Poutine versus Navalny (2)

Le système Poutine et « le Patient »

Une belle brochette : le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, Vladimir Poutine, Alexandre Bortnikov et Sergueï Narychkine Foto: Serv.Presse Pdt Russie/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – Qui a donné l’ordre d’empoisonner l’opposant russe le plus efficace ? Vladimir Poutine ? Oui et non. C’est sans doute au plus niveau que quelque chose s’est mis en mouvement en haut du mécanisme de l’appareil d’Etat, durant ces semaines de protestation massive chez le voisin bélarusse contre le « père et maître » Loukachenka. Dans le ” système Poutine “. Portons-y un peu notre loupe.

Nous avons parlé hier de personnages très haut placés qui avaient des raisons d’en vouloir à Alexei Navalny : Tchaika ; Dimitri Medvedev ; l’espèce de Raspoutine moderne qu’est Evgueni Prigogine (mais Raspoutine, précisément, a fait l’objet d’une intoxication à l’arsenic !),… Mais la manière dont Navalny a été empoisonné (puisque c’est le cas) et surtout, la substance toxique dont il semble s’agir supposent une proximité immédiate avec les services secrets militaires, nommément le GRU.

Une autre hypothèse a été soulevée ; elle est peu vraisemblable : coupables, les dirigeants de cette Sibérie où Navalny s’était rendu avant de s’écrouler dans l’avion du retour, chefs du parti Russie unie ? Ils ont fait l’objet d’une investigation serrée de la part de Navalny, et ils n’ont pas quitté d’une semelle de botte rouge ce dernier lors de sa dernière visite à Novosibirsk, à Khabarovsk et Tomsk. Mais ces gouverneurs ou leurs services de sécurité n’oseraient jamais prendre une telle initiative.

Personnellement, et de manière assez étrange, Poutine semble ne pas se sentir menacé dans son pouvoir. Il ne nomme pas même Navalny par son nom, et l’appelle : « le Patient »… Comme beaucoup de néo-rois, il flotte dans une sorte d’aura qui lui fait croire à sa stabilité politique imperturbable. Mais son entourage, lui, n’y croit pas, et il est assez évident qu’il voyait en Navalny une menace : c’est leur métier. On pense au fameux chef du FSB, le général Alexandre Bortnikov ; et/ou au non moins fameux Nikolaï Patrouchev, chef du Conseil de Sécurité. Et au directeur du Service de renseignements extérieurs, Sergueï Narychkine.

L’ordre d’empoisonner Navalny a nécessairement dû être donné d’en haut, pense-t-on. Poutine a si bien verrouillé l’appareil d’Etat qu’une décision indépendante est en soi impensable ; elle l’eût été moins voici une dizaine d’années. Mais on n’imagine pas non plus que l’instigateur a demandé l’autorisation au néo-Tsar : prudent malgré les apparences, il ne l’aurait pas accordée.

On se trouve donc peut-être dans une situation typique de ce genre de situation – et de beaucoup de polars politiques : des super-flics politiques zélés se disent : bon, il faut que je le fasse, c’est pour son bien ! Fier de moi ! Je suis le plus dévoué et le plus désintéressé ; et que deviendrait le Chef sans moi…

Quant au produit utilisé, les experts (discrets) de la Bundeswehr, de l’ Organization for the Prohibition of the Chemical Weapon et le centre de recherches britannique mobilisé lors de l’Affaire Skripal en 2018, Porton Down, s’accordent sur sa nature. Pour les toxicologues, le symptômes observés lors de plusieurs affaires d’empoisonnement russe présentent des similitudes plus que frappantes. Le conjoint d’une Pussy Riot l’an dernier, qui a survécu de justesse : Verzilov, qui a vu les images de Navalny à Omsk, s’est mis très vite en contact avec Volkov, le collaborateur de l’opposant, pour témoigner et apporter son aide ; un fabricant d’armes bulgare en 2015, Emilian Gebrev, qu’on a aussi consulté à la Charité cette semaine ; l’ex-agent Sergueï Skripal et sa fille,… Et à Salisbury et Londres, on a retrouvé assez rapidement la trace d’un agent du GRU, les services secrets militaires russes.

Ces produits bloquent une enzyme précise dans le système nerveux, d’une manière commune à des poisons du même groupe : le fameux sarin, quelques autres moins connus, et… le novitchok de Salisbury (Affaire Skripal). Symptômes : larmes et salive abondantes, relâchement musculaire, ralentissement du rythme cardiaque. Ces poisons agissent par inhalation, ingestion ou, comme à Salisbury il y a 2 ans, contact (Skripal, ex-agent double, et sa fille ont été intoxiqués ainsi, en touchant une poignée de porte).

L’empoisonnement est plus rapide qu’un procès, même en Russie poutinienne, et il est psychologiquement efficace, puisqu’il offre à tous le spectacle horrible d’un opposant qui se déglingue : alors, pourquoi s’en priver ? Et l’entourage de Poutine s’est aperçu de l’efficacité ed l’action d’Alexei Navalny contre un dirigeant dont la popularité baisse fortement depuis 4 ans. De même que celle de Loukachenka, son gourou en politique. Tomberont-ils de la même manière ?

 

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