Plus de 400 Serbes manifestent contre la corruption
La semaine dernière, 80 étudiants serbes ont organisé une marche du Conseil de l’Europe jusqu’au Parlement européen avec un but précis - envoyer un message fort à l’Europe et réclamer une pression sur le président serbe, Aleksandar Vučić.

(Félicia Dassonville / Lisa Canastra) – Réveiller l’Europe, c’est ce qu’espèrent les Serbes. Mardi dernier, 80 étudiants serbes sont arrivés à vélo après un long périple de 1 400 km et en traversant quatre pays d’Europe, avec pour objectif de dénoncer la corruption qui ronge leur pays, l’absence de poursuites judiciaires et pour soutenir la démocratie. Ces mêmes étudiants ont organisé mercredi une marche symbolique allant du Conseil de l’Europe jusqu’au Parlement européen pour appeler à l’aide et demander à l’Europe d’exercer une pression diplomatique sur le président serbe, Aleksandar Vučić. Plus de 400 Serbes ont répondu présent, selon une source policière.
« C’est le moment d’arrêter ça » – Le 1er novembre 2024, l’auvent en béton de la gare de Novi Sad, tout juste rénové, s’effondre, causant la mort de seize personnes. Pour les Serbes, c’est un événement qui reflète la corruption et marque le début d’une série de manifestations qui inquiète le pouvoir en place du président Aleksandar Vučić, accusé de dérive autoritaire depuis plusieurs années. « Il n’y a pas de coupable, alors que ça s’est produit le 1er novembre, ça veut dire quelque chose quand même. Le Premier ministre et le maire de Novi Sad ont démissionné, mais ce n’est pas suffisant », déplore Zoran, franco-serbe. Selon les manifestants, les rassemblements sont « violemment réprimandés par le gouvernement ». « De nombreux étudiants ont été arrêtés, il y a des personnes qui sont payées pour les frapper, des voitures foncent sur eux. Le 15 mars dernier, des armes soniques ont été utilisées contre les manifestants », révèle Zoran.
« Hier, j’ai voulu regarder les deux chaînes indépendantes serbes N1 et NOVA S qui diffusaient la manifestation et l’arrivée des étudiants à Strasbourg, mais je n’ai pas vu le journal sur Youtube. À priori, le président serbe aurait coupé la diffusion. »
Liliane, aide soignante
« La corruption dans le gouvernement, ça dure depuis treize ans, mais il y en a depuis bien avant en Serbie. Maintenant, c’est le moment d’arrêter ça », explique Lucie*, venue de Suisse pour soutenir les étudiants et exprimer sa colère contre le pouvoir serbe. Un avis partagé par Liliane, aide soignante à Strasbourg et née en Serbie. « La corruption existe depuis bien trop longtemps. Je m’en rappelle quand j’étais plus jeune, on partait en vacances en Serbie. Ce qui m’a toujours choquée, c’est le nombre d’heures qu’on passait à la frontière. Un jour, un garde a pris ma poupée Barbie et j’étais très en colère à ce moment-là », explique l’aide-soignante, visiblement émue. En effet, l’abus de pouvoir s’inscrit depuis longtemps dans l’histoire politique de la Serbie…
De nombreux Strasbourgeois ont rejoint le cortège pour montrer leur solidarité à l’égard du peuple serbe. C’est notamment le cas de Jean-Étienne, marié à une Serbe, « Je soutiens ce qu’il se passe. On a un recul des démocraties partout et on a des pouvoirs populistes qui montent. Pour moi, c’est un exemple et on peut s’y inspirer ».

Manifestants serbes devant le Parlement européen. Foto: © Félicia D
Un virage politique autoritaire sous l’influence du pouvoir pro-russe – Depuis plusieurs mois, la Serbie est secouée par une crise politique et sociale profonde. À la tête du pays, Aleksandar Vučić qui ne cache pas ses affinités pro-russes. En effet, le lien entre Belgrade et Moscou ne date pas d’hier. Historiquement proche de la Russie, la Serbie n’a jamais imposé de sanctions contre Vladimir Poutine depuis le début de la guerre en Ukraine. Les signes de ce virage sont nombreux : la mainmise du pouvoir exécutif sur les institutions, la répression des manifestations, l’intimidation des journalistes indépendants et la réduction de l’espace démocratique. Les contres-pouvoirs sont affaiblis, voire neutralisés. La Serbie est dans un paradoxe profond avec un double langage diplomatique officiellement tourné vers l’Union européenne tout en se rapprochant de Moscou, suscitant de plus en plus de critiques au sein du pays. Comme un vent venu de l’Est, l’influence du Kremlin s’engouffre dans les fissures du pouvoir serbe.
Une adhésion dans l’Union européenne ralentie – Officiellement candidate à l’entrée dans l’Union européenne depuis 2009, la Serbie entame des négociations d’adhésion en 2013, mais celles-ci ralentissent depuis plusieurs années. Le président Aleksandar Vučić, ancien Premier ministre et au pouvoir depuis 2017, reste toujours désireux de l’Union européenne, tout en entretenant des liens particuliers avec la Russie. En décembre 2023, le parti pro-russe Parti progressiste serbe (SNS), formation du président, arrive à la tête des élections législatives, contestées par l’opposition qui dénoncent « des fraudes ». La répression brutale des manifestations par le gouvernement aggrave la situation en Serbie, éloignant un peu plus le pays des standards requis pour intégrer l’Union européenne.
Cependant, l’Union européenne adopte une approche ambiguë, sans forcément dénoncer les dérives autoritaires de Belgrade. Il faut attendre cinq mois après les manifestations pour avoir une réaction ferme de l’Union européenne qui critique ouvertement le gouvernement serbe. « Le pays doit mettre en œuvre les réformes exigées par l’UE, en particulier prendre des mesures décisives en faveur de la liberté des médias, de la lutte contre la corruption et de la réforme électorale. L’avenir de la Serbie se trouve au sein de l’UE », a écrit sur X (anciennement Twitter) Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Pour Fabienne Keller, eurodéputée et présente à la manifestation, « nous étudions l’entrée de la Serbie dans l’Union Européenne et il y a encore beaucoup d’étapes à franchir et la lutte contre la corruption est absolument prioritaire ».
* Le prénom a été modifié pour préserver son anonymat.
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