Pétain menteur de la Grande Guerre ?

On ne prête qu’aux riches ; la guerre est une défaite essentielle

Quand elle est abreuvée de sang et jonchée d'ossements, la terre ne ment pas, en effet. Elle dit : JUSTICE et FRATERNITE. Foto: Imagerie du Maréchal / Wikimédia Commons / CC-BY-SA PD

(MC) – Célébrer le « vainqueur de Verdun » tout en condamnant le fasciste antisémite dont les nazis eux-mêmes déploraient l’excès de zèle ? Assurément non. Mais … Pétain est-il vraiment le “Vainqueur de Verdun” ? Certes non. Il n’y a de toute manière de vainqueur que très relatif, au vu du nombre de victimes.

Comme d’habitude en France, citoyens et dirigeants politiques s’étripent au nom de phrases toutes faites, d’énoncés à l’emporte-gueule. Mais encore faudrait-il s’interroger sur la pertinence de ces jugements. Pour cela, relisons tout de même un peu les travaux des historiens !

Sans même nous prononcer, à cause d’une pudeur qui nous est innée, sur la pertinence qu’il y a à célébrer un tronçon de Pétain en ignorant son moignon le plus pourri, interrogeons nous sur l’exactitude de cet article de catéchisme pour Français paresseux. Pétain, le vainqueur de Verdun? L’humanité de Pétain après le Chemin des Dames ? Voilà les deux poncifs qu’on inflige aux Français depuis… depuis 1917. La réalité est assez différente, diront ceux qui aiment les euphémismes.

Le général Pétain prend le commandement général de l’armée française le 25 février 1916 exactement. Sa légende commence dès ce jour là. Grâce à ses merveilleuses qualités de chef ? Non. Bien davantage par l’opération, non pas de l’Esprit-Saint, mais d’une campagne de presse largement orchestrée par les politiciens au pouvoir.

Les vrais « vainqueurs de Verdun », ce sont le général Castelnau, l’adjoint de Joffre, et le général Nivelle. Le 21 février, une offensive allemande a incité Joffre, le commandant en chef, à la prudence : il craint que cette attaque soit destinée à occuper les réserves françaises pour permettre une attaque dégagée alors, dans une offensive plus importante. Les troupes françaises reculent durant 4 jours après l’attaque du 21. Les Allemands campent sur la rive droite de la Meuse endormeuse. Joffre, cauteleux, veut installer l’état-major très au sud, à Bar le Duc, et craint visiblement que la rive gauche de la Meuse soit prise très rapidement par les Fridolins (on disait comme ça à l’époque). Pétain est attendu au GQG, à Chantilly, le 25 au matin.

Mais c’est long et c’est lent : l’heure tourne, le rythme s’accélère. Castelnau réveille son adjoint Joffre dans la nuit du 24 au 25 et se rend lui-même à Verdun. Il prend une initiative audacieuse : il commande au 20e corps de traverser la Meuse et de s’installer sur la rive droite. Très risqué, lui dit-on : les Allemands risquent de les encercler et de les réduire en bouillie. Mais Castelnau passe outre. Des renforts arrivent. Les Schleuh (on disait comme cela) sont stoppés. Grande victoire !

Mais où est Pétain ? Ce grand visionnaire gravement préoccupé par le sort de la guerre est à l’hôtel Terminus, en face de la Gare du Nord, à sabler le champagne avec des bedides matames. Enfin, après toute une journée de voyage, il rejoint Castelnau à Souilly, sur la Meuse. Il est censé défendre la rive gauche et la rive droite, mais l’ordre de Castelnau a déjà été transmis. Premier mensonge de Pétain : le mérite de cette victoire ne lui revient nullement, contrairement à ce qu’il affirme dans ses souvenirs. En réalité, Pétain a passé beaucoup de temps à tousser au fond d’un lit, dans la demeure du notaire de Souilly, parce qu’il avait pris froid lors de son déplacement.

Qui est Pétain ? Fin février 1916, pas grand monde ne le connaît. En mars, en revanche, tout le monde le connaît : c’est qu’il a bénéficié d’une campagne médiatique gigantesque. Pourquoi ? En réalité, Joffre contrôlait les médias et interdisait toute célébration autre que la sienne propre. Les dirigeants politiques, qui ne dirigeaient plus grand-chose, participaient largement de cet état de fait et y contribuaient activement. Propagande militaire et propagande d’État… A partir de 1916 et de Verdun, cette situation se modifie : on a besoin de glorifier la défense et la résistance contre les Doryphores (c’est ainsi que, etc). Joffre commence à ne plus être très sexy, après ses échecs de l’année précédente et la terrible avancée des Allemands le 21 février. Clemenceau l’attaque en termes très virulents. Joffre ne reste à son poste que parce que se prépare la Bataille de la Somme.

