Quand le roi démérite…

Dans la presse espagnole, plusieurs acteurs de la société dite civile, commentent la carapate de Juan Carlos Ier.

De droite à gauche - Franco (1892-1975) et son épouse Doña Carmen Pollo, Juan Carlos Ier de Borbón et Sofía de Grecia, son épouse. Foto: Fotograaf Onbekend Anelo / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(Jean-Marc Claus) – La fuite du roi émérite aux mérites de plus en plus douteux fait couler beaucoup d’encre et de salive au sud des Pyrénées. Tandis que la Catalogne se proclame républicaine, droite (PP) et extrême-droite (Vox) poussent des cris d’orfraie, gageant que la coalition de gauche actuellement au pouvoir va en profiter pour provoquer un changement de régime. Comme si, en temps de pandémie, le gouvernement n’avait pas d’autres préoccupations infiniment plus importantes !

Au niveau des médias la presse écrite, tout en assurant sa mission d’information, fait un pas de côté, s’évitant ainsi de participer à une surenchère propre à provoquer son instrumentalisation. Ce pas de côté porte les noms de différentes personnalités de la société dite civile qui, apportant leurs propres analyses, contribuent grandement à élever le débat bien au dessus du niveau où certains politiques aimeraient le cantonner, à de seules fins électoralistes.

Ian Gibson, irlando-espagnol et hispaniste renommé vivant en Espagne depuis 1978 s’exprime dans El Diario.es. Pour lui, l’absence totale de condamnation du franquisme, par celui que le Caudillo a mis sur le trône d’Espagne, est particulièrement regrettable. Ce qu’il retient aussi contre Felipe VI, dont il aurait espéré une attitude différente de celle de son père. Revenant à Alfonso XIII – lui aussi exilé volontaire – Ian Gibson souligne le caractère plus ou moins désastreux de la trajectoire historique de cette lignée de Borbón.

En écho Ignacio Escolar, directeur et fondateur du même journal en ligne, parle carrément d’un bannissement sans honneur de celui que des gouvernements successifs ont soutenu, la presse ne faisant de son côté pas vraiment son travail. Il demande également à Felipe VI de s’expliquer quant à son silence qu’il juge complice, car la mise au jour des comptes offshore de son père a commencé il y a plus d’une année. Les mêmes erreurs qui ont conduit à l’impunité et aux abus de pouvoir de Juan Carlos de Borbón se répètent aujourd’hui avec son successeur, tranche t-il.

L’acteur et réalisateur José Sacristán, dont les propos sont rapportés par le portail de la télévision espagnole Vertele, dit ressentir une profonde colère alors qu’il tourne justement un film sur le thème de la transition démocratique. La fuite de Juan Carlos de Borbón dépasse la personne du roi et affecte l’histoire qui s’est construite autour de cette transition. Mais pour lui, la monarchie n’est pas pour l’instant remise en cause, car deux questions se posent : vers quel type de république aller et quelle personnalité, au sein de l’actuelle gauche espagnole, pourrait alors porter un changement de cette ampleur ?

Fernando Vallespín Oña, professeur de sciences politiques à l’Université Autonome de Madrid (UAM) et contributeur régulier à El País, quotidien dont l’édition numérique est le journal espagnol le plus consulté dans le monde, s’exprime à son tour en titrant sans ambiguïté « Monarquía o república », Il souligne combien est attachée au mot république la notion de libération de la dictature, ceci en référence à La Marseillaise, hymne que pour chanter il n’est pas nécessaire d’être français (sic). Or, en comparant les monarchies constitutionnelles d’Europe du Nord et des républiques telles que celle de Turquie ou de Chine, la question de la libération de la dictature prend une toute autre dimension.

Il met en évidence que les meilleures monarchies parlementaires sont, paradoxalement, les plus républicaines, soulignant qu’au-delà de l’intitulé du régime, ce qui importe est le degré de « républicanisme civique » de ses institutions et de ses acteurs. C’est dans la réalisation de la transition de l’ancien au nouveau régime qu’il faut, selon lui, chercher les raisons de la réussite des monarchies parlementaires d’Europe du Nord. Cette transition réussie car renforçant le sentiment d’appartenance à une  communauté nationale allant vers plus de souveraineté populaire et de démocratie.

Ce qui ne fut pas le cas en Espagne, mais les pays d’Europe du Nord n’avaient pas de caudillo à leur tête avant de devenir des monarchies parlementaires. Selon Fernando Vallespín Oña, la question est maintenant de savoir si, aux multiples sources de divisions existant dans le pays, il faut ajouter celle de la forme de l’État. L’objectif principal devant être plutôt de développer un républicanisme civique aujourd’hui déficient. D’où, par voie de conséquences, une exigence accrue envers la monarchie. Plus les Espagnols se diviseront, plus il s’éloigneront de l’idéal démocratique auquel il leur est légitime d’aspirer.

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