Jours de confinement : le cri de l’axolotl

Vides ou pleins

Fou Foto: powerbooktrance/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/2.0Gen

(Marc Chaudeur) – Les premiers jours du confinement offrent le spectacle étrange d’une fourmilière devenue folle (davantage d’ailleurs dans ce qu’en reflètent les réseaux sociaux que dans la réalité) : on s’agite en tous sens, on se demande où sont passées les bouteilles de Côtes du Rhône, dans quel sens utiliser le sextoy commandé à Amazon ; on a horriblement peur que ses enfants oublient tout leur vocabulaire (laborieusement engrangé devant les jeux vidéo) et deviennent complètement imbéciles, que son mari se transforme en Hulk écumant… Et la presse de caniveau renchérit : «  Allons-nous tous devenir … arg … alcooliques ? », viens-je de lire… Autre chose me dérange : c’est le syndrome Der des Ders.

Pour ce qui est de la question citée plus haut, nous proposons une solution : pour ne pas devenir alcoolique, il faut éviter de boire. Si si. Plus sérieusement, une telle question révèle clairement le regard que posent tant de pseudo-journalistes sur les êtres humains qu’ils sont censés informer : des enfants déficients mentaux, semble-t-il, incapables de concevoir et d’assumer une quelconque responsabilité. Nous, ont-ils l’air de penser, on va leur apprendre comment ouvrir une porte, boire un verre de vin (mais surtout pas plus!), parler à sa femme, comment faire l’amour, comment se moucher, comment descendre l’escalier,… Pour tout cela, bien sûr, un citoyen normal a besoin d’un « journaliste « , cela va de soi.

Et puis, surtout, comment tenir en place ? Comment rester calme dans son appartement de Romorantin ou de Saint-Denis ? Comment supporter cela, hein, hein ? A force de ruminer cette question, de la répéter des milliers de fois par jour, de se l’entendre asséner en une infinité de modulations, oui, en effet, le citoyen moyen deviendra complètement fou, pas de doute à cela. Mais allons plus loin : n’est-ce pas l’échec le plus cuisant, le plus cruel de notre civilisation – mais surtout,de notre système d’éducation – que de laisser dans l’esprit de millions de personnes un vide à ce point sidéral qu’elles ne conçoivent pas même la nécessité de le remplir ? Quelle angoisse ! Mais mon cher, prenez-en main… non pas un livre, je n’oserais vous le proposer, mais un instrument de musique, une flûte, un triangle ou un bongo (ou un conga, je ne sais plus) et apprenez à vous en servir ! Ou tant d’autres pratiques où vous apprendrez à réaliser ce projet que l’ « éducation » contemporaine a totalement oublié : de vous construire vous même !

« La Nature a horreur du vide », écrit Aristote. Oui, notre pseudo-culture grimaçante nous a tellement éloignés de la nature humaine qu’elle engendre une angoisse souvent insupportable. Comment remédier à cette angoisse ? Eh bien, revenons à notre virus, à notre COVID-19. Il fait peur. Mais la meilleure manière de vaincre la peur et l’angoisse, c’est de remplir le vide et de s’informer sur ce qu’est ce virus au juste, et sur ce qu’est plus généralement UN virus. Lisons pour cela une publication scientifique même moyenne, ou bien même Wikipédia. Vous verrez : c’est fascinant. Et au plus profond, en s’informant, on circonscrit l’objet précis de sa peur, et on réduit le champ de son angoisse. Elémentaire. L’angoisse, c’est comme le mal de mer : le plus souvent, on l’ éprouve quand on ne peut anticiper les mouvements du bateau. Pareil : il faut anticiper les mouvements de ce fichu COVID-19 et plus encore, ceux de son esprit quand il tend à crever de trouille.

Autre chose : l’esprit utopiste et le syndrome Der des Ders. Il ne sert à pas grand-chose de se perdre en déclamations euphoriques et grandiloquentes, de prévoir un avenir post-virus merveilleux où tous les problèmes sociaux auront disparu : c’est faux. Aussi faux que de prétendre que le stalinisme est le Paradis de l’Humanité. Non : les problèmes sociaux (et écologiques), il faut se les représenter de manière précise et pertinente et les combattre avec ses mains (et son ordinateur, le cas échéant). La guerre contre le virus, ce ne sera pas la Der des Ders : la Paix ne s’installera pas comme par miracle. Il faudra la gagner, comme il a fallu combattre rudement pour vaincre le nazisme.

Le rapport entre les deux considérations  qui couvrent cette page, c’est qu’il faut parvenir à s’asseoir chez soi, à se recentrer sur soi, à reconquérir l’autonomie de son esprit personnel et à se construire enfin soi-même.

Dire, comme on le fait si souvent depuis dix jours, que nous est donnée la chance inespérée de disposer de tout ce temps pour lire, penser, se retrouver et par dessus tout, se trouver, c’est parfaitement vrai. C’est une chose absolument essentielle, en effet. Profiter de son temps pour se construire soi-même.

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