Pologne : danger imminent pour la démocratie !

Dans 3 semaines, le gouvernement polonais risque d’introduire une réforme de la justice inouïe depuis les années 1930.

Le maréchal Pilsudski, sans doute le grand modèle du parti PiS... Foto: LOC-Pilsudski / Wikimédia Commons / CC-BY-SA PD

(MC) – Les dirigeants de la Pologne, 40 millions d’habitants, dont il n’est pas besoin de préciser l’importance à bien des égards et notamment sur le plan géostratégique, s’apprêtent à introduire une réforme qui permettra à l’exécutif, c’est-à-dire à eux-mêmes, de faire irruption en plein coeur du judiciaire pour y dévorer de pauvres agneaux bêlants. Une réforme réactionnaire au sens strict, qui ramènera peut-être la Pologne aux temps de la Sanacja (Assainissement) du Maréchal Piłsudski, à la toute fin des années 1920.

La Commission européenne a réagi dès les premières semaines de la publication des textes : et c’est la deuxième fois qu’elle mettait en œuvre l’Article 7 du Traité de Lisbonne ; la première fois, c’était le 17 mai 2017, à l’encontre de Viktor Orban. Cet article stipule (dans le 3ème paragraphe)qu’  « après violation grave et persistante des valeurs «européennes », le Conseil peut décider de suspendre  « des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question (…)». Par exemple, le droit de vote de cet Etat à l’intérieur du Conseil. Ce genre de mesures vise à sauvegarder l’État de droit, effectivement menacé…

C’est pourquoi Frans Timmermans, le vice-président de la Commission, s’est rendu aujourd’hui à Varsovie, pour essayer de convaincre le président et le parti ultraconservateur au pouvoir de mettre en balance l’utilité de cette réforme et les sanctions européennes qui s’abattront sur la Pologne en cas d’application.

C’est début décembre 2017 que le président, Andrzej Duda,du parti de droite PiS (Prawy i Sprawiedliwość, Droit et Justice, le parti fondé par les frères Kaczyński en 2001), a proposé la mouture actuelle de cette réforme. En effet, la première version accordait trop peu d’importance aux rapports entre président et Cour de justice… Les tractations entre le président et son propre parti conservateur ont duré plusieurs mois, pour bien peu de résultats.

En réalité, le gouvernement actuel dévore à belles dents l’appareil juridique, et ce depuis 2015 : cette année là, l’exécutif s’est emparé du Conseil constitutionnel. Suivent une mainmise sur le parquet et la modification des statuts des tribunaux de droit commun. Puis, en 2017, la tentative en question d’ engloutir avec une voracité presque obscène le Conseil national de la magistrature, qui nomme les juges et se charge de leur déontologie, et la Cour suprême, c’est-à-dire en somme, la Cour de Cassation ! Assez drôle : les éléments de la réforme que contestait le président étaient ceux qui conféraient trop de pouvoirs au ministre de la justice et pas assez… au président lui-même ! Le souci démocratique d’ Andrzej Duda n’est pas vraiment évident.

Pour ce qui est de la Cour suprême, selon le texte initial, tous les membres devaient en être renvoyés d’office ! Le motif souvent invoqué par les ministres et les militants du PiS au pouvoir, c’est que la plupart de ces juges seraient d’ anciens communistes, et que la justice n’aurait pas réellement été réformée après la chute du régime socialiste. Ce qui est évidemment faux (l’attitude des Polonais à l’égard des anciens apparatchiks diffère beaucoup de celle de certains pays d’Europe orientale) : en réalité, après 1990, 80 % des juges ont été remerciés.

Finalement, la réforme stipulera que la retraite des membres de la Cour suprême sera fixée à 65 ans au lieu de 70, avec la prérogative pour le président de prolonger à volonté un mandat individuel. Le résultat serait 40 % de mises à la retraite avec dans le panier la présidente, Malgorzata Gersdorf, qui se dit «anéantie». Le gouvernement semble d’ailleurs oublier que la constitution, en principe, garantit leurs mandats…

Deux nouveautés plus ahurissantes encore dans ce projet de réforme : les 3/5èmes des membres du Conseil national de la Magistrature seraient choisis par l’une des deux chambres qui composent le Parlement, la Chambre basse (le Sejm). On imagine quelle politisation et quelle inféodation de la justice aux politiciens cela signifierait !

Par ailleurs, la Cour suprême compterait 2 institutions inédites : un conseil disciplinaire et un conseil de « recours extraordinaires » qui disposerait même du pouvoir rétroactif de réexamen des décisions de justice rendues depuis 1997, c’est-à dire depuis la promulgation de la constitution démocratique. Le conseil disciplinaire rendrait des verdicts concernant diverses professions judiciaires. Le ministre de la justice ferait donc la discipline parmi les juges, ce qui est une situation parfaitement abusive.

Tout cela est extrêmement inquiétant. Depuis 3 ans, une dictature au sens strict est en train de se construire. Il faudra que les institutions européennes réagissent très fermement et n’hésitent nullement (pas trop longtemps, du moins…) avant de décider de réelles sanctions pour, au moins, ralentir cette édification obstinée et méthodique d’un régime ultra autoritaire en Europe, sans qu’elles puissent sans doute espérer réellement l’empêcher. Hélas.

 

 

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