Pologne : The Spider and the Fly
Mick Jagger allié électoral de Lech Wałęsa
(MC) – Saviez-vous que Mick Jagger et Lech Walesa étaient nés la même année ? En 1943, oui. En juillet dernier, alors que les Stones jouaient à Varsovie, le grand héros victorieux de la lutte contre le stalinisme, Nobel de la Paix 1983, ancien Président de la République, traîné sans cesse dans la boue par le pouvoir actuel, a demandé à leur chanteur de prononcer quelques mots en faveur de l’opposition polonaise contre la droite ultra au pouvoir depuis 2015.
Trois mois plus tard, en vue des élections du 21 octobre et du 4 novembre, pour dimanche prochain donc, Lech Wałęsa diffuse un message pressant à la jeunesse de son pays. Des élections locales d’une haute importance, en effet. Et elles le sont d’autant plus qu’elles ne représentent que le début d’une série-marathon qui s’étalera sur 20 mois. Et que l’enjeu, c’est l’avenir du gouvernement nationaliste et ultra-conservateur du parti PiS (Droit et Justice), et donc, la nature même de la société de ce pays de 38 millions d’habitants dans un futur proche.
Le 15 octobre, sur sa page facebook, Lech Wałęsa publie donc un Appel aux jeunes de Pologne, qu nous reproduisons en traduction presque intégralement :
« Quand j’ai décidé de me battre pour ma liberté, j’ai été conduit à une rébellion qui a changé le monde. C’était le pouvoir d’un simple ouvrier dans une usine communiste.
« Mais l’expérience de la captivité m’a sans cesse blessé. Le manque de liberté, c’est le sentiment que quelqu’un vous observe sans cesse. C’est cette pression dans ton ventre quand tu sais que tu n’as pas le droit d’être toi-même, qu’il faut faire semblant d’être ce qu’on veut que tu sois : ton attitude, les gens que tu rencontres, ce que tu dis et ce que tu es. Bientôt, tu as si peur que tu deviens toi même une prison et son gardien à la fois.
« Aujourd’hui, j‘ai le droit d’être fier de dire que je suis un homme libre, et que je vis dans un pays libre. Je ne voudrais pas que vous, jeunes, ayez à vous battre pour votre liberté comme je l’ai fait. Car ce combat coûte un prix énorme.
« Pendant près de 30 ans de Pologne libre, nous n’avons pas fait tout ce dont nous avions rêvé. Nous avons fait des erreurs ; mais nous n’avons pas renoncé à la liberté. Aujourd’hui, vous n’êtes pas différents des jeunes de France, d’Allemagne, d‘Espagne. Vous pouvez étudier, travailler, conduire, suivre l’amour et l’accomplissement dans toute l’Europe. Vous êtes des personnes libres. Aller voter, ce n’est pas seulement votre devoir civique ; c’est aussi dire : Oui, je veux être libre. Je suis fort. (…)
« Ne croyez pas que votre voix ne signifie rien. Elle pèse autant que celle de vos grands-parents, de vos parents, de la mienne. Ne faites pas que ces élections soient les dernière élections libres en Pologne libre. Votez pour les candidats qui n’ont pas peur du monde, pour ceux qui ne veulent pas vous emprisonner derrière le mur de la peur.
« Choisissez la liberté. »
Un texte puissant qui met l’accent sur la gravité de la situation, et qui met bien en relief la nécessité, que Wałęsa a admirablement comprise, d’un trait d’union entre les deux moitiés d’une Pologne furieusement polarisée. Un symbole par excellence de cette polarisation : le film Kler (Clergé), sorti en salle fin septembre, et qui a remporté un immense succès public. Chose extraordinaire : il y est question, et de quelle manière, de la pédophilie dans le clergé polonais ! On imagine le scandale, et la vivacité des réactions de part et d’autre… Cette œuvre a soulevé un tourbillon qui n’est pas près de s’apaiser – et a suscité la création d’un site internet qui cartographie très précisément tous les cas de pédovaticanisme dans le pays. La Pologne bouge, si si. Et bien évidemment, la droite conservatrice, bien évidemment, accuse la gauche d’avoir mené une opération commando contre la religion, et de fausser le débat.
