Pourquoi le numérique a-t-il encore des frontières en Europe ?

«L’Europe sans frontières» touche encore ses limites là où certains acteurs des marchés gagnent de l’argent en excluant des consommateurs étrangers des marchés nationaux.

En ce qui concerne le marché numérique européen, tout ne fonctionne pas encore comme souhaité... Foto: Calimaq S.I.Lex / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(CP/ET/Réd) – Dans une Europe où les habitudes de consommation se veulent de plus en plus transfrontalières, les citoyens européens s’attendent à avoir accès à tous les contenus numériques disponibles en ligne, sans tenir compte des frontières géographiques existantes. Pourtant, l’accès aux sites de streaming, de téléchargement légal de musique, de films, de jeux ou de livres numériques est bien souvent limité aux résidents d’un état-membre. La raison invoquée pour justifier ces restrictions : la protection des droits d’auteur. L’Europe, qui a fait du marché unique numérique une de ses 10 priorités pour 2015, veut développer l’offre pour les consommateurs en facilitant notamment l’octroi des licences. Le Centre Européen des Consommateurs (CEC) France à Kehl, recevant de nombreuses réclamations de consommateurs limités dans leur accès aux biens numériques, publie une étude dans laquelle il formule notamment ses recommandations en attendant la création d’un véritable marché unique du numérique.

Les restrictions d’accès aux biens numériques. – «J’habite en France et je ne parviens pas à télécharger légalement de la musique sur un site basé au Luxembourg. Est-ce normal ?». «Pendant mes vacances en Espagne, je n’ai plus accès à mon abonnement français de musique en ligne : est-ce légal ?». «Je vis en Allemagne et je ne peux pas télécharger le livre numérique de mon auteur français préféré en langue française : pourquoi ?». A travers différents mécanismes comme le refus de vente ou le «geoblocking», les distributeurs de contenu numériques bloquent l’accès à certains contenus en fonction de la résidence ou de la position géographique même temporaire du consommateur. Le «re-routing» est également une technique de restriction d’accès qui redirige automatiquement le consommateur vers un autre site internet en fonction de la localisation de son adresse IP.

Ces restrictions, source de frustration pour les consommateurs qui n’ont pas accès aux œuvres musicales ou livres numériques de leur choix dans leur pays, sont-elles légales ? A ce jour, elles sont légales car la principale raison invoquée par les distributeurs est la protection de la propriété intellectuelle sur l’œuvre, à savoir les droits d’auteur et droits voisins.

Les solutions envisagées par l’Europe. – L’Europe a fait du marché numérique l’une de ses priorités. Après l’harmonisation de la TVA sur les produits dématérialisés (films, musique, applications, livres numériques…) en janvier 2015 (le consommateur paye la TVA de son pays de résidence et non celle du pays du fournisseur), et l’obligation d’information imposée aux professionnels sur la compatibilité des contenus numériques avec les matériels et logiciels informatiques, la directive européenne 2014/26 sur la gestion collective des droits d’auteur et l’octroi des licences a été adoptée en février 2014 et devra être appliquée en 2016. Le CEC France souhaite que la réponse européenne sur les droits d’auteur favorise une meilleure diffusion de la culture en Europe et permette de mieux comparer les prix et la qualité des biens et des services au sein de l’UE afin que les consommateurs puissent profiter pleinement de ce que l’Europe peut leur offrir. En attendant la mise en place d’une protection harmonisée des droits d’auteur, le CEC France recommande une meilleure information des consommateurs : avant de commander, ils doivent savoir si le bien ou le service proposé est disponible dans leur pays de résidence, dans quelle langue et pour quel type d’appareil.

Cette question devrait également donner à réfléchir lorsque l’on discute des traités sur les libres échanges transatlantiques qui est actuellement négocié dans la plus grande opacité. Les directives européennes ne serviront plus à grande chose si les Etats-Unis estiment que les règlements en la matière puissent empêcher les grandes entreprises américaine du numérique à se remplir les poches en Europe. Et puisque les traités prévoient que dans de tels cas, un organisme d’arbitrage privé puisse déterminer des pénalités à l’américaine, il est clair que les consommateurs européens s’en trouveront pénalisés. Et puisque les Etats-Unis se verront accorder le droit d’intervenir sur la législation européenne, il est fort probable que tous ces jolis efforts en vue de la création d’un marché européen numérique seront vains – à l’avenir, ce ne seront pas les Européens qui décideront des droits des consommateurs en Europe, mais les multinationales américaines.

Vous pourrez consulter l’étude du Centre Européen des Consommateurs France sur : www.europe-consommateurs.eu.

1 Kommentar zu Pourquoi le numérique a-t-il encore des frontières en Europe ?

  1. 3locations // 5. Mai 2015 um 9:36 // Antworten

    Effectivement, c’est bien l’aspect commercialisation des services auprès du grand public qui amène cette segmentation du marché en fonction de la langue maternelle du client et/ou du pays.
    Par contre dans le domaine des services aux entrepises, l’utilisation plus large de l’anglais fait sauter ce verrou. SAP (socièté allemande) en est la preuve …

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