Prix Goethe : un beau choix

Cette année, Dževad Karahasan, écrivain bosniaque

Sarajevo : la Bibliothèque Foto: Bernard Gagnon/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – Le Prix Goethe est particulièrement prestigieux. Il est remis tous les trois ans depuis 1927 à la date anniversaire de la naissance de Goethe (vous savez, Johann Wofgang von Goethe ? Vous vous en souvenez ?), le 28 août. Les organisateurs, principalement la ville de Francfort, sont attentifs à l’humanisme et à l’universalisme post-Aufklärung des auteurs qui sillonnent le monde – puisque ce Prix n’est nullement réservé aux écrivains allemands ou germanophones. Cette année, le grand écrivain et dramaturge bosniaque (et bosnien, c’est-à-dire citoyen de la République de Bosnie-Herzégovine) Dževad Karahasan, auteur d’une cinquantaine d’œuvres diverses mais ancrées dans la culture des Républiques de l’ex-Yougoslavie. Un grand passeur entre Orient et Occident.

Un passeur de frontières, c’est bien le point sur lequel Peter Feldmann, le maire de Francfort, a insisté dans le discours où il a annoncé le nom du récipiendaire, la semaine dernière. Le maire a parlé d’un dépassement durable des frontières politiques aussi bien que culturelles. Mais il faut préciser que ce dépassement n’est pas purement abstrait : toute l’œuvre de Karahasan ou presque procède à une explicitation littéraire, à une présentation romanesque des cultures et de leurs enjeux. Quel beau terrain que la Bosnie, d’ailleurs, pour ce faire… Une population majoritairement musulmane du fait de son appartenance passée à l’Empire ottoman, un pays montagneux et souvent brumeux ; une zone incessante de frottements entre des confessions qui se veulent antagonistes mais qui sont de véritables sœurs ennemies, ici plus qu’ailleurs… Et l’Orient toujours présent. A la fois intime et contemplé d’une certaine distance, à partir de ce seuil que représente l’ex-Yougoslavie.

Né en 1953 à Duvno, le jeune Karahasan a fréquenté le lycée à Sarajevo, puis a bénéficié des leçons d’un moine franciscain qui lui aurait enseigné philosophie, grec et latin durant deux années. C’est en 1986 et à Zagreb qu’il passe sa thèse ; il finance ses études en allant travailler, comme tant de Yougoslaves à l’époque, en Allemagne. Sujet de cette thèse : les modèles littéraires utilisés par le grand écrivain croate Miroslav Krleža, mort en 1981, dans sa grand trilogie des années 1928 à 1932 et intitulée Le Cycle des Glembay. Les modèles de cette fresque, qui retrace l’histoire de bourgeois croates ? Sans doute Ibsen pour le dévoilement des secrètes turpitudes familiales, Dostoïevski, Strindberg et son singulier expressionnisme un peu allumé, les Buddenbrooks de Thomas Mann, et quelques autres.

Le prurit nationaliste, la guerre et l’horrible Siège de Sarajevo poussent Karahasan à partir s’établir à Graz, en Autriche, et à y enseigner ce qu’on appelle parfois encore (avec raison) le serbo-croate. Depuis presque 30 ans, il ne cesse d’effectuer des allers et venues entre la Bosnie et l’Autriche. Il a composé environ 20 pièces de théâtre et plus d’une quinzaine de romans et d’essais.

L’Orient ? Il est présent dès son magnifique roman de 1989, Le Divan oriental. Il y retrace une histoire, l’histoire très incarnée et psychologiquement riche du grand sage soufi al-Hallaj, auteur de sentences et d’aphorismes flamboyants et fulgurants – et crucifié par les autorités de Bagdad en 922. Peut-être l’œuvre la plus marquante de Karahasan. Encore que pour mieux en juger, on aimerait disposer de bien davantage de traductions ! Frottements, disions nous : les pièces et les romans de Karahasan portent parfois sur des personnages musulmans, parfois sur des chrétiens, et se déroulent souvent dans cette jointure tragique et féconde où les deux se rejoignent, en s’affrontant ou en dialoguant. Comme dans La Roue de Sainte Catherine,  ou encore L’Age de sable, et dans la plus grande partie de son œuvre.

Le Prix Goethe, par le passé, a été décerné à des auteurs particulièrement remarquables : au poète Stefan George en 1927, puis à notre Albert Schweitzer, en 1930 à Freud, après la guerre à Hesse, Jaspers, Thomas Mann (1949, bicentenaire de la naissance de Goethe à Francfort), Raymond Aron en 1979, Amos Oz en 2005, et… Ariane Mnouchkine il y a 3 ans !

Dževan Karahasan ne dépare pas ce tableau scintillant. Mais il faudrait s’atteler à la traduction de cet auteur qui est méconnu (voire inconnu…) en France. Alors qu’il apporte tellement pour la compréhension de l’Europe balkanique et de l’Orient ottoman… A découvrir avec immense profit.

A consulter, i.a. : https://www.courrierdesbalkans.fr

 

 

 

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