Présidentielles : évitera-t-on le choc…

… des « urbains » contre les... « ruraux » ?

Dans le paradis de la campagne, on vote souvent FN. Foto: Kenneth Allen / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.0

(Par Alain Howiller) – L’article avait échappé à l’attention de la plupart des observateurs : il avait paru, il y a quelques semaines, dans la « Frankfurter Allgemeine », sous le titre « Union will ein Heimatministerium auf Bundesebene » (« la CDU/CSU veut créer un ministère de « la patrie» au niveau fédéral »). L’article, exploitant un document interne CDU/CSU, évoquait le fait que l’appellation du ministère de l’agriculture pourrait s’appeler, après les élections de Septembre et la mise en place d’un nouveau gouvernement, « Ministère pour l’alimentation, l’agriculture, le territoire rural et la patrie ». (« Landwirtschaftliches Ministerum für Ernährung, Landwirtschaft, ländliche Räume und Heimat »).

Il s’agirait essentiellement de soutenir et renforcer l’attractivité de la vie à la campagne : citant Mike Mohring, chef de la fraction CDU dans le land de Thuringe, le journal souligne ce propos : « Là où l’Etat se retire du territoire rural, les populistes s’installent facilement. Nous ne les laisserons pas s’installer dans les lieux retirés et dans les petites villes ». Volker Kauder, président du groupe CDU/CSU du Parlement Fédéral, mettait en garde contre une division de l’Allemagne si les territoires ruraux ne sont pas renforcés : « L’Allemagne ne doit en aucun cas », insiste Kauder, « devenir un pays où domineraient en majorité des pôles de croissance (« Ballungsräume ») alors que la situation des habitants dans les territoires ruraux se dégraderait ».

Macron et la « fraternité des Territoires ! » – Le premier tour des élections présidentielles françaises vient d’apporter une illustration « française » des craintes allemandes : si Emmanuel Macron, placé en tête du résultat de ce premier tour avec prés de 24% des voix, apparaît bien comme le candidat préféré des villes et des métropoles, Marine Le Pen, deuxième de la « compétition » avec prés de 21,50% des voix, apparaît, elle, comme la candidate préférée de la ruralité. Au terme de ce premier tour, tout porte à croire qu’il y a un mouvement « En Marche» des villes, et un « Front National » des campagnes ! La ruralité française, surfant en plus sur la crise de l’agriculture, s’est tournée clatrement vers le FN : le vote français a rejoint les…. prévisions de Mike Mohring et de Volker Kauder : voilà une convergence franco-allemande à laquelle on ne s’attendait pas !

Du coup, au delà de son programme, Emmanuel Macron a réagi vivement pour défendre, à Chatellerault (Vienne), une politique dynamique contre la désertification rurale pour défendre un « projet de fraternité des territoires… une France de la Ruralité qui soit une France de la réussite française ! ». S’il arrivait au pouvoir, il lutterait contre les formes d’isolement (notamment par la mise en oeuvre de la révolution numérique), contre la dégradation économique des territoires en favorisant les reconversions d’activités agricoles et industrielles, en développant les créations d’emplois grâce à des soutiens adaptés et à des programmes de formation en faveur des salariés. Il entend se battre en faveur d’une France rurale qui se sent éloignée des centres de décision, qui souffre de la dégradation économique et de la compression des emplois, de la dégradation des services publics (il n’y aura plus de suppression d’écoles mais la création de « Maisons de Service » et de « Maisons de Santé » qui accueilleront services et médecins). Il entendra mettre un terme à leur repli vers vers les centres urbains plus importants, à la disparition de nombreux commerces de proximité, au déclin des activités en général.

