Premier Ministre Manuel Valls veut fusionner les régions…

...mais le Conseil Régional veut définir... «l'Alsace de 2030» !

Manuel Valls (milieu) veut abolir les départements et réduire le nombre de régions en France de 22 à 10. Dans les Conseils Généraux et Regionaux, on n'apprécie guère. Foto: Claude Truong-Ngoc / eurojournaliste.eu

(Par Alain Howiller) – Cela aurait pu apparaître comme un paradoxe:presque au même moment où le Conseil Régional d’Alsace engageait sa réflexion sur «Alsace 2030», démarche originale tendant à travers des groupes de travail, la participation des élus régionaux, des représentants des collectivités, l’implication des citoyens grâce à des rencontres, à définir ce que pourrait-être la région dans une quinzaine d’années, le gouvernement de Manuel Valls amorçait, quant à lui, un grand chambardement territorial. Dans sa déclaration de politique générale, en prélude au vote de confiance des parlementaires le désignant comme Premier Ministre, Manuel Valls annonçait, ni plus ni moins, son intention de diviser par deux le nombre des régions et de supprimer les conseils départementaux (ex-conseils généraux qui pilotent les départements. Le nombre des régions passerait ainsi de 22 à 11 et les régions subsistantes seraient amenées à se regrouper par fusion volontaire ou, si le regroupement n’est pas concrétisé d’ici là, par fusion autoritaire à partir du Premier Janvier 2017 : la loi tranchera.

Les départements, eux, disparaîtront et leurs prérogatives seront reprises par les régions, les groupements de communes et la douzaine de «métropoles régionales» (dont «l’Eurométropole de Strasbourg» qui remplacera l’actuelle «Communauté Urbaine -CUS» dès le 1er Janvier 2015) créées au mois de Décembre dernier. Certes, même regroupée dans une structure plus large, ni l’espace alsacien ni ceux qui l’habitent ne disparaîtront : «Alsace 2030 n’est pas une démarche uniquement institutionnelle, mais un projet pour toute l’Alsace», a tenu à souligner Philippe Richert, le Président de la Région Alsace lors d’un bilan d’étape. Certes, mais les paramètres qui encadreront l’institution régionale et la région elle-même -le «contenant» et le «contenu» en quelque sorte- risquent fort de ne plus être les mêmes, ni les perspectives !

Vers une région Alsace-Lorraine ? – L’Alsace serait amenée à se retrouver au sein d’une région Alsace-Lorraine dont les contours restent à déterminer. Y aura-t-il une région comprenant les deux départements alsaciens et la Moselle, ressuscitant ainsi le Land Elsass-Lothringen créé, après 1870, par Guillaume Premier et son chancelier Bismarck, et repris, après 1940, par l’occupant nazi ? S’agit-il de regrouper la Région Lorraine actuelle (avec 4 départements : Vosges, Moselle, Meurthe-et-Moselle et Meuse) avec l’Alsace ? Dans tous les cas de figure, on toucherait à l’Alsace qui, pour reprendre le propos de Pierre Pflimlin, est «l’une des rares régions françaises qui soit à la fois Région et Province. Dont tout le monde reconnaît, pour s’en inquiéter ou pour s’en réjouir, son unité et sa personnalité»(1).

Certes, pour ce qui est de l’unité, l’échec du référendum du 7 Avril 2013 qui voulait fusionner les trois structures «Région + départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin» a écorné une image pourtant réputée réelle à … l’extérieur de la région, mais les convergences autour de la personnalité alsacienne restent évidentes. Même si, lors de la récente visite de François Hollande à l’Université de Strasbourg (le 30 Janvier), l’un des ministres de la délégation présidentielle s’est demandé, devant un interlocuteur strasbourgeois interloqué, «pourquoi les Alsaciens ne veulent pas être comme les autres français» et «pourquoi ils tiennent tant à leur dialecte alors qu’on voit bien qu’en Allemagne, l’existence des dialectes rend la communication plus difficile entre Länder» (sic).

