Plein écran : « Memoria », des ossements millénaires aux empreintes sensorielles

Un dépaysement en Colombie... Foto: ©Kick the Machine Films, Burning, Anna Sanders Films, Match Factory Productions, ZDF Arte and Piano, 2021

(A Cannes, Esther Heboyan) – Avec Memoria, le Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, déjà primé à Cannes pour Oncle Boonmee (2010), nous conte une étrange histoire de bruits, de sons et de musiques dans un pays qui n’est pas le sien, la Colombie. Tourné en anglais et en espagnol, le film met à l’honneur Tilda Swinton, longiligne, spectrale, énigmatique comme dans Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch. Le rôle de Jessica hantée, tourmentée par une détonation et d’autres traces sonores dans sa mémoire a été écrit sur mesure. Et donc à Bogota où elle est venue rendre visite à sa sœur malade, puis à Pijao, une petite ville dans les montagnes, Jessica explore, sans en avoir l’air, le mystère de ses perceptions et sensations.

Weerasethakul nous propose une suite de stases – de longs plans fixes, avec Swinton tantôt immobile comme si elle venait de se glisser inopinément dans le cadre, tantôt traversant l’écran comme si elle était envoûtée. Le récit atteint une extrême lenteur proche du cinéma expérimental. Une lenteur que les uns appelleront poétique, que les autres trouveront insoutenable. Car la stase ne mène pas toujours à l’extase, ce qui n’enlève rien à la beauté ni à l’intelligence du film.

En fait, pour entrer dans l’univers de Weerasethakul, il faut suivre Magritte, qui de la pomme figurée sur sa toile disait « Ceci n’est pas une pomme ». De Memoria, peut-être faut-il dire « Ceci n’est pas un film, mais l’abstraction poétique d’un film » et se laisser guider par l’enchaînement de tableaux.

Dans une quête plus ambitieuse et par conséquent plus déroutante que celle du Finlandais Juho Kuosmanen qui s’en est allé en Russie, le cinéaste asiatique devient l’archéologue d’une région du monde et du passé de l’humanité, des destinées individuelles et de l’histoire de la Colombie.