Ainsi, les dirigeants politiques français se détournent de Joffre et concentrent leurs efforts sur la personne du Picard moustachu aux yeux bleus. La presse se jette dans les bras de Pétain pour le célébrer et rapporter ses vilains propos sur le commandant en chef. Déluge mielleux : Maurice Barrès, Louis Madelin, Henry Bordeaux le portent aux nues.  « Il est créé et mis au monde pour le commandement », écrit ce dernier, qui n’en peut plus. Un chef, quoi, un vrai. Le président de la République Raymond Poincaré lui rend visite 6 fois. D’autres sont plus lucides : le colonel Jacquand parle d’une « hypertrophie du moi » chez ce prétentieux de Pétain. Jacquand, clairvoyant, écrit encore : « J’ai la conviction qu’on chauffe un successeur dans la personne de Pétain » … Son portrait apparaît à la une des grands canards de l’époque, en noir et blanc, en couleurs et le regard fixé sur la ligne bleue, là, vous savez.

Pétain râle sans cesse et ne cesse de réclamer plus de matériel et plus de moyens. Ses propos sont rapportés partout avec complaisance. Et Joffre devient jaloux, ce qui n’est pas gentil. Il l’écarte en lui donnant un poste plus important encore (chef du groupe des armées du centre), une pratique que l’on connaît bien dans la fonction publique. Le général Nivelle le remplace. Mais Pétain ne cesse de se montrer à Souilly pour y exposer ses pesants et déprimants conseils.

L’attitude de Pétain, en effet, est obstinément pessimiste, prédisant sans cesse le pire , excessivement cauteleuse ; elle apparaît même comme défaitiste,et cela au niveau le plus élevé. On y commence à craindre sa vilaine influence. Ainsi, le 31 mai 1916, lors d’une rencontre avec Poincaré et Haig, le chef de l’armée anglaise, il déclare que Verdun sera pris ! Poincaré hurle à l’« entreprise de démolition », Haig estime que Pétain est un homme fini. Le 7 mai, Pétain écrit même à Joffre que l’armée française est usée, et qu’elle va perdre. En juin, le « Vainqueur de Verdun »va jusqu’à conseiller à Nivelle de se replier sur la rive gauche de la Meuse… Pas un mot de cette cautèle paniquée dans les souvenirs de Pétain.

En réalité, le vainqueur de Verdun, c’est le général Roger Nivelle. Joffre l’écrit d’ailleurs à plusieurs reprises, notamment dans ses Mémoires. Dans la 2e moitié de 1916, c’est lui qui a reconquis tout le terrain pris par les Allemands. Le 24 octobre, il reprend Douaumont. Le Le 15 décembre, passant outre les conseil gnangnans du Picard bourru, il repousse les Allemands très loin. Il fait plus de 11 000 prisonniers allemands. Au prix de combien de morts, cependant ? Au prix du nombre astronomique de 163 000 morts.

Hélas ! Au Chemin des Dames, en avril 1917, tombant dans cette faute logique si chère aux généraux français qui est de croire que ce qui réussit une fois réussira toujours, Nivelle mène l’offensive imprudemment et perd la bataille – si du moins on peut parler de bataille. 200 000 morts pour rien. Des mutineries éclatent. Des mutins par dizaines seront exécutés ; Poincaré exercera cependant très souvent son droit de grâce. Nivelle est relevé, le 15 mai, par… Pétain.

Et ce dernier y gagne la réputation d’avoir résolu le problème des mutineries en se montrant humain, augmentant le rata, etc. Ce qui est partiellement vrai. Mais précisons que le pic du nombre des mutins se situe après sa prise de fonction, en juin 1917.

En somme, le maréchal Philippe Pétain n’est nullement « le Vainqueur de Verdun ». Otez vous cela de la bouche, je vous prie, ou passez votre chemin.

Un excellent article à ce sujet : Pétain, l’imposteur de Verdun, Jean-Yves le Naour, Historia, février 2016.

 

 

 

 

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