Les premières réactions contre une fusion éventuelle. – Que l’échec du referendum ait affadi l’image d’unité de la région, ils étaient nombreux à le regretter parmi les participants aux tables rondes de la «Journée Citoyenne» organisée le 12 Avril dans le cadre d’Alsace 2030, au siège de la Région Alsace. Si le referendum avait eu une issue favorable au regroupement sur les bords du Rhin, le poids de la région en aurait été conforté et le risque d’un éventuel transfert du siège de la Région aurait sans doute été écarté. Dès l’annonce d’un éventuel regroupement, l’hebdomadaire régional «l’Ami Hebdo» a lancé une campagne de protestation : «Pour les Alsaciens qui refusent d’être mis à la porte de l’Histoire». Conformément à sa tradition, le quotidien «Les Dernières Nouvelles d’Alsace», est resté plus mesuré (ou plus prudent) en lançant une sorte de sondage auprès de ses lecteurs et lectrices : il leur demande : «Réduction du nombre de régions en France, pour ou contre ?»

Un Association de citoyens intéressés par l’avenir de leur région, l’ICA (pour «Initiative Citoyenne Alsacienne – 2010» a lancé une pétition «Un manifeste pour le respect de l’entité Alsace dans son espace actuel»(2).Un certain nombre de responsables politiques ont réagi. Philippe Richert, Président de la région Alsace, a déclaré : «(Cette réforme)… est complètement déphasée avec la réalité», en regrettant que «ce soit le national qui décidera et qui imposera». Guy Dominique Kennel, Président du Conseil Général du Bas-Rhin, commente la suppression des départements : «C’est encore l’Etat jacobin… Et qui fera notre boulot ?… Pourquoi priver les Français d’une collectivité -le département- qui oeuvre justement dans la proximité ?…» Son collègue, Président du conseil général du Haut-Rhin, Charles Buttner, commente : «Ce pays continue à aller droit dans le mur… Certes, il faut réorganiser notre organisation administrative, mais dans la proximité. Supprimer le département, amènera une re-centralisation du pouvoir administratif ? On en revient à la France des années cinquante !»

Peut-on faire confiance aux sondages ? – Les sondages nous apprennent que 60% des Français seraient favorables aux réformes territoriales annoncées par Manuel Valls : doit-on rappeler que plus de 60% des Alsaciens étaient favorables à la fusion des trois collectivités, rejetée pourtant par le referendum du 7 Avril 2013, en raison notamment d’une trop faible participation au scrutin ! 61% des Alsaciens et 48% des Lorrains ne s’imaginent pas vivre au sein d’une région Alsace-Lorraine ! 84% des Alsaciens se disent très attachés à leur région, 70% d’entre eux se disent très attachés à leur culture, 68% se disent attachés à leur patrimoine, 62% à leur territoire et à leur gastronomie. 30% sont hostiles à un regroupement avec une autre région et ils sont 31% à ne pas vouloir d’une fusion avec la Lorraine.

L’ensemble des chiffres traduit toute l’ambiguïté alsacienne telle qu’elle était déjà apparue lors des sondages et de la consultation populaire sur la fusion : les Alsaciens sont unis lorsqu’on veut s’attaquer à eux, mais ils restent désunis, accrochés à leur entité locale, à «leur clocher» (ville, village, canton) lorsqu’ils sont entre eux, sur leurs terres ! Et si la mise en oeuvre des réformes n’a pas encore (mais ça viendra !) provoqué de levée de boucliers véritable en Alsace, c’est parce qu’on attend des précisions. D’autant que l’exécutif a déjà changé plusieurs fois d’avis, ces derniers mois : François Hollande n’a-t-il pas affirmé en Janvier à Tulle, dans son ancien fief électoral du département de la Corrèze : «On ne touchera pas au département!»

