Polémique : La «Bundeswehr» interviendra-t-elle sur le territoire national contre le terrorisme ?

Face à la menace du terrorisme et les annonces de Daesh de vouloir commettre des actes terroristes également en Allemagne, le débat quant à une éventuelle intervention de l’armée allemande est lancé.

Est-ce que l'armée allemande doit intervenir dans la "lutte contre le terrorisme" sur le territoire allemand ? Foto: US Army / Wikimedia Commons / PD

(Par Alain Howiller) – Malgré sept heures de débats apparemment intenses, la coalition au pouvoir à Berlin n’a pas évoqué ce point particulier du futur «livre blanc de la défense» que Ursula von der Leyen, la Ministre CDU de la Défense prépare depuis des mois. Le point pourtant a fait l’objet de nombreux échanges entre la ministre et son collègue Thomas de Maizière, Ministre de l’Intérieur. Il a même fait l’objet d’indiscrétions (sans doute pas innocentes !) parues dans les médias. Et pourtant, bien que lors de la rencontre CDU/CSU/SPD on ait traité des problèmes de sécurité liés au terrorisme, la question n’a pas été abordée. Il s’agit, bien sûr, du souhait de la partie démocrate-chrétienne de la Grande Coalition, de voir la Bundeswehr autorisée à intervenir dans la lutte contre le terrorisme sur le territoire même de la République Fédérale.

Au contraire de ce qui se passe dans la plupart des pays voisins, la «Constitution / Loi Fondamentale allemande» ne permet pas ce type d’intervention et pour l’autoriser, il faudrait réviser le texte constitutionnel avec une majorité dite «renforcée» des deux tiers des votants du Bundestag et du Bundesrat ! Autrement dit, la révision n’est possible que si les alliés de la coalition s’entendent ! Ce qui, en l’état, n’est pas (encore ?) le cas ! Ce qui est parfaitement légal aux portes de a la République Fédérale, ne l’est pas sur son territoire : parce que, comme aurait pu l’écrire Neil MacGregor, «le passé livre des leçons qui doivent être utilisées usées pour forger l’avenir… (En Allemagne l’histoire ne livre pas seulement)… une image du passé, mais elle éclaire les décisions du présent et sert d’avertissement pour l’Avenir… (Pour les Allemands qui vivent dans le souvenir des actes de leurs ascendants…) l’Histoire même pâlie par le temps reste déterminante»(1).

En l’occurrence, c’est la manière ère dont l’armée a pu être utilisée durant la période nationale-socialiste qui plaide contre une évolution sur laquelle le SPD émet ses réserves.

La «Bundeswehr» un variable d’ajustement budgétaire ? – Les partisans de la révision constitutionnelle n’y voient qu’une évolution liée au terrorisme. Il pourrait s’agir, en quelque sorte, pour paraphraser un propos de Heinrich A. Winkler, tiré d’un contexte somme toute comparable, «d’un élément de la normalisation européenne de l’Allemagne qui a eu pour effet, en 1999, la participation de la Bundeswehr à l’intervention internationale au Kosovo, sous la responsabilité d’un gouvernement fédéral rouge-vert…».

Si comparaison ne vaut pas raison, le contexte dans lequel s’inscrivait la nouvelle polémique née au sein de la coalition -un contexte bien éloigné de ce à quoi faisait allusion l’historien Winkler- ne se coule pas seulement dans un contexte historique : il fait référence à la situation actuelle de la Bundeswehr qui semble bien avoir été, au vu de sa situation matérielle et de son équipement, la «variable d’ajustement» du budget fédéral ! Cela a particulièrement été le cas chez les deux prédécesseurs de von der Leyen : Karl Theodor von und zu Gutenberg, qui a été à l’origine de l’abolition de la conscription et… Thomas de Maizière, auteur, en 2011, d’un plan de réductions d’achats de blindés et de chasseurs !… Ursula von der Leyen a obtenu, dès 2016, de son collègue aux Finances Wolfgang Schäuble, une augmentation substantielle des moyens budgétaires accordés à la défense.

