« Plan Périclès », mais pas que…

A coups de millions d’euros, un projet d’envergure vise au cours des dix prochaines années, à promouvoir les « valeurs de l’extrême-droite » en France, afin de l’installer au pouvoir. Mais cette opération dépasse le cadre strict des élections, et ne repose pas que sur les tenants du RN-ex-FN.

Le Plan Périclès se déroule, alors qu’une partie de la gauche dite de gouvernement, a tourné le dos à l’électorat ouvrier... Foto: SpinningSpark / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Jean-Marc Claus) – L’Humanité révélait il y a peu, dans un dossier et aussi une vidéo disponible sur son site internet, l’existence du plan dit Périclès. Un programme visant à coups de millions d’euros, durant les dix prochaines années, à promouvoir les « valeurs de l’extrême-droite » en France. Il s’agit non seulement de porter le RN-ex-FN au pouvoir, mais aussi d’installer ses idées dans la tête des populations. Ce que le journaliste, philosophe et théoricien politique Antonio Gramsci avait développé au siècle dernier, par le concept de conquête de l’hégémonie culturelle.

Or, Gramsci était communiste, ce qui lui coûta la prison puis la vie, au temps de l’Italie fasciste. Mais l’extrême-droite étant par nature incapable d’une quelconque conceptualisation ou idée neuve, il n’est pas rare qu’elle recycle des thématiques de gauche, pour les accommoder à sa sauce. Défense du pouvoir d’achat, abrogation de la réforme macroniste des retraites, alors que cette formation politique est le chien de garde du Kapital, ça devrait pourtant se voir comme le nez au milieu de la figure… de Pinocchio !

Avec le « Plan Périclès », la démarche est beaucoup plus subtile, et des émissions de télé-poubelle comme les talk-shows d’un animateur à le bonhommie factice, participent pleinement à cette opération d’envergure. Patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens, libéraux, européens, souverainistes, tels sont les éléments, contradictoires pour certains d’entre eux, mis en avant dans l’acronyme Périclès.

Selon l’Humanité, Pierre-Édouard Stérin, milliardaire français exilé fiscal, est le financeur de ce projet, mais il ne faudrait pas qu’à l’image d’un Vincent Bolloré, dont on connaît aussi l’appétence pour les « valeurs d’extrême-droite », il devienne l’arbre cachant la forêt. Cibler des personnes, comme le fait avec Georges Soros l’extrême-droite, notamment étasunienne et russo-hongroise, revient à employer les mêmes méthodes abjectes.

Quand on pense qu’il suffirait que les gens ne les achètent plus, pour que ça ne se vende pas !, s’exclamait Coluche. Et bien oui, mais le mal est déjà fortement enraciné dans la société française, grâce à la conquête de l’hégémonie culturelle, engagée depuis bien avant l’existence du « Plan Périclès ». Arriver à ce qu’en 2024, plus de dix millions d’électeurs votent pour un parti d’extrême-droite, dont la forme initiale était ultra-minoritaire dans les années soixante-dix, ne s’est pas fait par un claquement de doigts.

Il y eut non seulement la dédiabolisation-ripolinisation du FN-futur-RN, opérée avec succès par la fille du commandeur, mais aussi sous l’impulsion du think tank Terra Nova, l’abandon de l’électorat ouvrier par une partie de la gauche dite de gouvernement, ainsi que la priorité donnée aux luttes sociétales sur les luttes sociales. La nature ayant horreur du vide, les idées d’extrême-droite ont supplanté celles de la gauche dans l’esprit de beaucoup d’électeurs, mais pas que d’électeurs.

La conquête de l’hégémonie culturelle vise les individus bien avant qu’ils soient en âge d’être électeurs. Tous ces jeunes qui ont voté pour Jordan Bardella et des candidats RN-ex-FN lors des deux dernières séquences électorales, ne se sont pas un jour réveillés groupies voire même militants. Il y eut, notamment via les réseaux sociaux et certains médias, tout un travail préparatoire les visant spécifiquement.

En 2015, le chercheur Gaël Brustier commençait son très lucide et intéressant essai intitulé « A demain, Gramsci » avec le constat que comme l’avait reconnu le Parti Socialiste (PS) dans son dernier congrès tenu alors à Poitiers, la gauche n’était plus en situation d’hégémonie culturelle. Avec en 2007, l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, après l’habille torpillage de la possible candidature de Dominique de Villepin, c’est une droite dure et affairiste qui, en prenant les commandes du pays, fut-ce à l’insu de son plein gré, a préparé les esprits à l’extrême-droitisation d’une partie conséquente de la population.

Depuis, les plutôt rares, mais toujours précieuses prises de parole de Dominique de Villepin, montrent à quel point, s’il avait accédé à la magistrature suprême, les trajectoires des droites auraient été différentes et donc dans l’opinion publique, les concepts relatifs à ces mouvements politiques. Si l’extrême-droite a jusqu’ici gagné la bataille de l’hégémonie culturelle, c’est aussi parce que, perdant sa boussole idéologique, la droite en est maintenant réduite à servir de force politique d’appoint, qui à Marine Le Pen et qui à Emmanuel Macron.

Pourtant, lors des dernières législatives, il s’est dégagé pour le Nouveau Front Populaire (NFP) que les commentateurs n’avaient pas vu arriver, une majorité certes relative, mais pourtant bien réelle, et suite à un barrage républicain, probablement le dernier s’avérant quelque peu efficace, l’extrême-droite glissa de la première à la troisième position. Or, le pouvoir macroniste, qui au second tour a sauvé ses candidats grâce à un report de voix essentiellement de gauche, s’installe chaque jour un peu plus dans un déni de démocratie à l’image de ceux pratiqués par les forces réactionnaires des USA et du Brésil, serrant les rangs derrière des autocrates tels que Jair Bolsonaro et Donald Trump. Hégémonie culturelle de l’extrême-droite, avions nous dit ?

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