle ville deviendra le siège de la CEA ?

Le retour des postures des « politiques » – Un double débat qui agite et agitera encore dans les semaines à venir le monde politique et économique strasbourgeois dans un climat propice aux débats compte tenue des échéances proches : deux sessions du Parlement Européen qui devraient se tenir en octobre à Strasbourg, des élections pour renouveler le 27 septembre la moitié du Sénat, la mise en place le 1er Janvier de la « Collectivité Européenne d’Alsace ». Sans compter trois autres échéances qui conditionnent déjà les positions – pour ne pas dire les postures – des représentants du monde politique : des élections, au mois de mars, pour le renouvellement des élus de la collectivité régionale dite du « Grand Est » et pour l’élection – une première – des élus des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin fusionnés au sein de la CEA.

Sans compter, troisième rendez-vous électoral majeur : les élections présidentielles au printemps 2022 ! Le tout alors que les élections municipales viennent de renouveler les conseils municipaux en portant notamment une maire écologiste à la tête de la municipalité strasbourgeoise.

Quand Bruxelles passe en « zone rouge » Covid-19 – Président du Parlement Européen, l’Italien David Maria Sassoli, qui pourtant avait toujours témoigné de sa fidélité aux sessions strasbourgeoises, a annoncé, après le classement en rouge du département du Bas-Rhin, que l’Institution qu’il préside se réunira finalement à Bruxelles pour sa réunion de septembre, une décision qu’il a prise, écrit-il « à titre exceptionnel… par dérogation du calendrier… pour des raisons de force majeure… les risques s’étant significativement accrus pour la santé des députés, des membres du personnel ainsi que pour la population locale ! » Pourtant, même si le groupe « PPE » (centre-droit) du Parlement a été le seul à se prononcer pour le maintien de la session strasbourgeoise, la conférence des présidents de commission du Parlement s’étaient – le jour même où le président Sassoli publiait sa décision – prononcé en faveur de ce maintien, les autorités nationales et locales françaises avaient donné toutes garanties quant à la sécurité sanitaire entourant la réunion à Strasbourg.

Angela Merkel ignore Maastricht. – De plus, Bruxelles était également classée zone rouge et le gouvernement belge avait décidé que les quarantaines appliquées aux visiteurs revenus de zones à risques de Covid-19 ne s’appliqueraient pas aux membres d’institutions européennes ! David Sassoli cédait ainsi aux syndicats, aux lobbyistes ainsi qu’aux députés anti-Strasbourg. Il est vrai que ces derniers, favorables à un siège unique du Parlement à Bruxelles, sont de plus en plus nombreux et il est piquant de constater que ceux qui reprochent à Boris Johnson de vouloir violer illégalement et unilatéralement le Traité instituant le Brexit, s’assoient allègrement sur… les dispositions du Traité de Maastricht.

Comment interpréter, dans ce contexte, ce propos d’Angela Merkel, actuelle Présidente de l’Union Européenne, déclarant à Bruxelles, à la session de juillet déjà détournée de Strasbourg : « J’ai délibérément choisi de venir ici au cœur de la démocratie européenne… » ? Comment l’interpréter si ce n’est comme un soutien au regroupement du Parlement à Bruxelles : un regroupement en faveur duquel elle s’était très officiellement ralliée, tout comme Annegret Kramp-Karrenbauer, dont le mandat de présidente de la CDU devrait s’achever, en décembre, à Stuttgart au congrès de son parti ? Angela Merkel, malgré le plaidoyer pro-strasbourgeois d’Emmanuel Macron et en dépit des Traités, a donc présenté à Bruxelles le programme de sa présidence de l’Union, et Ursula von der Leyen, favorable à Strasbourg, a du présenter dans la capitale belge son discours sur l’état de l’Union !

Barseghian et les « Verts du Parlement Européen » – Ainsi donc la bataille pour le maintien à Strasbourg du siège du Parlement Européen est, une fois de plus, engagée ! Une bataille dans laquelle Jeanne Barseghian, la nouvelle maire écologiste de Strasbourg, a dû s’engager d’entrée de jeu, considérant que le Parlement est « un enjeu majeur pour Strasbourg et la démocratie européenne ». Avec le secrétaire d’Etat aux Affaires Européennes Clément Beaune – venu réitérer à Strasbourg le soutien du gouvernement français – elle « prend acte avec regret de cette décision » (de transfert à Bruxelles de la session). Maire et Secrétaire d’Etat continueront à travailler étroitement ensemble pour permettre un retour rapide du Parlement Européen à son siège, dans le respect des règles sanitaires et sur la base d’un protocole strict. Ancienne Maire de Strasbourg devenue députée européenne, Fabienne Keller essaye de lancer sur Internet un mouvement « Mobilisons-nous pour le siège du Parlement Européen à Strasbourg ».