«Depuis la réunification nous avons vécu une atrophie permanente de la Bundeswehr», a souligné la Ministre de la Défense pour appuyer ses demandes de réajustement tandis que Wolfgang Ischinger, Président de la Conférence de Munich sur la Sécurité en Europe, rappelait que le budget de la défense atteignait péniblement 1,17% du PIB en Allemagne en 2015, contre 2,2 % en France et 3,5 % aux Etats Unis et 4,5% en Russie ! En 2014, les membres de l’OTAN s’étaient engagés à consacrer au moins 2% du PIB à leur budget de la défense ! L’euphorie de «l’après chute du Mur» s’étant fracassée contre la volonté de Vladimir Poutine de reconstruire un Empire(3), la situation en Ukraine étant ce qu’elle est, les théâtres d’opérations extérieures se multipliant sous la pression terroriste, la fin de la conscription ayant porté les effectifs de la Bundeswehr en dessous des minimas escomptés fixés à près de 290.000 militaires. Il a fallu réagir : un sentiment partagé aussi bien par Angela Merkel que par Wolfgang Schäuble, trop longtemps réticent !

56% des Allemands favorables ! – 56% des Allemands sont d’ailleurs favorables à un renforcement des moyens de la Bundeswehr : l’opinion ouvre ainsi une brèche dans laquelle la Ministre de la Défense -à laquelle la Faculté de Médecine de Hanovre a rendu son diplôme de médecin un temps contesté- pour réclamer 130 milliards d’euros investis en plus sur 15 ans ! «Nous sommes revenus à une logique de guerre froide», a commenté, un peu isolée, la députée «verte» Agnieszka Brugger.

La publication du «livre blanc de la Défense» relancera inévitablement les débats, tout particulièrement sur le rôle que pourrait jouer la Bundeswehr dans la lutte contre le terrorisme sur le territoire national. «L’appel à la Bundeswehr sur le territoire national ne doit plus être un tabou. Nous ne pouvons plus nous permettre un côte-à-côte de structures indépendantes les unes des autres», a souligné le député Henning Otte, Président CDU du groupe de travail sur la défense et porte-parole de son groupe. «Il faut nous élever contre les œillères des partis : il nous faut un débat ouvert», a commenté Florian Hahn, porte-parole e de la CSU bavaroise.

Le SPD votera-t-il la révision constitutionnelle ? – Côté SPD, histoire oblige, on retrouve les vieux clivages nourrissant la méfiance à l’égard des interventions de l’armée sur un plan intérieur : «L’armée ne doit pas devenir une sorte de force supplétive de la police : elle ne doit pas non plus servir à compenser une éventuelle baisse des effectifs de cette dernière. Les soldats ne sont pas formés pour cela, ils ne sont pas là pour ça !», a souligné le député SPD Hans Peter Bartels, porte-parole du groupe «défense» de son parti. «L’utilisation de la force publique relève, doit continuer à relever de la police… Au lieu de vouloir amener l’armée, déjà sur-employée, à prendre en charge des missions de sécurité intérieure, on ferait mieux de renforcer la police !», a commenté le député Rainer Arnold, spécialiste SPD des questions de sécurité.

Rappelant que l’utilisation sur le territoire national de l’armée, tout comme l’extension des possibilités d’intervention sur les théâtres d’opérations extérieures, exige une réforme de la Loi Fondamentale, Frank-Walter Steinmeier, le Ministre SPD des Affaires Etrangères, s’est contenté d’une sobre déclaration : «Livre Blanc ou pas, le SPD n’approuvera pas une réforme de la Constitution qui autoriserait l’utilisation de la Bundeswehr sur le territoire national !»

Alors le débat est-il déjà clos : fermez le ban ? La parution du «livre blanc» sera un test significatif que les observateurs comme les citoyens suivront avec un intérêt tout particulier !(4)

(1) «Deutschland. Erinnerungen einer Nation» par Neil MacGregor (C.H.Beck Verlag – Octobre 2014)

(2) «Histoire de l’Allemagne. XIXe-XXè Siècle. Le long chemin vers l’Occident» par Heinrich A. Winkler – (Editions Fayard – 2005)

(3) «Six années qui ont changé le Monde : 1985-1991 – La chute de l’Empire Soviétique». Par Hélène Carrère d’Encausse (Editions Fayard – 2015 )

(4) Rappelons que la Bundeswehr peut intervenir sur le territoire national dans certains cas prévus par la Constitution. Dans les cas de catastrophes naturelles (exemple : inondations graves), des accidents particulièrement graves (exemple : déraillement de train), soutiens logistiques en cas de menace contre la démocratie (état d’urgence intérieure) ou aide à des catastrophes humanitaires (exemple : camps dans la crise des réfugiés).

1 Kommentar zu Polémique : La «Bundeswehr» interviendra-t-elle sur le territoire national contre le terrorisme ?

  1. Excellent article de haute tenue (contenu et mise en oeuvre) Une référence pour Eurojournaliste.

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