Profondément rouge et… vert !

La Péninsule Ibérique pleure le guerillero-écrivain, terrassé par le Covid-19, à l'âge de 70 ans.

Luis Sepúlveda en 2014. Foto: Comune di Sesto San Giovanni / Wikimedia Commons / PD

(Jean-Marc Claus) – Le 17 avril 2020 à Bruxelles, David Maria Sassoli, Président du Parlement Européen, rendait hommage à Luis Sepúlveda, décédé la veille au Centre Hospitalier Universitaire  des Asturies (HUCA) à Oviedo. L’écrivain chilien, réfugié en Europe dans les années 1980, était le premier cas confirmé de Covid-19 dans la communauté autonome des Asturies où il résidait depuis 1997. Le conseil municipal de Gijón va proposer de le nommer fils adoptif de la ville. La maire, Ana González Rodríguez, souligne sa participation active à la vie sociale et culturelle de la cité.

La perte de l’écrivain, symbole de la résistance à la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990), n’émeut pas que son pays d’accueil. Unissant dans une tristesse partagée les deux peuples de la Péninsule Ibérique, son décès est également déploré par le président Marcelo Rebelo de Sousa, qui le qualifie d’ami du Portugal et souligne son militantisme aux côtés de Salvador Allende.

Écrivain, journaliste, scénariste, voyageur, telles sont les « raisons sociales » habituellement attribuées en Europe à Luis Sepúlveda. Tant en Espagne qu’au Portugal, ses talents artistiques n’éclipsent pas son militantisme politique. Un militantisme profondément ancré à gauche. Engagé aux Jeunesses Communistes dès l’âge de douze ans, emprisonné à Temuco alors qu’il était étudiant, il fut libéré en 1977 grâce à l’intervention d’Amnesty International mais condamné à l’exil. C’est alors qu’il sillonna plusieurs pays d’Amérique du Sud où, au contact des amérindiens Shuars, il se découvrit une passion pour l’écologie. En 1982 il débarqua à Hambourg pour s’installer finalement à Gijón en 1997.

A la fois écrivain et guérillero, ayant toujours écrit selon Fernando García qui rapporte ses propos dans La Vangardia, Luis Sepúlveda a pris les armes quand il le fallait et vivait paisiblement avec son passé, convaincu d’avoir fait la bonne chose au bon moment, quitte à risquer sa vie pour ce qu’il considérait comme le plus beau, c’est à dire les idéaux. Ressentant les premiers signes de la maladie le 25 février, soit deux jours après sa participation au festival littéraire Correntes d’Écritas, à Póvoa, au Nord du Portugal, il avait été testé positif au Covid-19 et hospitalisé quatre jours plus tard. Son épouse, la poétesse Carmen Yáñez, présentant des symptômes similaires fut elle aussi hospitalisée jusqu’au 18 mars, comme le rapporte El Diario. Né au Chili d’un père basque et d’une mère andalouse, après de multiples pérégrinations, Luis Sepúlveda a rendu son dernier souffle sur la terre de ses ancêtres.

El País souligne sa réussite en France, avant d’être publié en Espagne, et estime sa biographie digne de plusieurs romans. Son engagement politique y est considéré comme partie intégrante de son ADN. Se disant profundamente rojo (profondément rouge), il fut de plusieurs batailles et associa très naturellement le vert à sa couleur initiale. D’où un engagement à Greenpeace dans les années 1980, alors que très jeune, il avait été mousse sur un baleinier. Ne pouvant se considérer autrement que comme un auteur engagé, il affirmait lors d’une rencontre avec les lecteurs d’El País que « C’est aux écrivains d’être la voix des oubliés ». Oubliés qu’il mit en scène depuis les profondeurs de la forêt amazonienne, avec « Le vieux qui lisait des romans d’amour » (1989), jusqu’aux immensités océanes dans son dernier roman « Histoire d’une baleine blanche » (2019).

C’est équipé de gants de boxe, qu’El Mundo le fait apparaître dans l’article de Luis Alemany où l’accent est mis sur son parcours d’écrivain, soulignant que la littérature était pour lui une nueva reinvención (nouvelle réinvention), une nueva vida (nouvelle vie) à laquelle il est arrivé avec un bagage somme toute très classique. A l’heure où la pandémie de Covid-19 nous prive de milliers d’anonymes et de personnes de la notoriété de Luis Sepúlveda, l’impérieuse nécessité de réinventer notre monde apparaît comme une évidence. La course à la croissance matérielle, la captation des richesses par une minorité, la destruction de l’environnement, les atteintes aux libertés fondamentales doivent impérativement s’arrêter. Peut-on encore gagner aux points le match de boxe contre le capitalisme, ou faut-il le vaincre par KO ? Le temps presse, or l’association des couleurs rouge et verte, à l’instar du parcours de Luis Sepúlveda, ne manque pas de potentiels en termes de réinvention et de renouvellement de cette vie qui tient à un fil de plus en plus ténu…

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