Pologne : démagogie et surenchère moraliste

Le Président-candidat populiste à droite toute

" Trza ", l'opposant et candidat centriste, le 5 juillet à Katowice Foto: Sila/Wikimédia Commons/ CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – Le ton monte en Pologne à l’occasion du deuxième tour des élections présidentielles de dimanche prochain. Des élections d’une extrême importance, puisque le PiS est légèrement en perte de vitesse et que le candidat opposant, Rafał Trzaskowski, a fait un excellent travail et a remonté la pente très rapidement. La droite met en avant les questions de mœurs : droit à l’avortement, ceux des LGBT,… Une stratégie qui peut s’avérer payante, hélas, si la Plateforme civique, en face, ne réagit pas vigoureusement.

La société polonaise est clivée, on l’a dit souvent ici, et les résultats du premier tour des présidentielles, le 28 juin dernier, sont assez significatifs : environ 43% pour Andrzej Duda, le Président national-populiste sortant, contre 31% pour le candidat assez charismatique de la Plateforme civique libérale et europhile, Rafał Trzaskowski. D’un côté, les limitations des droits, notamment ceux des femmes, des LGBT et plus généralement, des minorités ; de l’autre, la préoccupation d’entrer pleinement dans la modernité et de rompre enfin avec le cléricalisme rétrograde et l’ « esprit Visegrád » qui unit trop étroitement cette Pologne du PiS avec, notamment, la Hongrie de Viktor Orbán.

Le recentrage des motifs électoraux sur des questions « morales » est commun à tous les hommes politiques nationaux-populistes : Trump, Johnson, Bolsonaro,… Elles le sont surtout à partir du moment où la situation économique se dégrade, largement d’ailleurs du fait de l’incompétence de ces dirigeants. Alors, les ligues de vertus et les associations ultra-réactionnaires, religieuses ou autres, remontent à la surface et s’agitent en tous sens. En Pologne, le catholicisme réactionnaire exerce encore une puissante influence, et ce à travers de nombreuses associations et organisations. La fameuse « théorie du genre » en particulier a été montée en épingle (bien qu’elle n’existe peut-être pas) à partir de 2012, mais avec une intensité accrue à mesure que l’économie du pays tendait à montrer ses faiblesses malgré les mesures de saupoudrage démagogique qu’a entreprises le PiS après 2017.

Dans ses derniers discours, Duda a emprunté résolument cette voie très droitière. Il a en face de lui des mouvements de plus en plus nombreux, notamment de jeunes. L’activisme politique et civique connaît une remontée de popularité sensible dans cette partie de la population. Mais surtout parmi les jeunes femmes, que représente en partie l’icone Anja Rubik, reine couronnée d’Instagram et top model. La sociologue Elżbieta Korolczuk le souligne dans un entretien au Courrier d’Europe Centrale https://courrierdeuropecentrale.fr/ : les jeunes hommes, selon elle, seraient plus conservateurs en matière de mœurs. Ce qui est loin d’être une singularité polonaise, d’ailleurs…

Electoralement, la stratégie de Duda et du PiS n’est pas aberrante : la montée à l’extrême du candidat de la droite populiste peut ramener des militants et des électeurs de l’extrême-droite, surtout des membres de la Konfederacja. En sens inverse, l’équipe d’Andrzej Duda fait le pari, sans doute juste, que la partie de ses électeurs que cette attitude moraliste rebute ou choque ne votera pas pour Trzaskowski, libéral en tous sens du mot, mais s’abstiendra : les extrêmes en seront donc renforcés, et Duda avec eux.

Mais le candidat populiste et réactionnaire l’emportera-t-il ? Rien n’est moins sûr : les sondages révèlent des écarts non significatifs, et les résultats seront très serrés. Si Duda peut compter sur une partie des sympathisants de l’extrême-droite, Trzaskowski, lui, bénéficiera des reports du candidat arrivé troisième au premier tour avec 14% des voix, Szymon Hołownia, à l’idéologie flottante – mais dont 85% des électeurs ont annoncé qu’ils voteront, certes « sans plaisir », pour le candidat centriste de la Plateforme civique.

Quoi qu’il en soit, l’effet délétère des positions d’Andrzej Duda persistera : même si le PiS, s’il remportait ces élections, ne mettait pas en place des mesures rétrogrades, le climat social s’en trouverait détérioré pour longtemps ; et les violences contre les minorités se multiplient déjà depuis le mois de juin. Lourde responsabilité, Monsieur Duda.

Et bonne chance pour une Pologne moderne et européenne, Monsieur Trzaskowski. Nous vous tenons les pouces. Trza, Trza !

A consulter : https://wyborcza.pl/

Et (recommandé par Elżbieta Korolczuk dans CEC), Cultural Backlash : Trump, Brexit & Authoritarian Populism, de Pippa Norris et Ronald Inglehart, Cambridge UP, 2019.

 

 

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste