Pourquoi le SPD ne gagnera plus le pouvoir en Allemagne

Dans le cadre du débat autour du stockage massif des données des citoyens, le SPD aura réussi à inverser diamétralement sa position - pour le simple plaisir de gouverner.

Heureusement que Willy Brandt ne doit plus voir ce que la génération Gabriel a fait de son SPD. Foto: Karl-Heinz Münker-Appel / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.0de

(KL) – Le SPD est le plus vieux parti en Allemagne qui, l’année dernière, avait célébré ses 150 ans. Mais entre le SPD qui luttait contre vents et marrées pour les droits sociaux et les droits des travailleurs et celui qui s’enlise en 2015 dans ses propres manœuvres politiques, il y a des années lumière. Le chef du SPD Sigmar Gabriel aura réussi à faire de son parti traditionnellement «de gauche», un parti qui ressemble plus à une sorte d’appendicite de la CDU, trahissant en l’espace d’une mandature, le plus clair de ses valeurs et de ses traditions. Ainsi, même pour des électeurs SPD de toujours, le parti devient de plus en plus infréquentable.

Lors du mini-congrès de ce week-end, le SPD a adopté, sur le forcing de son chef Sigmar Gabriel et du ministre fédéral de la justice Heiko Maas, la nouvelle loi sur le stockage massif des données personnelles. La différence entre le SPD de jadis et le SPD d’aujourd’hui se manifeste dans deux citations – en 1972, lorsque Willy Brandt était opposé à Rainer Barzel et Franz-Josef Strauß, le slogan du SPD était «Oser plus de démocratie !» – en 2015, le slogan de Sigmar Gabriel est «Il n‘y a pas de liberté sans sécurité et pas de sécurité sans liberté». Si le premier slogan était le reflet d’une attitude, le deuxième vient tout droit de la plume d’une agence de communication – toute la différence est là.

Heiko Maas, lui, restera dans la mémoire des Allemands comme celui qui aura oublié sa position en l’espace d’un an. L’année dernière, au début de la discussion autour du stockage massif des données personnelles, il avait encore déclaré : «Je suis clairement contre ce stockage massif de données – le projet viole le droit à la sphère privée et à la protection des données». Un an plus tard, il est convaincu du contraire – tout cela pour se positionner en bon supporteur du gouvernement d‘Angela Merkel. Tout cela, pour pouvoir jouer dans la cour des grands, pour faire partie d‘un gouvernement qui lui, va de scandale en scandale, non seulement au niveau de la politique allemande, mais également au niveau de la politique européenne.

Sous les Nazis, les ténors du SPD étaient poursuivis et de nombreux hommes politiques du SPD ont péri dans les camps de concentration – ils défendaient leurs convictions jusqu‘au bout, mais en 2015, le SPD n‘a plus de convictions. Après avoir enterré le mouvement syndical en Allemagne par le biais de la ministre du travail Andrea Nahles, le SPD aide maintenant la CDU à numériser chaque citoyen. Car désormais, les Allemands ne pourront plus faire le moindre pas (avec un téléphone en poche, ce qui est le cas pour plus de 98% des Allemands), sans que l‘Etat ne sache des semaines plus tard, où ils se trouvaient. Le moindre pas sera surveillé et on ignore qui aura accès à ces données. Sans parler de la question des écoutes systématiques pratiquées. En vue du scandale BND/NSA, on a du mal à s‘imaginer que nos données soient vraiment «protégées» – au contraire. Il suffit que les Etats-Unis commandent des renseignements et ils les obtiendront. Reste à vérifier si le comportement du gouvernement allemand est encore compatible avec la constitution allemande – des juristes expriment des doutes sur cette question.

Un SPD qui trahit ses principes sacrés, un SPD qui travaille contre le mouvement syndicaliste, pourtant allié depuis toujours, un SPD qui coupe court aux libertés individuelles pour se joindre à la hystérie sécuritaire germano-américaine, c’est un SPD qui n’a plus beaucoup d’arguments. Au mini-congrès de ce week-end, même les délégués avaient du mal à suivre leur patron – pour le vote sur ce stockage massif de données, Sigmar Gabriel a du se contenter d’un faible 60%, après avoir rattaché ce vote à son devenir personnel à la tète du parti. En menant, sans critique, la politique d’Angela Merkel, le SPD se rend de plus en plus obsolète.

A croire que le pouvoir aveugle les acteurs – au lieu de s’engager pour une politique telle que le SPD l’a toujours menée, une politique sociale, humaniste et non totalement soumise au dictat des marchés financiers, le SPD aurait eu de bonnes chances de faire un bon score aux élections législatives de 2017. Mais avec cette politique en «partenaire junior» d’Angela Merkel, le SPD aura du mal à dépasser les 20% en 2017 – les électeurs iront soit voter pour une alternative à gauche, soit ils voteront directement pour l’original. Pour avoir une politique à la Angela Merkel, inutile de voter pour Sigmar Gabriel. Qu’il profite des deux dernières années au soleil du pouvoir, avant que les Allemands ne renvoient le SPD en cure de désintoxication. La prochaine génération de responsables du SPD ne pourra que faire mieux que la génération des Gabriel, Nahles & Cie. Willy Brandt, Otto Wels et bien d’autres se retourneraient dans leurs tombes en voyant ce que le SPD est devenu en 2015…

4 Kommentare zu Pourquoi le SPD ne gagnera plus le pouvoir en Allemagne

  1. Il a malheureusement suivi le même trajet que tous les partis socialistes européens : simple annexe ou clone travesti des partis de droite, comme le PS français (mais qui lui n’avait pas – oups, N’A PAS, il n’est pas encore officiellement mort – tout le glorieux passé du SPD).

    • Kai Littmann // 22. Juni 2015 um 9:13 // Antworten

      Entièrement d’accord – mais en vue de la défaillance du SPD, le ralliement progressif des Verts à la CDU – que restera-t-il comme choix à la gauche ? Il ne reste plus que Die Linke…

  2. La même question se pose en France. Je ne connais pas les positions de de Die Linke, mais en France le Front de Gauche reste encore coincé dans le schéma des 30 glorieuses et d’un jacobinisme ultra-rigide, et les Verts sont partagés entre ceux qui veulent faire rabatteur du PS et ceux qui sont intellectuellement indépendants.

    Par ailleurs les collectivités territoriales vont être de plus en plus réservées au “grands” partis nationaux, du fait des modes de scrutin : suffrage indirect pour les agglomérations qui détiennent une part croissante des pouvoirs communaux, nécessité de présenter des candidats dans tous les 10 départements de la future région…

    En France, pour qui les gens de gauche peuvent-ils encore voter? Comment dans ces conditions espérer que s’engager puisse faire émerger une force politique capable ne serait-ce que d’infléchir la politique publique unique qui se met en place de plus en plus vite?

    • Kai Littmann // 22. Juni 2015 um 15:33 // Antworten

      La situation n’est pas beaucoup plus facile pour ceux qui voudraient voter “à gauche” en Allemagne. En principe, il ne reste que Die Linke, mais de nombreux électeurs hésitent à cause du rôle du parti dans le passé. Ils sont nombreux à ne pas avoir oublié que Die Linke soit le successeur du successeur du SED est-allemand, le parti ayant opprimé le peuple est-allemand pendant 40 ans. Mais à bien y regarder, c’est le dernier parti en Allemagne qui mérite le qualificatif “gauche”.

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