Pour le PiS nationaliste au pouvoir, les enjeux des élections de dimanche et du 4 novembre sont essentiels. Les Polonais, du moins les 50% des inscrits qui iront voter – puisque l’abstentionnisme est très important dans ce pays – éliront les représentants de leurs localités, mais aussi ceux de leurs districts et de leurs régions (les voïvodies). Or,ces élections seront les premières d’une longue série : en mai, les européennes, les législatives en novembre, et enfin, les présidentielles en mai 2020. Ces élections dépendent les unes des autres, bien sûr, par leurs résultats et les effets politiques induits.
Or, le PiS vise ce qui lui échappe, à savoir les régions (15 sur 16 sont actuellement aux mains de l’opposition de centre droit, la Coalition civique(KO), et les villes : Varsovie est un fief plutôt solide de la KO. Le Droit et Justice, en tout cas, peut espérer remporter 8 voïvodies dans l’Est moins développé dans tous les sens du mot. Mais la partie est loin d’être gagnée.
Les sondages donnent entre 35 et 40 % pour le PiS : sans doute grâce à sa politique sociale (introduction d’allocations familiales assez conséquentes et plus largement, tendance marquée vers un étatisme protecteur). La conjoncture économique est bonne et les salaires augmentent, globalement.Et une bonne partie de la population s’intéresse moins aux nombreuses atteintes à ses droits et à sa liberté civique qu’à sa sécurité matérielle : rien de bien nouveau à cela. Mais 3 années de révolution conservatrice musclée ne semblent pas l’effrayer outre mesure. Elle a grand tort, bien sûr ; et cela, l’Appel de Wałęsa l’exprime admirablement.
Face à ce corset de fer dont un certain nombre de lacets sont déjà noués, l’opposition reste bien trop divisée. L’idée commune est de constituer une plate-forme : le problème est que 3 dirigeants de l’opposition proposent chacun de réunir une telle plateforme sous son égide… Et cela, avec une base idéologique assez différente.
Sławomir Neumann dirige la Coalition Civique, qui regroupe la Plateforme Civique et Nowoscesna, des partis de centre droit ; la Coalition talonne le PiS dans les sondages (30%). Juste à côté, Ryszard Petru veut rassembler les gens autour de son cercle Libéraux et sociaux, qu‘on peut qualifier de « libéral-progressiste », favorable à une politique sociale vigoureuse et aux idées féministes d’une grande figure de la gauche actuelle, Barbara Nowacka. Et puis l’autre grande figure de la gauche, Robert Biedroń, ouvertement gay et maire extraordinairement apprécié de Słupsk, sur la Baltique, veut rallier lui-même l’électorat de la gauche démocratique, en lieu et place de l’ancienne social-démocratie devenue ectoplasmique. Biedroń ne peut cependant espérer davantage que 10 % de suffrages.
En définitive, il faut, ici comme dans tous les autres pays européens, réveiller les apathies et ressusciter l’intérêt pour la chose publique. L’absentéisme est important dans les pays d’Europe centrale à cause de la corruption endémique, quasi inhérente à l’exercice de la politique. Il faut donner concrètement l’espoir que les choses peuvent changer grâce aux votes, et guérir la population d’un mauvais fatalisme.
Ou sinon, comme le disent fort bien certains commentateurs, on installera au coeur de l’Europe une zone grise, ni occidentale ni orientale, un monde fermé où le droit sera bafoué de manière durable et peut être, irrémédiable. Il faut donc agir et espérer en agissant.
20 mois d’un marathon électoral : élections locales (21 X et 4 XI), européennes (mai 19), législatives (XI 19), et présidentielles (5 20). Elles dépendent toutes les unes des autres ; enjeu : l’avenir du PiS et de son hégémonie.
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