La mauvaise expérience du 7 Avril 2013 ! – Forts de leur expérience référendaire de l’année passée, les Alsaciens ne sont pas persuadés que les mesures annoncées se concrétiseront facilement et, surtout, rapidement. D’abord le calendrier à gérer n’est pas évident : les élections sénatoriales auront lieu cet automne. Compte tenu du résultat des élections municipales, la majorité du Sénat, largement élue par les nouveaux conseillers et maires, basculera à droite ! Dès lors, l’assemblée sénatoriale -dont un certain nombre d’élus de toutes tendances ont déjà exprimé leurs réserves- ne facilitera pas le travail du gouvernement. Et ce même si… Jean-François Copé, le Président de l’UMP, a annoncé que si la droite revenait au pouvoir en 2017, elle fusionnerait régions et départements, en procédant par Ordonnances !

Le calendrier électoral prévoit pour 2015, l’élection des conseils départementaux et régionaux. Ces élections pourraient être repoussées à 2016, année de pré-campagne pour les élections présidentielles. Compte tenu d’autres textes à voter, il sera difficile de «caser» les projets de réforme dans ce calendrier – risquera-t-on de «polluer» la campagne présidentielle par des enjeux régionaux et locaux qui, d’ici là, passionneront les Français ?

La France n’est pas un état fédéral comme l’Allemagne ! – Les réformes exigeront, à un moment ou à un autre des procédures, soit une réforme constitutionnelle (disparition des départements) qui réclamera une (difficile) majorité de deux tiers au Parlement les deux Chambres réunies, soit un referendum populaire, avec les risques inhérents à la formule (absence de majorité, taux d’abstention trop élevé). Rien décidément n’est joué et dans tous les cas de figure, le gouvernement Valls -mais c’est aussi cela, la politique- prend des risques que, jusqu’ici, aucun gouvernement n’a voulu prendre.

Pourtant, l’essentiel des réformes est, jusqu’ici, ignoré. On veut nous faire croire, par exemple, que la fusion des régions génèrera d’importantes économies et leur donnera, grâce à leur extension spatiale, un poids et une compétitivité indispensables. On veut faire comme les «länder allemands». Compte tenu des tâches assumées par les régions -et qu’il faudra bien continuer à assurer-, les spécialistes ont estimé que les économies que génèrera la réforme sera de l’ordre de 500 millions d’euros : ce n’est pas rien, mais ce n’est pas à la hauteur des résultats escomptés ! Quand à la comparaison avec les «Länder allemands», elle souligne que l’efficacité des régions ne relève pas de leur dimension, mais bien des pouvoirs exercés. L’Allemagne est un pays fédéral, la France non. Le pouvoir des régions n’est pas lié à leur dimension, mais aux pouvoirs dont elles disposent. La comparaison entre les deux rives du Rhin est éclairante, à cet égard !

Et pour finir : Saint-Exupéry ! – En poursuivant sereinement «Alsace 2030», le Conseil Régional d’Alsace a pris le… risque de réussir à dessiner les contours de l’Alsace de demain. Il a déjà associé 1.200 personnes à sa réflexion et organisé une quarantaine de réunions en attendant d’autres démarches et rencontres tout au long de l’année 2014 : le 24 Mai, par exemple, aura lieu une «journée des jeunes», appelés à définir leur vision de l’Alsace de demain.

Prenant de la hauteur, le Conseil Régional d’Alsace a décidé de placer «Alsace 2030» sous les auspices de l’aviateur-écrivain Antoine de Saint-Exupéry, dont il a mis cette phrase en relief : «Il ne s’agit pas de prévoir l’avenir, mais de le rendre possible !» Joli programme, non ?

(1) Dans «L’Alsace, destin et Volonté» de Pierre Pflimlin et René Uhrich (Calmann – Levy, éditeur)
(2) Adresse courriel pour le «manifeste» : klein-pierre0536@orange.fr

1 Kommentar zu Premier Ministre Manuel Valls veut fusionner les régions…

  1. Voilà encore un papier “profondeur des lieux” dans lequel on plonge et…on prend des notes!
    C’est çà le minimum d’éclairage” clair” que requiert la démocratie . Es ist ûberal so. Wissen erstens,ûberlegen , diskutieren und wâhlen. Une démocratie éclairée, voilà l’essentiel. Eclairée! Wie sagte das Friederich, der Kaiser? Eclairé.

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