Politique allemande : après un été torride, un automne chaud ?

Alain Howiller prévoit une phase difficile pour la politique allemande.

L'automne politique en Allemagne risque d'être - chaud ! Foto: Medvedev / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Difficile de ne pas voir une intention malicieuse dans ce choix : pour sa cérémonie d’adieu à ses fonctions de Ministre de la Défense, Ursula von der Leyen avait demandé à l’orchestre de la Bundeswehr d’interpréter « Wind of Change », l’un des grands succès des « Scorpions », le groupe de hard rock allemand. Le titre plaide certes pour la paix et l’entente entre citoyens du monde, mais – clin d’œil supplémentaire au « Times they are a-changing » de Bob Dylan- il pourrait synthétiser ce qui va se passer dans les semaines à venir sur la scène politique d’Outre-Rhin. Alors que la « ville-Etat » de Brême vient de se doter du premier « gouvernement de coalition SPD-Die Linke-Les Verts » conclu dans un Land de l’Ouest, le calendrier impose quelques repères générateurs de changements ! Le 1er Septembre, des élections régionales auront lieu au Brandebourg, dirigé par une coalition SPD-Die Linke, et en Saxe, dirigée par une coalition SPD-CDU : à cette date sera également close la consultation lancée par le SPD auprès de ses militants pour dégager leurs desiderata quant aux candidat(e)s à la future direction du parti.

Le 27 Octobre, la Thuringe, dirigée par une coalition Die Linke-SPD-Les Verts, votera à son tour pour renouveler son parlement et on connaîtra ce même mois, le résultat de la consultation du SPD qui désignera ses dirigeants lors d’un congrès en Décembre. Le 1er Novembre, Ursula von der Leyen prendra, à Bruxelles, ses fonctions de Présidente de la Commission Européenne, le même mois, la commémoration du trentième anniversaire de la Chute du Mur de Berlin risque de relancer quelques revendications non assumées et les trois partis membres de la Grande Coalition dresseront le bilan de mi-mandat prévu dans leur contrat de coopération. CDU-CSU et SPD décideront alors de l’avenir de la GroKo : à moins qu’ils ne le fassent plus tôt encore… au vu des résultats des trois élections régionales !

La demande intérieure contre la récession ? – Les semaines à venir seront d’autant plus décisives qu’elles se dérouleront dans un contexte économique où la menace de récession ne cesse d’inquiéter alors que, n’en déplaise aux pessimistes avérés, le pire n’est jamais certain : il est vrai qu’à force de crier au loup… Certes, la conjoncture mondiale plombée par l’attitude de Donald Trump vis à vis de la Chine ou de l’Iran, entravée par la perspective du Brexit, n’est pas très favorable à la croissance allemande mais ils ne sont pas rares les conjoncturistes qui tablent sur le résultat des accords sociaux (+3,2% d’augmentations en moyenne pour 2019) pour éviter, comme en 2018, que ne s’installe la récession et pour soutenir le marché intérieur. II n’en demeure pas moins que la situation de l’économie se passerait bien de bouleversements politiques qui risquent de nourrir un automne chaud !

Les enjeux des trois élections régionales de Septembre/Octobre risquent fort de dépasser la réalité politique vécue par l’Allemagne, car après tout, la population concernée ne représente que 10% environ de la population totale de la République Fédérale. Mais la consultation électorale permettra de mesurer dans le prolongement des élections européennes l’état des forces politiques en présence : le SPD continuera-t-il, comme le laissent prévoir les sondages d’opinion, de perdre ses électeurs et de conserver les positions qu’il occupe ? La CDU, malgré ses pertes, réussira-t-elle à sauver ses meubles (notamment en Saxe où elle virerait en tête d’après les prévisions) ? Die Linke pourra-t-elle préserver son rôle (notamment en Thuringe où le parti s’inscrit en tête des sondages) ?

Les « Verts » et l’extrême-droite en embuscade. – Quelle progression afficheront les Verts qui, à « l’Ouest », ont le vent en poupe mais qui, jusqu’ici, peinaient à s’affirmer sur la scène « est-allemande » : les sondeurs les créditent de 12 à 16% en Saxe, autour de 16% dans le Brandebourg et autour de 11% en Thuringe. Pour mesurer cet enjeu « est/ouest », rappelons qu’en cas d’élections générales les sondeurs créditent les Verts d’une courte deuxième place derrière la CDU pour les intentions de vote.

