Pecunia non olet – l’argent n’a pas d’odeur

Certains s'agitent à Strasbourg, suite à la décision de la maire Jeanne Barseghian de vérifier les origines des fonds attachés à l'attribution du titre de « Capitale de la Démocratie ». Ils ont tort.

La maire de Strasbourg Jeanne Barseghian avait parfaitement raison d'imposer des vérifications concernant le titre de "Capitale de la Démocratie Européenne". Foto: Eurojournalist(e) / CC-BY-SA 4.0int

(KL) – « Pecunia non olet » dit-on, l’argent n’a pas d’odeur. Mais cette phrase est fausse, et il convient de se souvenir de ce qui s’était passé à Strasbourg en 1996. En cette année, on s’était rendu compte que le 33e Prix Alfred Töpfer, décerné à des personnalités méritantes dans le franco-allemand et sur les questions européennes, était financé par une fondation du même nom dont les fonds provenaient d’activités opaques d’un certain Alfred Töpfer durant la IIe Guerre Mondiale. Pendant de longues années, de nombreuses personnalités dont Raymond Barre ou Helmut Schmidt, avaient accepté ce prix, sans se rendre compte de l’origine de sa dotation. Heureusement, avant qu’un buste à l’effigie d’Alfred Töpfer n’ait pu être érigé à l’entrée du Conseil d’Europe, des historiens avaient mis en lumière le financement de ce prix qui, somme toute, était un véritable scandale.

Alfred Töpfer, le donateur du prix Töpfer, était un personnage qui travaillait pour et avec les ténors nazis. Il avait contribué à piller des œuvres d’art en France, exploité une usine à chaux vive en Pologne (cette chaux vive était utilisée dans des tombeaux de masse en Pologne) et avait une vision européenne terrible. Le « Grand Européen » Alfred Töpfer rêvait d’une Europe pan-germanique et ses agissements étaient tels qu’il avait même été incarcéré un moment par les nazis pour des opérations criminelles dans le domaine des devises. Le prix que décernait la fondation portant le nom d’Alfred Töpfer était un scandale, et pendant de longues années, les lauréats contribuaient – à leur insu – à faire une sorte d’apologie d’un homme qui, entre autres, eut en son temps l’habitude d’accueillir les Himmler, Göring & Cie pour des vacances en son domaine dans le nord de l’Allemagne.

« La maire veut casser le statut européen de la ville de Strasbourg », pouvait-on lire ces derniers jours sur les réseaux sociaux. De nombreux responsables politiques ont publié des lettres ouvertes, reprochant à la nouvelle maire de ne pas être à la hauteur de son poste. Ils se trompaient. Non, la maire n’a pas « refusé » ce titre de « Capitale de la Démocratie » et sa dotation de 10 millions d’euros, mais elle a demandé un délai aux organisateurs privés de ce prix afin d’effectuer les vérifications qui s’imposent et de consulter la population strasbourgeoise. Ce choix de ne pas se ruer aveuglément sur un nième titre de « capitale », pour l’ajouter à la longue liste strasbourgeoise, force même le respect.

Bien entendu, rien ne nous dit pour l’instant que les fonds accompagnant ce titre de « Capitale de la Démocratie » proviennent de sources douteuses, mais la maire et ses équipes font leur devoir en vérifiant à la fois l’origine de ces fonds, l’identité des organisateurs et le programme que ces derniers proposent.

Ce n’est pas le nouvel exécutif qui affaiblit le statut européen de Strasbourg, car cet affaiblissement a commencé il y a longtemps. Pendant des années, les édiles de la ville ont contemplé la question européenne depuis de jolis buffets, de belles réceptions et de sympathiques voyages. Où était Strasbourg dans le dossier du « Brexit » ? Quelle initiative Strasbourg a- t-elle pris pour asseoir ce rôle européen ? Qu’à fait Strasbourg pour les citoyens et citoyennes européens ? Pourquoi le « Forum Mondial de la Démocratie » s’est-il tellement dégradé depuis ses deux premières éditions, quand le Secrétaire Général de l’ONU, des Prix Nobel et de douzaines de chefs d’états et de gouvernements étaient alors venus à Strasbourg ? Pourquoi ne viennent-ils plus depuis ? Peut-être à cause d’un manque d’ambition flagrant ? S’auto-décerner tous ces titres ronflants de capitale de ceci et de cela, n’a jamais renforcé le statut européen de la ville.

Oui, il y a du changement à Strasbourg, un changement qui bouscule les habitudes et qui dérange donc fortement ceux qui s’étaient si bien installés dans un système où les gens de bonne compagnie géraient souvent leurs affaires lors de repas luxueux. Aujourd’hui, un vent nouveau souffle sur la ville, les « réseaux » ne fonctionnent plus et certains ayant bien profité pendant des années de ces dits réseaux, commencent à paniquer.

Qu’on laisse ce nouvel exécutif prendre ses marques, qu’on le laisse développer la démocratie locale, qu’on lui accorde du crédit. Que ceux accusant aujourd’hui la maire de vouloir « casser Strasbourg », reviennent un peu à la raison. Jeanne Barseghian, enfant de la génération Erasme au CV franco-allemand et européen, ne s’est pas laissée élire pour « casser la ville ». Pour insinuer une telle ineptie, il faut vraiment être au comble du désespoir ! Désespoir de voir ses propres réseaux d’intérêts s’évaporer, peut être ? Et si la ville entrait maintenant dans une ère où corruption, copinage et intérêts personnels ne seraient plus de mise ?

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