Plein écran : « Drive My Car » du Japonais Ryûsuke Hamaguchi ou comment traduire la vie

Festival de Cannes : Esther Heboyan a vu pour vous le film japonais « Drive my car » de Ryûsuke Hamaguchi. Un outsider pour la Palme d’Or ?

La Saab rouge joue l'un des rôles principaux dans ce film... Foto: FDC / Production

(Esther Heboyan) – Trois heures de film nous amènent sur les routes de Tokyo et d’Hiroshima qui deviennent les métaphores des chemins de la vie, à la fois tangibles et évanescentes. Au bout du voyage, on doit accepter qu’on ne peut sonder le cœur des autres, mais qu’on peut vivre avec les fêlures de son propre passé. Tiré d’une nouvelle de Haruki Murakami, le film s’intéresse d’abord à Oto dénudée (Reika Kirishima) qui, après l’orgasme, invente des scénarios pour la télévision. Puis la caméra révèle le mari Yusuke (Hidetoshi Nishijima) qui l’enlace et l’écoute. Dans une ambiance feutrée, subtile, digne de l’esthétique japonaise décrite par Junishirô Tanizaki dans Louange de l’ombre, leur intimité est ainsi rythmée, ritualisée.

La mise en scène de l’entente parfaite du couple n’est que la strate en surface d’un bonheur depuis longtemps gâché et qui sera à nouveau bouleversé par la mort soudaine de la femme. Alors, l’homme, qui est acteur et metteur en scène de théâtre, s’en va monter Oncle Vania d’Anton Tchekhov dans un festival à Hiroshima. L’œuvre dans l’œuvre occupera une grande place jusqu’à la fin pour servir de miroir aux êtres, pour nouer et dénouer les drames de l’existence. Le film est d’une grande intensité tant émotionnelle qu’intellectuelle avec en prime, des sinuosités dans le récit, car rien ne se passe comme prévu.

La Saab rouge que Yusuke aime conduire, file impétueusement sur les tracés lisses du Japon à la faveur de larges plans aériens. Une fois en résidence d’écrivain à Hiroshima, Yusuke doit se laisser conduire par la jeune et taciturne Misaki (Toko Miura) qui, comme un point d’orgue à leur détresse commune, lui montrera les ruines de sa maison d’enfance dans un paysage neigeux. Assurément, l’une des plus belles séquences du film, renforcée par un silence absolu. Auparavant, un très beau plan nocturne en plongée sur le toit ouvert de la Saab, avec seulement deux mains tenant chacune une cigarette, suggérait le premier alignement de deux êtres en quête de catharsis.

Dans ce film qui fouille les réalités intérieures de personnages happés, portés par l’espace/les espaces d’une vie, les vérités d’Anton Tchekhov finissent dans la bouche d’une muette, d’une actrice coréenne non-professionnelle qui s’exprime en langage des signes, tandis que son mari, polyglotte et bienveillant, veille à l’organisation du festival de théâtre. Hamagushi peut prétendre à la Palme d’Or.

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