Politique en France : Grand Débat ou Tsunami ?

Défiance des Français et fragilité de la démocratie

Hurle-t-il ou bien baille-t-il ? En tout cas, c'est un Français. Tableau de DUCREUX, 19ème siècle Foto: Google Cultural Institute / Wikimédia Commons / CC-BY-SA PD

(Alain Howiller) – On aurait pu croire que, renouant avec une tradition biblique, ceux que concernait le sondage sur le « baromètre de la confiance » publié par le Centre de Recherches politiques de Sciences Po-CEVIPOF se couvriraient la tête de cendre en signe de deuil au vu des résultats (1). N’y avait-il pas de quoi ? D’après cette étude d’opinion en effet, on apprend que seuls 9 % des Français consultés faisaient confiance aux partis politiques, 23% aux médias, 27% aux syndicats, 44 % à la justice, que 37% éprouvaient de la méfiance lorsqu’ils pensaient à la politique et 32 %, quant à eux, éprouvaient du dégoût !

Pas étonnant que dans ces conditions, 85 % des sondés pensent que les « politiques » ne se préoccupent pas d’eux, les Français… Tous les médias, tous les représentant(e)s du monde politique, associatif, syndical ont commenté ces chiffres avec beaucoup de conviction, sans contrition, s’enveloppant dans une vertueuse toge blanche pour donner l’impression qu’ils concernaient les voisins et concurrents, mais surtout pas eux !

Sartre et le Huis clos – Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ; et on sait depuis Jean-Paul Sartre que « l’Enfer, c’est les autres ». Il est vrai que cette citation fait référence à la pièce intitulée Huis clos… Après tout, le fameux baromètre que l’un des responsables du CEVIPOF n’hésitait pas à qualifier de « baromètre de la méfiance politique », existe depuis 2009 et qu’en 10 ans, il y a eu 19 scrutins : « Jamais la confiance n’avait été aussi basse à l’égard de l’institution présidentielle, du gouvernement, mais aussi des assemblées, de l’exécutif évidemment.», comme le souligne le politologue Bruno Cautré.

Seul le maire tire assez bien son épingle du jeu lorsqu’on pose la question : « En qui avez-vous confiance ? » Si pour les sondés, les relations de proximité sont privilégiées, de la sphère amicale à la sphère familiale – ce qui marque un rempli sur soi – il n’est pas étonnant que seuls 37 % d’entre eux se disent optimistes quand ils pensent à leur avenir, que 66% pensent que les jeunes auront moins de chance de réussite que leurs parents et que 49% estiment que les jeunes devraient quitter la France pour assurer leur avenir professionnel. Après un pic d’optimisme au moment de l’élection d’Emmanuel Macron, la France retrouve les premières places dans le classement international des pessimismes ! Et le Rassemblement National, ondoyant le long du chemin sinueux des gilets jaunes, grimpe dans les sondages.

Macron, la « Révolution » et le combat pour la France. – Alors qu’Emmanuel Macron consulte les Français avec son « Grand Débat National » et s’inscrit (on l’oublie trop) dans le droit fil – peut-être retrouvé – des idées défendues dans son essai Révolution (avec un bandeau : « C’est notre combat pour la France » ), le parti de Marine Le Pen engage sa campagne pour les élections de Mai au Parlement européen de Strasbourg et annonce sans complexe : « On arrive ! ». Les autres partis se divisent, s’écharpent et contribuent à accréditer a posteriori les conclusions du sondage CEVIPOF… Oubliant les conclusions du sondage que pourtant, ils commentaient avec suffisance, ils se relancent (y compris maintenant les gilets jaunes) dans un électoralisme fondé sur le « Ote toi de là que je m’y mette ! ». Hier, on divisait le peuple français version Manuel Valls (2) en peuple de gauche/peuple de droite ; aujourd’hui, les Français, le sondage l’esquisse, ne sont pas loin de jouer le « Chacun pour soi » en chantant… la Marseillaise et en agitant le… drapeau national ! Dans ces conditions, que sortira-t-il du Grand Débat national lancé par le Président de la République ?

La situation qui règne en France (mais qui n’est pas propre à ce pays : il suffit de voir, par exemple, les divisions qui provoquent scissions et compétitions dans l’ensemble du spectre politique allemand ou italien!) débouchera-t-elle sur un retricotage du tissu social ? Fera-t-elle prendre conscience de la réalité des conclusions du sondage du CEVIPOF, à savoir qu’elles concernent non pas le voisin, mais toutes les forces politiques, syndicales, associatives ? Quelques éléments permettent malgré tout de cultiver un optimisme relatif : 64% des jeunes considèrent que la démocratie est tout de même « mieux » que n’importe quelle autre forme de gouvernement, 47% d’entre eux pensent que participer aux élections est le meilleur moyen d’influencer les décisions, 42 % manifestent de l’intérêt pour la politique tandis que 49% estiment qu’un bon politique est celui qui prend l’avis du plus grand nombre et s’entoure (31%) d’experts.

Le Grand Débat, le référendum et le Grand Tsunami – Au moment où les partis – comme les syndicats – perdent des adhérents, on peut espérer que, la crise des gilets jaunes aidant et le sondage du CEVIPOF poussant, les responsables se mettent enfin à renouveler leur offre. Malheureusement, le fait que toutes les suggestions et propositions allant en ce sens aient été enterrées aussi bien en France qu’en Allemagne (3) ne suscite pas un enthousiasme délirant. Plusieurs sondages soulignent que les sondés ne sont pas loin d’être majoritaires pour penser que pour obtenir quelque chose, il faut manifester et descendre dans la rue… Si la consultation référendaire semble devoir tenir la corde dans les propositions qui pourraient émerger du Grand Débat citoyen engagé par Emmanuel Macron avec les Français, il est bon de ne pas oublier que le référendum peut être la meilleure et la pire des choses, et que le Débat en question a l’ambition de faire sortir la France de la crise actuelle. Si un échec devait se concrétiser, il n’y aura pas que le « macronisme » à être emporté par ce qui risque de devenir un Grand Tsunami !

(1) Sondage réalisé par l’Institut Opinion Way pour le CEVIPOF et paru dans Le Figaro du 11 janvier 2019.
(2) Répondant, en octobre 2016, à l’Assemblée Nationale, au député UMP du Bas-Rhin Patrick Hetzel lors d’un débat sur la réforme des régions, Manuel Valls, alors Premier Ministre, avait déclaré :« Il n’y a pas de peuple alsacien, il n’y a qu’un seul peuple français. » 
(3) Voir notamment eurojournalist.eu des 3.04. 2017 et 30.11. 2018.

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