Pologne : L’Arc en Ciel et la Betterave

Les deux Pologne se réuniront-elles un jour ?

Robert Biedron Foto: Silar / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0Int

(MC) – Décidément, le cœur de l’Europe bat très fort et très vite, ces derniers jours ! La Hongrie qui travaille proteste avec véhémence contre l’adoption de la loi réformant les heures supplémentaires ; à Budapest, des manifestations assez dures ont succédé mercredi soir à celles de samedi dernier. En Pologne, ce sont plus précisément les agriculteurs qui ont manifesté : en gilets jaunes (soupirs), mais sur un mode qui rappelle beaucoup les manifestations de l’an 2000 qui avaient vu l’entre en force d’un parti atypique, le Samoobrona (Autodéfense de la République de  Pologne). Et voici quelques jours, on a beaucoup entendu parler des projets et des ambitions de Robert Biedroń, le maire de Słupsk : un député moderniste, qui marque le changement considérable qui s’opère dans la vision du monde des Polonais moyens-supérieurs, si l’on ose dire. Un pays, plusieurs Pologne, deux au moins : s’uniront-elles ?

Contagion des gilets jaunes français ou bien retour à des pratiques usuelles en 2000 ? Mercredi matin, les agriculteurs ont bloqué, près de Bwinów, l’autoroute A2 qui relie Varsovie à Łódz. Depuis quelques mois, les agriculteurs défilent dans la capitale, crient leurs slogans et expliquent leurs problèmes et leur mal-être ; mais le gouvernement du PiS (Droit et Justice) souffre de problèmes ophtalmiques et ne parvient pas à les apercevoir, malgré leur grand nombre. A ses yeux, les paysans sont transparents. Pétitions et manifs n’ont rencontré qu’un ventre mou politique. Les agriculteurs ont donc bloqué la grande voie qui, de la capitale, mène vers l’Est profond.

Ils n’ont levé leur barrage surprise que vers 15 heures, et ont fait connaître leurs revendications. La première était de rencontrer le Premier Ministre, Mateusz Morawiecki – mais ils n’ont eu qu’un ersatz un peu embarrassé, le ministre de l’Agriculture Jan Ardanowski. Les autres revendications adressées au ministre sont celle d’un efficacité accrue, grandement accrue, dans la lutte du gouvernement contre l’épidémie de fièvre porcine africaine qui sévit durement depuis 2015, et la hausse des indemnités pour les éleveurs. En réalité, le problème est à la fois technique et politique : les modalités d’indemnisation sont refusées par la plupart des vétérinaires, et par ailleurs, certes, comme l’a rappelé le ministre de l’Agriculture, le gouvernement y a consacré plus de 75 millions d’euros (300 millions de złotys) – mais où sont-ils passés, hein, j’vous demande un peu ? Dans quelles poches ?

Autre revendication : la taxation des grandes surfaces. Celles-ci empêchent les producteurs polonais de faire des bénéfices conséquents, et tire bien évidemment les prix vers le bas. Les agriculteurs ont aussi demandé que soit indiquée l’origine des produits, principalement chinois, et l’ouverture du marché de l’Est à l’exportation. Ce qu’ils entendent par là, c’est la reprise des échanges avec la Russie, qui se trouve encore sous embargo… Très délicat.

Jan Ardanowski s’est fendu d’une longue tirade populiste et anti-Union Européenne : pour lui, c’est la faute à Juncker, en d’autres termes, de l’UE qui empêche précisément la taxation des grandes surfaces et dont la politique serait contraire aux intérêts des petits commerçants. Le gouvernement suivra-t-il donc l’exemple de la Slovaquie voisine, qui elle, a transgressé en la matière les préceptes bruxellois ?

Cette lutte paysanne, assez inhabituelle en Pologne, renoue selon toute apparence avec les pratiques du parti Samoobrona RP (Autodéfense de la République de Pologne) : un mouvement fondé en 1992 qu’on peut qualifier d’agrarien, à l’idéologie populiste assez floue où se mêlent étatisme, isolationnisme, euro-scepticisme et emphase sentimentale. De tels blocages de routes ont permis à Samoobrona d’atteindre 10 % des voix en 2001. Le parti était dirigé par Andrzej Lepper, un tribun fort en gueule qui s’est suicidé en août 2011, conséquence assez directe de manipulations salaces et trumpoïdes de son entourage féminin.

Dans le même espace-temps, Robert Biedroń, 42 ans, avoue son intention de devenir premier ministre. Et pour commencer, député européen à Strasbourg. Le maire de Słupsk, une ville de 100 000 habitants au Nord de la Baltique (voir nos articles précédents) est un jeune homme branché : gay revendiqué et partisan du mariage pour tous, favorable à la dépénalisation du cannabis (dans l’entourage de Biedroń, on ne fume sans doute plus de feuilles de betterave à sucre), partisan… ardent des énergies renouvelables (à l’opposé du PiS qui cajole ses mineurs), mais aussi des restrictions budgétaires, comme celles qu’à plus petite échelle, il a pratiqué à Słupsk depuis 2011. Dans une interview donnée lundi dernier à l’Agence Polonaise de presse, Biedroń précise : « Il y aurait, en effet, des coups dans le budget : dans les subventions ecclésiales, dans le financement des cours scolaires de religion, et dans les salaires hypertrophiés des entreprises publiques. » Car Biedroń, dont on rappellera qu’il est polonais, en plus de soutenir les fumeurs de ganja spliffs, est partisan de la laïcité ! Imaginez un peu cela !

Socialement, Robert Biedroń sait parfaitement qu’il est quelque peu atypique. Il se soucie de plus en plus de ne pas être (ou rester) le candidat des métropoles et de la bourgeoisie branchée. Renvoyant dos à dos le parti populiste au pouvoir et la Plateforme d’opposition qui occupe grosso modo les mairies de toutes les grandes villes, Biedroń porte son microscope sur les villes de moindre importance. La « Pologne B », estime-t-il dans son interview, se sent délaissée par le PiS lui-même, qu’elle a pourtant installé au pouvoir – mais qu’elle commence à jeter dans le même sac que toute la classe éthérée des politiciens de Varsovie.

Une Pologne, deux pays ? Comment les coudre ensemble ? La vision du monde des agriculteurs et leurs intérêts semblent tout simplement contraires à ceux d’un homme comme Biedroń. Il faudra, tôt ou tard, qu’il examine cet aspect essentiel du casse-tête polonais, ne serait-ce qu’à cause de l’importance sociologique de la population agricole dans son pays.

 

 

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