Prague : la Révolution de velours 30 ans plus tard

Accaparement, corruption, espoirs, jeunesse

Vaclav HAVEL par Zbigniew Kresowaty (KreZbi) Foto: KreZbi/Wikimédia Commons/CC-BY-SA PD

(Marc Chaudeur) – En France, voici quelques jours, un jeune étudiant a tenté de s’immoler par le feu. En janvier 1969, à la suite de l’échec du Printemps de Prague, Jan Palach (20 ans) est mort brûlé vif de cette manière pour réveiller les consciences, après une agonie de 3 longs jours. Le désespoir sous domination stalinienne n’a-t-il rien à voir avec le désespoir d’un jeune étudiant français, en 2019 ? Désespoir « socialiste », désespoir libéralo-capitaliste… Ils ont tous deux à voir, en réalité, avec la commémoration populaire du trentième anniversaire de la Révolution de Velours. Un demi-siècle après la mort de Jan, trente ans après le triomphe de Václav Havel et de ses amis de la Charte 77, que reste-t-il de leurs espoirs ?

Trois décennies après la Révolution de Velours qui a signifié la fin du régime « communiste » en Tchécoslovaquie, quel bilan peut-on dresser, au moins pour ce qui est de la partie tchèque de cette ancienne confédération ? Le samedi 16 novembre dernier -  jour du décès du grand réalisateur Vojtěch Jasný, auteur du très grand film Chronique morave soutenu en 1968 par Dubček, puis mis au placard durant 20 années – 300 000 personnes ont bien exprimé à la fois la nature et les sources du mécontentement actuel sur lie lieu traditionnel des manifestations, la Place de Letná – ou la Plaine, comme disent le plus souvent les Praguois.

Bien sûr, les commémorations ont pris l’apparence d‘une protestation contre le Premier ministre Andrej Babiś, et contre le Président de la République, Miloš Zeman. Deux cristallisations ambulantes des grands problèmes, parfois graves, qui se posent aux Tchèques.

En 1989, euphorie populaire : tout le monde est dans la rue, aussi bien à Prague qu’à Bratislava, la capitale de la Slovaquie qui s’envolerait fin 1992. Les mouvements populaires suivaient ceux de Pologne, puis la chute du Mur entre les deux Allemagnes ; ils ont d’ailleurs commencé à Bratislava, ce qu’on oublie trop souvent de rappeler…

A Prague, la répression du 17 novembre a entraîné des manifs de plus en plus nombreuses, soutenues ardemment par l’intelligentsia critique ; et Václav Havel sortait de 5 années de prison. Fin novembre et début décembre, le régime « communiste » s’écroule, et Gustáv Husák démissionne, rendu impuissant par la Glasnost et la Perestroika. Aleksander Dubček, héros de 1968, est élu Président du parlement le 28 décembre, et Václav Havel est élu Président le 29. Tout cela quasiment sans effusion de sang !

Et aujourd’hui ? Trente ans après, la situation économique n’est pas vraiment catastrophique. Mais on prend tout de même la mesure des erreurs de l’époque. En 1989, aucun économiste conséquent ne proposait de modèle alternatif au stalinisme résiduel – ou du moins, aucun n’était entendu : on baignait dans ce brouet utopiste qui a fait tant d’irresponsables ravages au cours de l’Histoire contemporaine. Lors des privatisations, les politiciens pros, et principalement les anciens apparatchiks, avaient donc la partie facile pour récupérer à prix cassé toutes les infrastructures du pays. C’a été le cas du premier Président, Václav Klaus – et jusqu’à aujourd’hui, du Président actuel, puissamment contesté, Miloš Zeman, et de son parti-refuge, le ČSSD (parti social-démocrate tchèque). C’est aussi le cas du premier Ministre, Andrej Babiš, ancien agent de la police stalinienne StB, milliardaire et libéral de droite : bonnet blanc et blanc bonnet ! L’affrontement politique n’empêche nullement un accord profond sur le vol des ressources nationales au peuple tchèque.

Mais ce sont plutôt les menaces sur l’Etat de droit du populisme à la Babiš qui motive la grande plateforme des citoyens contre les menaces aux libertés civiles. « Un million d’instants pour la démocratie » est né en novembre 2017 et rassemble aujourd’hui plus de 300 000 personnes. Le mouvement est très attentif à ce qui se passe dans les pays voisins : le contre-exemple inquiétant de Viktor Orbán est dans tous les esprits, mais l’exemple positif de la Présidente slovaque sociale- écologiste, Zuzana Čaputová, suscite de grands espoirs… selon le motto immémorial : « Si les Slovaques peuvent le faire, pourquoi pas nous ! » On souhaite en effet le même type d »’évolution en république tchèque qu’en Slovaquie – à cette immense réserve près qu’il a fallu une tragédie à Bratislava, l’assassinat du jeune journaliste Ján Kuciak et de sa compagne du même âge pour en arriver au point actuel…

Mais l’avenir demeure incertain. Que faire au juste ? Faut-il faire d’ Un million d’instants un parti politique ? Ou aider à la construction d’un parti politique « en dur », qui se présenterait donc aux élections dans tout le pays ? Il semblerait que les dirigeants du mouvement, Mikuláš Minář et Benjamin Roll, ainsi que la majorité des militants, soient partisans de la deuxième éventualité l’emportent. C’est en effet plus sage.

 

 

 

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