Quand la démocratie protège ses propres ennemis…

Les services secrets et le parti d’extrême-droite « AfD » se livrent une joute devant les tribunaux. En attendant une décision finale, ce sont les extrémistes qui semblent tirer leur épingle du jeu. Du moins, pour l’instant.

L'AfD célèbre aujourd'hui une "victoire" sur les services secrets - qui n'en est pas une... Foto: Weeping Angel / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(KL) – Une phrase attribuée à tort à Voltaire, constitue le fondement même de la liberté d’expression dans une démocratie éclairée : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire ! ». C’est l’auteure anglaise Evelyn Beatrice Hall qui, en 1906, avait attribué cette phrase au grand penseur français, mais le fait que Voltaire n’ait jamais prononcé cette phrase, n’enlève rien à son contenu – dans une démocratie, il faut pouvoir exprimer toute opinion, aussi farfelue qu’elle soit, à condition qu’une telle opinion ne transgresse pas les lois en vigueur.

Cette liberté d’expression chère à tout démocrate, pose actuellement un problème entre le parti d’extrême-droite « AfD » et le « Bundesamt für Verfassungsschutz » (BfV, Office pour la protection de la constitution – donc, les services secrets). Le BfV avait classé la semaine dernière, le parti « AfD » comme « cas sous soupçon », un statut qui autorise les services à opérer des filatures, des écoutes téléphoniques et d’autres mesures de surveillance. Seulement, en cette année de nombreuses élections, ce nouveau statut n’était pas au goût de l’AfD qui avait porté plainte en référé. Si le Tribunal Administratif de Cologne ne s’est pas prononcé sur le fond de cette affaire, il a toutefois interdit au BfV de communiquer sur le statut de l’AfD et d’effectuer, du moins le temps qu’un tribunal ait pris une décision définitive concernant ce statut, les mesures de surveillance annoncées. Si cela ne veut pas dire que ce statut de « cas sous soupçon » soit annulé, le BfV doit suivre la procédure imposée pour de tels cas.

Contrairement à la France où cette semaine, les autorités ont interdit le groupuscule d’extrême-droite « Génération identitaire », la constitution allemande connaît de nombreuses règles pour protéger les partis politiques. Pour cause – en 1933, lors de la prise du pouvoir par Hitler, les partis présents au Reichstag étaient dissouts, les députés arrêtés et la démocratie abolie par les nazis. Pour éviter cela à l’avenir, la constitution allemande rend l’interdiction de partis ou même leur surveillance très difficile. En principe, c’est une très bonne chose, même si dans le cas présent, la constitution protège ceux qui voudraient l’abolir.

Est-ce que l’AfD est un parti d’extrême-droite ? Le tribunal de Cologne ne s’est pas posé cette question, ce seront d’autres tribunaux qui prendront les décisions qui s’imposent. Mais comment ne pas considérer un parti comme « d’extrême-droite » dont certains cadors s’auto-qualifient publiquement et fièrement de « fasciste » comme Björn Höcke ? Pour l’instant, le BfV a essuyé une interdiction d’opérer ses surveillances et de communiquer sur le statut de « cas sous soupçon » de l’AfD, en attendant le jugement sur le fond de la procédure. C’est tout. Même si l’AfD a passé sa journée d’hier en célébrant la « défaite cuisante du BfV », rien n’est décidé quant au fond de la procédure et il y a de fortes chances à ce que les tribunaux fédéraux autoriseront cette classification de l’AfD et les mesures qui vont avec.

Les discours de haine, d’exclusion, racistes, sexistes, violent de certains « gros bonnets » de l’AfD ne sont pas couverts par le droit à la libre expression, mais constituent des comportements délictueux. Par conséquent, l’AfD ne peut pas faire valoir ce droit à la libre expression lorsqu’un protagoniste comme le vieux patron de l’AfD Alexander Gauland estime que « les 12 années du nazisme n’étaient qu’une chiure d’oiseau sur l’histoire ». Cela s’appelle « l’apologie du nazisme » et cela constitue un délit punissable.

Si on comprend la colère du plus grand parti d’opposition en Allemagne (et oui, nous en sommes là !) d’être qualifié de « cas de soupçon », force est de constater que ce parti que d’aucuns qualifient de « bras parlementaire de la ‘Pegida’ » n’a pas été blanchi par ce verdict. Le BfV s’est fait remonter les bretelles pour ne pas avoir respecté les règles de la procédure, mais aucune décision sur le fond de l’affaire n’est intervenue. Mais l’AfD, dans son souci permanent de se présenter comme victime d’un « système anti-démocratique », vient d’attirer l’attention de toute l’Allemagne sur exactement la question que l’AfD voulait éviter – est-ce que, oui ou non, l’AfD représente des positions anticonstitutionnelles ? La réponse sera donnée par un tribunal fédéral. Et la réponse à cette question risque d’être un « oui ».

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