Pietro avait raison

Pas loin de trois décennies plus tard, certains propos du communiste italien Pietro Ingrao demeurent d’une criante vérité.

Pietro Ingrao (à droite) en 1977 avec le chef des communistes chiliens Luis Corvalàn. Foto : dati.camera.it / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – A l’heure où les partis dits post-fascistes, mais plus exactement néo-fascistes, ont le vent en poupe en Europe, en France comme dans d’autres pays, certain(e)s à gauche se fendent d’imprécations dignes de psaumes bibliques. C’en serait risible si, au regard de la géopolitique mondiale, la situation n’était pas si dramatique. Les nationalismes portent en eux le germe de la guerre, mais deux conflagrations mondiales n’ont visiblement pas suffit à nous l’apprendre.

Umberto Eco n’est pas plus entendu ici qu’ailleurs, mais il serait bien trop facile pour nous et aussi infiniment trop glorieux pour eux, d’attribuer la réussite de leur avancée aux seuls néo-fascistes. Si ces mouvements et partis d’extrême-droite obtiennent, malgré l’abstention, un tel crédit aujourd’hui, ce n’est pas non plus la faute des abstentionnistes, car là encore, on en revient toujours à rejeter la responsabilité de notre propre malheur sur autrui. Un « autrui » qui, même s’il s’abstient de voter, n’en demeure pas moins notre concitoyen.

Dans une interview accordée en 1996 à José Fort pour l’Humanité, Pietro Ingrao (1915-2015), qui fut en Italie élu à la Chambre des Députés de 1948 à 1992 qu’il présida de 1976 à 1979, et rédacteur en chef de l’Unita, organe du Parti Communiste Italien, faisait un bilan très lucide du glissement s’opérant dans nos sociétés occidentales depuis les années soixante-dix. Époque où les partis politiques de gauche avaient encore du poids, alors qu’aujourd’hui, ils sont pour beaucoup quasiment à l’os.

Le bloc social formé par l’alliance des ouvriers, des paysans, des salariés des PME et de la classe moyenne, s’est désagrégé pour notamment laisser place à l’égoïsme des classes et aux illusions des castes, parce que le capitalisme a su s’adapter très vite aux mutations géopolitiques. Mais si les puissances d’argent ont réussi cette manœuvre, c’est parce qu’en face, il n’y avait plus rien ni personne de suffisamment fort et lucide pour s’y opposer.

Mieux que cela, la gauche a été, d’une certaine manière, l’artisan de sa propre déroute : « Nous avons subi une défaite non seulement parce que nous n’avons pas su constater à temps les dégâts historiques commis par notre propre camp et parce que nous n’avons pas compris les nouvelles initiatives de l’adversaire. » Des paroles prononcées en 1996, qui demeurent d’une sinistre actualité, alors qu’entre temps, il y aurait eu moyen de réagir.

Or la gauche, dans son ensemble, s’est surtout engagée dans des luttes sociétales certes nécessaires, mais en désertant le terrain des luttes sociales. En clair, à quoi bon avoir le planning familial et le mariage pour tous, si le frigo est vide arrivé au quinze du mois et les congés payés restent un vague souvenir des jours heureux ? Dire que nos concitoyens se fascisent parce qu’ils votent à l’extrême-droite, relève de l’erreur de jugement grossière et revient une fois de plus, à rejeter sur autrui la responsabilité de nos propres erreurs.

Alors que la Russie traversait, lors de la Première Guerre Mondiale, une crise terrible, un chauve surnommé Lénine n’est pas allé donner au peuple des cours de sciences économiques et politiques. Il a fondé son programme sur deux mots très simples, compréhensibles par tous, deux mots et deux choses indispensables à la vie : pain et paix. Pas de drapeaux rouges ni d’Internationale, mais deux choses auxquelles tout le monde aspire : manger à sa faim et vivre paisiblement.

Si l’extrême droite fait aujourd’hui florès, c’est notamment parce qu’elle promet du pain et la paix, mais seulement pour certains : les bons (inscrivez la nationalité qui vous convient), quitte à pour obtenir cela… passer par la guerre. Jamais, quand elle fut au pouvoir, l’extrême-droite ne remit en cause les intérêts du Kapital. Elle en fut le bras armé quand la droite, ayant tout de même quelques principes, refusait de se salir les mains.

Le néo-tsar Poutine, admiré jusqu’ici par beaucoup d’électeurs et de politiques d’extrême-droite (et aussi d’extrême-gauche), a-t-il aidé les ouvriers à remplir leur frigo en Russie ? Et depuis qu’il s’est lancé dans une hallucinante « opération spéciale » débouchant sur une « mobilisation partielle » mais quasiment générale, a-t-il apporté la paix à ses concitoyens ?

Tout cela, nous le savons bien, mais en Europe et notamment en France où ce dictateur fait malgré tout des émules, qui et qu’y a-t-il en face ? La France, tout comme l’Union Européenne, est dirigée par la droite, même si depuis les dernières échéances électorales, son président a les coudées moins franches que lors du précédent mandat. Quand il ne donnera plus satisfaction à la main mystérieuse du CAC 40, il sera remplacé par un pantin d’extrême-droite, et ceci d’une manière toute démocratique.

Il est grand temps que la gauche, en France comme dans le reste de l’Union Européenne, renonce à la bataille de égaux pour se rassembler autour d’un programme simple et une fois élue, s’y tienne : pain et paix. Même si la paix semble actuellement très incertaine, permettre à chacun de vivre dignement en apportant sa contribution à la société, n’est pas une vue de l’esprit, car en des temps par certains côtés plus difficiles, comme au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale, d’autres l’ont fait avec le programme du Conseil National de la Résistance, seul CNR digne de ce nom.

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