Un « Pacte pour la ruralité » dans le Grand Est ! – Fragilisés, les territoires ruraux dont le Front National a décelé très tôt et exploité les opportunités électorales, éprouvent souvent un sentiment de déclassement et de décrochage économique contre lesquels les pouvoirs publics ont commencé à lutter, l’année dernière, avec la mise en place des « contrats de ruralité » qui entendaient aider les territoires en fédérant les actions de développement menées par l’Etat, les collectivités locales, le monde économique et associatif. Le Grand Est avait anticipé, dès janvier 2016, cette approche avant de s’inscrire dans la logique du « contrat de ruralité », à travers la définition de son « pacte pour la Ruralité ». L’objectif de ce « pacte », qui vient d’être approuvé est de « faire de la ruralité une richesse en dynamisant les bourgs-centres, en facilitant les mobilités en zone rurale à travers les transports, les axes de circulation et le développement du numérique. Il s’agit aussi de participer à la construction d’un territoire d’équité et de proximité tout en favorisant une décongestion des grandes villes.

Politologue, professeur à Sciences Paris où il a fondé le CEVIPOF, son centre de recherches sur la vie politique, Pascal Perineau analysé les zones rurales qui ont voté FN au premier tour de ces élections présidentielles : « Ce sont des zones sinistrées qui souffrent depuis des décennies des ravages de la désindustrialisation, où les ouvriers et les employés sont nombreux. Et ce sont eux qui ont voté majoritairement Marine Le Pen ». [… Ce sont des...]] endroits où la crise rurale est très forte. S’ajoutent à cela des problématiques de périphéries urbaines. Cela concerne des communes apparemment rurales, mais peuplées par des urbains qui s’éloignent chaque fois un peu plus des centres villes avec un clivage territorial qui s’accentue » (dans Le Monde du 26.04.2017). La première fois que j’avais pris conscience, concrètement, du phénomène, c’était à quelques mois des élections municipales de Mars 2014.

Avec la diligence de Beaucaire et Alphonse Daudet ! – C’était à Beaucaire, dans le Gard : une cité provençale de 15.000 habitants, nichée en face de Tarascon, dans un triangle formé de Nîmes, d’Arles et d’Avignon. La ville est célèbre dans le monde entier pour avoir été la vedette d’une courte et sombre nouvelle (« La diligence de Beaucaire ») figurant dans les « Lettres de Mon Moulin » d’Alphonse Daudet ! La ville ne reflétait plus guère l’image que la nouvelle de Daudet semblait suggérer : 18% de chômeurs, insécurité, commerces du centre-ville fermés, quartier de la cathédrale assez délabré.

Arrivent les élections municipales de Mars 2014 : l’équipe du maire sortant, politiquement situéeà droite puis au centre, est balayée par un jeune maire, d’une trentaine d’années, appartenant au FN ! A Beaucaire, lors du premier tour de ces présidentielles, Marine Le Pen a réalisé près de 41% des voix devant Mélenchon (23% des voix), Macron (19%) et Fillon (un peu plus de 12%) ! Le commentaire est, sans doute, superflu : les chiffres sont, à eux seuls, parlants !

On le voit, le phénomène n’est pas tout à fait nouveau et on avait découvert, l’année dernière, au colloque organisé à l’Ecole Nationale d’Administration (E.N.A) à Strasbourg sur le thème « La région du Grand Est et ses voisins : nouvelles dimensions, nouvelles opportunités ? » (eurojournalist.eu du 9 Novembre 2016) qu’il existait, en soutien des dispositions définies plus haut, un « Commissariat à l’Egalité des Territoires » relevant du Premier Ministre.

En Allemagne… aussi ! – A l’E.N.A, Jean Christophe Baudoin, Directeur des stratégies territoriales du Commissariat, avait développé les actions qui tendaient à ne pas réserver le monopole de la croissance aux métropoles : ces dernières restent des moteurs de développement, mais l’aménagement du territoire ne doit pas, pour autant, oublier la solidarité en faveur de la « France des ruralités ».

Au premier tour des élections présidentielles, les électeurs des territoires ruraux -mais aussi ceux des zones périphériques urbaines- ont tenu à exprimer leur désarroi en lançant un avertissement aux candidats : les résultats du deuxième tour souligneront s’ils pensent avoir été compris et… par qui ! Quel que soit le résultat du vote, la France des Territoires se sera imposée dans la préoccupation des dirigeants : l’étude de l’Union CDU/CSU souligne que le phénomène n ‘est pas propre à la France : l’Allemagne qui vote en Septembre, ferait bien de ne pas l’oublier !

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