Prix Sakharov à Oleh Sentsov

Une tête carrée d’Ukrainien

Oleh Sentsov hier à Strasbourg avec David Sassoli, le Président du PE. Foto: marcchaudeur / Eurojournalist(e) / CC-BY-SA 4.0int

(Marc Chaudeur) – Le Prix Sakharov 2018 a été remis hier seulement à son lauréat, le cinéaste ukrainien Oleh Sentsov, à cause de sa détention qui ne s’est achevée qu’au mois d’août dernier. Ce prix récompense un symbole, celui des prisonniers politiques et d’opinion de Russie, ainsi qu’un esprit de résistance héroïque et inébranlable ; bien autre qu’une défense théorique et intellectuelle des Droits de l’Homme. Ce qui est aussi en parfait accord avec l’esprit de cette récompense décernée par le Parlement Européen depuis 1988.

25 août 2015 : Sentsov est condamné à vingt ans de prison pour « organisation d’un groupe terroriste ». Il félicite le « nain sanguinaire » (c’est-à-dire Poutine) d’organiser aussi bien qu’il le fait sa propagande et d’asservir d’aussi nombreux larbins, et entonne l’hymne ukrainien en choeur avec l’un de ses  coaccusés, Oleksander Koltchenko ! Ce 25 août, cela fait plus d’un an que Sentsov est détenu par le FSB : le 11 mars 2014, en effet, à la suite de l’insurrection contre l’ invasion de la Crimée par l’armée russe, on l’accuse de préparer, à la tête d’une « organisation terroriste », un dépôt de bombe à Simferopol et l’incendie de cette ville, mais aussi celui de Yalta et Sebastopol…

A la base de cette condamnation, des aveux. Des aveux extorqués sous le tabassage et la torture, plutôt habituelles dans les geôles russes. Sentsov, en effet, a été frappé à coups de bâton et de matraque (avec menaces de viol), et un témoin à charge a été gégéné aux  testicules et à demi-étouffé au moyen d’une technique que connaissaient bien, elles aussi, certaines régions algéroises voici 60 ans… Sentsov a passé une parti non négligeable de ses 4 années de détention… au Nord de la Sibérie, à Labytnangi-en-Yacoutie, dans une colonie pénitentiaire digne des noires années du Paradis stalinien (et d’ailleurs proche de Workuta). A 3500 kilomètres de chez lui, et à – 40° l’hiver.

Oleh Sentsov, né en 1976 à Simferopol, a réalisé en tout 4 films depuis 2008 : 2 courts métrages et 2 longs métrages dont Gamer (2011), qui raconte l’histoire d’un jeune garçon vissé aux jeux vidéos. Grand succès, qui permet à Sentsov de financer le suivant, Rhino, dont l’arrivée de la soldatesque poutinienne en 2014 a retardé le tournage.

Sentsov est très actif, à sa silencieuse manière, dans le mouvement ukrainien de 2013-2014 : d’abord dans Euromaidan, qui défend l’indépendance ukrainienne dans une perspective intensément européenne, puis dans Automaidan ensuite, plus ciblé et mieux organisé. Le militant est repéré très vite par les portables du FSB. Puis arrêté.

Le réalisateur a été très tôt soutenu par de grands cinéastes comme Ken Loach, Agneszka Holland ou Mike Leigh, mais c’est sa grève de la faim qui a fait se lever d’innombrables boucliers. Cette grève a duré 145 longs jours de l’année 2018. Le 6 octobre, on l’alimente de force. Il sera libéré le 7 septembre 2018.

Et voilà qu’enfin, le 26 novembre, Oleh Sentsov se rend à Strasbourg pour y recevoir le Prix Sakharov de l’an dernier. Cette décision se justifie parfaitement, bien que le cinéaste, dans son action, le discours qu’il a prononcé hier et sa Conférence de presse, n’exprime pas le même humanisme éthéré et « idéaliste » que certains bénéficiaires dans le passé. Son combat est un combat contre l’injustice, pour la liberté et le bonheur. Et plus concrètement encore, pour les 13 000 morts ukrainiens, pour les centaines de jeunes encore en prison, pour les Tatars de Crimée qu’on arrête en ce moment même…

Hier à Strasbourg, Oleh Sentsov, de caractère réservé, a aussi paru marqué par sa longue détention de 4 ans dans les grandes glacitudes. Parlant bas et doux, il a fourni des réponses brèves, précises et incisives, marquant bien les différences de perception entre Ukraine et Europe occidentale. Mais il a bien insisté sur le fait que « l’Ukraine est le pays le plus europtimiste, aujourd’hui », et qu’elle a un besoin vital d’Europe – dans tous les domaines.

Emmanuel Macron, que Sentsov a rencontré voici quelques jours à Paris ? Il a perçu chez le Président français bien peu de réelle compréhension de l’attitude de Poutine, et malheureusement, un désir de « dialogue » à tout prix avec le nouveau Tsar. Mais comment dialoguer avec cet ancien agent secret, cynique, opérant sans cesse une double ou une triple tactique, mentant sans cesse et se contredisant par opportunisme ? Par exemple, en 2014, Poutine se perdait en louanges extatiques de l’Ukraine – et quelques semaines plus tard, constatant l’européocentrisme de Kyiv, il a jeté bas son masque et annexe l’Ukraine…

Que faire des prisonniers politiques en Russie ? Réponse de Sentsov : continuer toujours à faire ce que fait l’UE ;y penser sans cesse, en parler toujours, servir de voix pour ces êtres emprisonnés pour leurs opinions ou parce que Poutine les considère comme Russes, alors qu’ils sont Ukrainiens…

Espérons donc que ce Prix Sakharov 2018 aidera ces centaines de milliers d’êtres humains menacés à retrouver la liberté, la dignité et la justice. C’est une aide immense pour cette région souffrante du monde. De même que le relais constant et sans, disons, complaisance Sputnikienne, des informations qui nous en parviennent.

Rappelons aussi que le Prix Sakharov 2019, lui, a été remis au “dissident” ouïgour Ilham Tohti. Autre vaste, très vaste problème.

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