Les prises de position favorables au retour du Parlement Européen se sont multipliées dans la capitale alsacienne alors que, à la surprise générale, les « Verts » se sont faits plus discrets dans leur opposition traditionnelle à Strasbourg acceptant même de siéger (« mais dans une configuration de présence au strict minimum ») sur les bords du Rhin si la décision de maintien de la session avait été prise. Apparemment, une forme de solidarité avec la nouvelle municipalité verte strasbourgeoise s’est esquissée ! Une occasion de rappeler que les « Verts du Parlement Européen » se sont, certes, toujours prononcés en faveur d’un siège unique pour l’Institution, ils avaient été les seuls à refuser de se prononcer en faveur de Strasbourg lors des dernières élections européennes !

Retrouver le soutien des voisins allemands. – Le respect des Traités continuera -t-il à être le seul argument invoqué côté français, en faveur de Strasbourg où cette dernière, dans l’espoir de pouvoir proposer ces nouveaux locaux à d’éventuelles extensions voire au déménagement d’instances européennes bruxelloises, la municipalité poursuit la construction de la première tranche (15.000 m2 à livrer fin 2021) d’Osmose, l’ensemble immobilier qui s’élèvera face du Parlement. Osmose, un sacré pari lancé par la municipalité avec un (trop) rare courage pour le cas où la nécessaire réhabilitation des locaux du Parlement à Bruxelles le pousserait à déménager. Les circonstances actuelles imposent une nouvelle mobilisation pour sauver un siège sans cesse chancelant : la nouvelle municipalité y semble prêter.

Pourra-t-on rattraper le temps perdu et retrouver les soutiens (notamment allemands) qui étaient assurés hier et qu’on a perdus à cause – notamment – de cette sorte d’indifférence (la participation française aux réunions des euro-districts en est un symbole patent) affiché vis à vis des voisins allemands ! Saura-t-on investir davantage que les 50.000 euros budgétés en 2013 pour une « task force Europe » censée faire du lobby en faveur du maintien du siège ? Saura-t-on enfin mobiliser l’opinion enfin informée de ce que représente la présence du Parlement sur le plan économique en particulier (emplois, investissements immobiliers, dépenses sur place, retours d’image). La levée du doute quant à l’avenir aura un prix !

Un créneau pour Colmar et sa Ministre ? – La levée des doutes qui pèsent encore sur la « Collectivité Européenne d’Alsace » aura, elle aussi, un prix. Et voilà que se trouve menacée, une fois de plus, la belle unanimité qui jusqu’ici semblait préserver la CEA des divisions qui, en 2013, s’étaient traduites par l’échec du referendum sur la fusion des départements alsaciens ! Encouragée en sous-main par le nouveau maire de Colmar qui reprend les thèses de son prédécesseur (!), la querelle qui s’engage, porte sur le siège de la CEA : Strasbourg ou Colmar ?

Alors que la préférence des pouvoirs publics allait, apparemment, vers Strasbourg, l’entrée au gouvernement de Brigitte Klinkert, ancienne présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin, semblait privilégier la solution colmarienne, à telle enseigne qu’Eric Straumann, le nouveau maire de Colmar, annonçait dans une interview que les discussions en cours privilégiaient cette solution. Finalement, l’ordonnance qui créera la CEA parle d’un « siège provisoire » installé à Strasbourg, au siège du Conseil Départemental. Rien n’est encore perdu pour la métropole alsacienne. Rien n’est gagné non plus pour une ville qui est déjà le siège de la région Grand Est !

Ministre de l’Europe : un bureau à Strasbourg – S’il paraît évident que la présence de Brigitte Klinkert au gouvernement risque de peser, en l’état, sur cette … autre affaire de siège, c’est finalement l’assemblée fusionnée dont les membres seront issus des élections départementales de mars prochain, qui tranchera. Tout comme elle tranchera l’autre querelle qui divise. Il s’agit de savoir qui sera le premier président de la CEA et ce futur président sera-t-il élu pour la durée d’un mandat (6 ans) ? Président actuel du Conseil Départemental du Bas-Rhin et futur candidat, Frédéric Bierry plaide pour un mandat de 6 ans tandis que Brigitte Klinkert marque sa préférence pour une présidence tournante Bas-Rhin/Haut-Rhin de trois fois deux ans ! Si les « papas » d’Astérix, le gaulois, cherchaient un sujet pour une prochaine publication, ils trouveraient peut-être sur les bords du Rhin de quoi nourrir leur… imagination ! En attendant, on peut espérer que l’inconfortable situation d’une ville assise, en quelque sorte, entre deux sièges, évolue le plus favorablement possible dans l’intérêt des Strasbourgeois !

Pompier de service, commis d’office, Clément Beaune a confirmé à Strasbourg que le siège parlementaire strasbourgeois bénéficiait du soutien total d’un gouvernement qui envisage même de demander des compensations (?) pour les sessions non tenues et Jacqueline Gourault, Ministre de la Cohésion des Territoires, a tenu à souligner officiellement que le siège strasbourgeois de la CEA était bien provisoire et que la décision finale appartiendra aux élus du mois de Mars. A propos, on pourrait suggérer à la Maire de Strasbourg de proposer à nouveau, au secrétaire d’Etat aux Affaires Européennes, de réoccuper le bureau (jamais occupé !) que, fort obligeamment, l’ancien maire de Strasbourg avait proposé à l’un de ses prédécesseurs !

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