Pologne : Mars, et ça repart

L‘opposition renforcée à Gdańsk

Les grues du port de Gdansk, vues du Centre Européen Solidarnosc Foto: Andrzej Otrebski / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – Presque 2 millions de manifestants à Milan contre le beaufisme meurtrier, la confusion et les menaces de catastrophe économique. Et à Gdańsk, à l’autre extrémité de l’Europe, l’élection de la femme qui succédera à Paweł Adamowicz, assassiné en janvier. Il y a là plus qu’un frémissement.

A Gdańsk, dimanche, Aleksandra Dulkiewicz a été élue avec 88 % des voix… Il est vrai qu’elle n’avait pas de réel concurrent : ses adversaires, 2 candidats de l’extrême-droite, n’avaient aucune chance contre elle. La Plateforme civique, dont Adamowicz était issu mais qu’il avait quitté voici quelques années, ne présentait aucun candidat – et pas davantage le PiS, le parti national-populiste au pouvoir, queue basse et rasant quelque peu les murs de l’ancienne ville hanséatique, théâtre des exploits syndicaux et politiques de Solidarność dans les années 1970 et 1980.

Le PiS a en effet plusieurs choses à se reprocher plus ou moins directement. Certes, c’est une personne souffrant de troubles mentaux – et auteur, dans les années récentes, de plusieurs hold ups à main armée – qui a assassiné le maire libéral ; mais la quasi-unanimité des habitants de Gdansk, sinon des Polonais de bonne foi, s’accordent à considérer qu’avant les élections, le pays baignait dans un climat de haine, qui devait largement aux campagnes distillées par les médias aux mains du pouvoir. Plusieurs hommes politiques de l’opposition démocratique, membres surtout de la Plateforme civique, le seul concurrent sérieux du PiS au plan national, avaient d’ailleurs reçu par la poste un « Avis de décès politique ». Et cela, quelques jours seulement avant l’assassinat d’Adamowicz…

Par ailleurs, une décision du PiS a scandalisé un nombre très important d’habitants de Gdańsk : le sabrage des crédits du Centre Européen Solidarność. Le ministre de la Culture PiS, Piotr Glinski, a en effet rayé d’un coup de crayon quelque 750 000 euros de subventions (environ 3 millions de zlotys) que touchait ce haut lieu de la défense de la société civile, de l’information pluraliste et de l’insertion européenne. Ce Centre, c’est Adamowicz qui l’avait fondé. Et beaucoup d’habitants de Gdańsk ont été stupéfaits par cette décision : c’est comme si on effaçait du tableau l’histoire sociale de la ville, celle notamment de sa lutte contre la variante POUPoupidou du stalinisme. Il est vrai que le PiS entretient un rapport ambivalent avec cette lutte : il soupçonne Solidarność, sur la base de rumeurs et de ressentiments complexes, d’avoir marchandé un donnant-donnant avec le parti communiste (le POUP), en 1989.

Le Centre se trouve sur les quais – sur l’ancien Chantier naval Lénine, qui a été rendu familier aux Français (à ceux qui ne connaissaient pas la Pologne avant) par les fameuses images des luttes de Wałęsa et d’ Anna Walentynowicz contre l’appareil communiste, et plus tard, des trois grandes croix qui s’élancent vers le ciel. Adamowicz a voulu être enterré ici, pour continuer à être présent à tous les Polonais, et pas seulement catholiques.

La nouvelle maire de Gdańsk, Aleksandra Dulkiewicz, alias Ola, 39 ans, mère d’une fille de 11 ans qu’elle élève seule, a travaillé ici après 2006 avec son prédécesseur. Solidarność, elle connaissait déjà enfant, lorsque son père l’emmenait assister aux grèves des années 1980. Après la fin de ses études, en 2006, la voilà assistante d’ Adamowicz, devenu maire de la ville. Elle a ensuite occupé le poste de conseillère municipale après ledit passage par le Centre Solidarność, puis assistante sociale et remplaçante du maire.

Quelque chose a réellement changé dans les esprits, après la mort du maire libéral. Comme dans bien d’autres pays européens, les gens s’étaient complètement désintéressés des luttes politiques qui occupent affiristes et chasseurs de sièges, un milieu très circonscrit. Ils se sont rabattus alors sur la sphère privée ; et ils sont devenus des petits-bourgeois caractérisés qui, plus ils devenaient vieux, etc. La société a perdu la… solidarité qui y était très effective encore dans les années 1990 : le phénomène de la fermeture sur soi est devenu très inquiétant. Et le PiS a eu beau jeu de titiller les esprits avec la crainte des étrangers, autour de 2015. Maintenant, de manière analogue à ce qui commence à se passer en Italie, les gens recommencent à s’intéresser à la politique, et leurs conversations indiquent (soyons fous) qu’ils recommencent en même temps à s’interroger sur la signification des droits civiques et de leur contenu. Ainsi, une cagnotte a été rassemblée par une citoyenne de Gdansk pour rassembler les 750 000 euros sucrés par le gouvernement PiS pour perpétuer le fonctionnement du Centre européen cher à Paweł Adamowicz et à la femme qui lui succède. Les Polonais semblent se réveiller à l’importance essentielle des droits de l’Homme et à celle, irremplaçable, de la solidarité et de l’entraide. Le parti Wiosna, de Robert Biedroń, partipe lui-même beaucoup de cet espoir nouveau.

Espérons que la Hongrie voisine n’aura pas besoin de la mort d’un homme pour que le même processus y prenne naissance…

 

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