La grosse inquiétude (il n’y a plus de surprise !) que génèrent les trois élections, est née de la place que prendra le parti d’extrême-droite « Alternative für Deutschland – AfD » – en Saxe, CDU et AfD sont au même niveau des intentions de vote (26%), au Brandebourg le parti est en tête et en Thuringe, il est second derrière Die Linke (à un point près). Selon leurs dirigeants, aucun parti ne s’alliera officiellement avec l’AfD, qui ne prendra donc pas de présidence de Land. Mais un étrange ballet s’est développé sur la scène politique : des voix à la CDU et même au SPD ont le problème de la porosité entre les partis (ou pudiquement leurs électeurs) et l’AfD. Des complicités locales, ponctuelles, ne pourraient-elles pas s’esquisser sous le prétexte qu’on ne peut pas considérer que tous les sympathisants, tous les électeurs de l’AfD sont des « néo-nazis ».

Curieusement, c’est l’ancien président de la République Joachim Gauck, peu complaisant pourtant dans ce type de débats, qui a ouvert le ban en déclarant : « Il ne faut pas assimiler tous les ultra-conservateurs à une menace contre la démocratie… » Le débat n’est hélas pas propre à l’Allemagne ! On en reparlera sans doute après les trois élections que nous allons vivre… En se souvenant de ces modestes propos tenus, en 1931, par Joseph Roth, écrivain autrichien un peu oublié, commentant (déjà) la montée de l’extrême-droite et ses vociférations : « Il y a certainement un rapport entre les vociférations des uns et le mutisme des autres ; entre le besoin des uns de crier toujours plus fort et la surdité toujours plus grande. Si les uns crient si fort, c’est peut-être parce que les autres s’abstiennent de leur faire écho ? Mais peut-être – et c’est là vraisemblablement la raison- est-ce par honte qu’ils s’abstiennent de leur faire écho ? Il est sans doute déjà trop tard!…. »(2)

L’hymne national qui ignore la…. réunification ! – Tout comme on reparlera de la chute du Mur de Berlin et de ses conséquences. La polémique lancée par Bodo Ramelow, ministre-président de Thuringe, à propos de l’hymne allemand qu’il voudrait voir réécrit pour mieux prendre en compte la réunification, la convergence des demandes de l’AfD et de Die Linke(!) pour réclamer la création d’une commission parlementaire chargée d’examiner de manière critique l’action de la Treuhand chargée de « privatiser » l’économie est-allemande après la réunification jusqu’à l’affrontement entre le vice-chancelier et Ministre des Finances SPD Olaf Scholz et son collègue (CDU) Peter Altmeier, Ministre de l’Economie qui se divisent sur l’avenir du « Soli », l’impôt de solidarité perçue pour aider l’évolution des länder de l’ex-Allemagne de l’Est : trente ans après la chute du Mur, les règlements de comptes sont loin d’être… épuisés ! Et le résultat des élections désormais proches tout comme le bilan à mi-mandat pourrait bien amener le SPD, si sa chute se confirme, à remettre en cause la Groko.

Suicide par… dissolution ! – Ce choix pourrait bien être suicidaire, tout comme l’a été la dissolution provoquée en 2005 par Gerhard Schroeder qui perdit, alors, le pouvoir au profit… d’Angela Merkel ! Si le SPD devait prendre le risque d’une rupture avec la Groko, les partenaires CDU/CSU pourraient bien essayer d’éviter une dissolution – également dangereuse pour eux – au profit d’un gouvernement minoritaire qui dirigerait le pays en cherchant des majorités projet par projet. C’est une idée défendue, il y a quelques mois, par Wolfgang Schäuble, aujourd’hui président du Bundestag.

Dans quelle mesure soufflera le « Wind of Change » ? Les « Scorpions » piqueront ils au-delà du « grosser Zapfenstreich » de Von der Leyen ? Après un été « météorologiquement » torride, l’Allemagne pourrait bien connaître une arrière-saison et un automne chauds. Vivement l’hiver !

(1) Voir eurojournalist.eu du 23.07.2019.

(2) « Croquis de voyage » (Reisebilder) par Joseph Roth, édition Points de 2016 – Editions du Seuil 1994.

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