Quand les agriculteurs veulent vivre et non pas seulement… survivre !

Alain Howiller sur la situation compliquée des agriculteurs. La situation pandémique conduit bon nombre d’agriculteurs vers le gouffre.

Champ de pommes de terre... exploité dans des conditions difficiles. Foto: Klankbeeld / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Alain Howiller) – Peut-être auraient-ils mérité, eux aussi, qu’on les applaudisse pour la manière avec laquelle ils ont fait face à la crise sanitaire : ni les fermetures de frontières qui ont pesé sur le recrutement de leurs saisonniers, ni les restrictions de circulation qui ont pesé sur les consommateurs, ni la fermeture des marchés, des restaurants qui ont pesé sur leurs résultats, ni le retour de la grippe aviaire ni le dérèglement climatique, n’ont entravé leur objectif de nourrir les Français. Et les voilà, paysans d’aujourd’hui, qui, faute de pouvoir défendre leur image dans le Salon de l’Agriculture supprimé cette année en raison de la Covid-19, doivent à nouveau défiler et manifester devant les préfectures et les ministères. Il s’agissait pour eux d’attirer, une fois de plus, l’attention sur leurs difficultés que deux chiffres symbolisent trop bien : la situation a conduit, en 2020, à 1.500 dépôts de bilan et à deux suicides par jour dans la communauté agricole.

Plus de 5 millions de téléspectateurs. – Plus de 5 millions de téléspectateurs, un record qui a placé France 2 en tête des audiences télés le soir de la diffusion, ont pu se confronter au « malaise paysan » en regardant le documentaire « Nous Paysans ». 90 minutes de diffusion en « prime time » retraçant l’histoire de paysans majoritaires, en France, il y a un siècle, tellement minoritaires maintenant : ils sont 400.000 aujourd’hui et leur nombre, divisé par quatre en 40 ans, diminue de 1,5 à 2% chaque année ! En Alsace, on compte un peu plus de 6.500 familles dans le secteur agricole et le nombre d’actifs (un peu plus de 10.000) a diminué de 15% en 15 ans dans la région. La diminution du nombre d’agriculteurs est constante, d’abord pour des raisons économiques (pouvoir d’achat, revenus insuffisants). Mais la diminution est aussi liée à la pénibilité d’une activité qui n’est pas seulement physique (ou psychologique), mais qui subit l’impact d’insuffisances en matière de cadre de vie : manque de relations, isolement, déficit en services publics, localisation et niveau des écoles, problèmes d’infrastructures, ratées dans la digitalisation et absence de réseaux téléphoniques.

« Plus qu’une activité professionnelle, être agriculteur est un vrai choix de vie qui permet de servir la société en fournissant aux hommes de la nourriture de qualité en faisant vivre des territoires ruraux », c’est la définition que les auteurs d’un sondage commandé par la Chambre d’Agriculture d’Alsace(1) proposent aux consommateurs.

Plus qu’un métier, un choix de vie. – Comment résister à l’envie de compléter la définition par cette citation du comédien-réalisateur Guillaume Canet qui commentait le documentaire « Nous Paysans » : « Les agriculteurs », disait-il dans une interview, « ont l’image de gens qui se plaignent et qui ne sont jamais contents. Alors que, en même temps, ils gagnent moins de 350 euros par mois en bossant 14 heures par jour ! » Certes, les « grands céréaliers » servis l’année dernière par des cours mondiaux de matière premières (blé, maïs, colza, soja) font l’exception dans cette approche : ils n’entrent pas dans ce type de moyenne à propos de laquelle on peut relever que un tiers des agriculteurs gagnaient, selon les dernières statistiques, moins de 835 euros par mois pour 55 heures de travail par mois ! La « Fédération Nationale des Exploitants Agricoles (FNSEA) », principal syndicat professionnel du secteur d’activité, citait le cas des éleveurs de bovins dont le revenu annuel moyen était de 10.500 euros en 2019 et qui, l’année dernière, a fondu de 25%.

Obtenir un juste prix en tenant compte des coûts de production est, dans ces conditions, un objectif d’autant plus essentiel que les revendications de redressement des prix formulés par les agriculteurs lors des négociations annuelles avec la grande distribution, n’ont pas abouties, ce qui devrait conduire les pouvoirs publics à relancer des négociations d’ici à la fin du mois. Si les représentants de la grande distribution ont avancé les risques économiques et sociaux (chômage, baisse du pouvoir d’achat) pour refuser la plupart des demandes, ils ont déjà oublié que, grâce (!) aux confinements, le chiffre d’affaires des enseignes alimentaires a progressé de près de 7% en 2020 !

Ceux qui vont disparaître ! – « Si la grande distribution, les industriels (ndlr : de l’agro-alimentaire) ne changent pas, ce sont les agriculteurs qui vont disparaître », a rappelé Julien Denormandie, le Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation. Dernière suggestion pour forcer la grande distribution à revoir à la hausse la rémunération des agriculteurs : comptant sur la pression psychologique, une députe a proposé de faire figurer sur les produits alimentaires, un indice qui indiquerait la manière dont le vendeur aurait intégré un juste prix pour l’agriculteur.

Pourtant, les sondages montrent que les consommateurs sont moins obnubilés par la recherche de prix bas : selon un sondage CSA, 7% des Français (contre 11% précédemment) se décident en fonction des prix et selon le sondage de la Chambre d’Agriculture d’Alsace, 49% des consommateurs accepteraient des hausses de l’ordre de +5%, contre 39% favorables à +10% et 9% à +15%. S’il faut rester prudent quant à la manière dont seraient réellement acceptées ces hausses, on peut constater que l’idée d’une révision des prix ne provoque apparemment pas de levée de boucliers. Il reste qu’en l’état, l’étude de la Chambre d’Agriculture d’Alsace le souligne bien, le souci d’obtenir un juste prix intégrant la réalité de leurs coûts de production, est déterminant chez la plupart des agriculteurs.

Une étude de la Chambre d’Agriculture d’Alsace. – 71% des agriculteurs alsaciens citent les coûts de production comme principale difficulté à affronter. Suivent dans l’ordre des difficultés, la règlementation environnementale sanitaire (pour 62% d’entre eux), le climat (57%), les charges d’exploitation (52%), la diminution des aides (32%), le coût du travail (25%), la concurrence étrangère (14%), le recrutement (8%). Parmi les craintes exprimées, figure la réforme de la PAC européenne qui doit être mise en œuvre d’ici au 1er Janvier 2023 et qui pourrait réduire les aides versées par l’Union Européenne.

Malgré leurs difficultés, malgré les critiques répétées et injustifiées dont ils estiment être les victimes (62% se plaignent de « l’agribashing » perpétré selon eux par les médias), les 2/3 des agriculteurs interrogés sur le plan national, gardent le moral. Ils pensent avoir fait des efforts : ventes en circuits courts, réduction des pesticides, agriculture raisonnée, marche accélérée vers le « bio »). Ils entendent continuer dans la voie des progrès. Dès lors, ils pensent qu’une grande partie des attaques qu’ils essuient sont liées, pour reprendre cette expression de Frédéric Bierry, le Président de la « Collectivité Européenne d’Alsace » et de l’ADIRA, au fait « qu’ils ont du mal à faire savoir leur savoir-faire ». Réduire les problèmes d’image aux difficultés de communication est sans doute réducteur : c’est tout autant le fait d’attaquer, souvent sans discernement, ceux qui veulent vivre de leur travail, sans se contenter de simplement survivre !

(1) « Etude d’image de l’agriculture en Alsace » – par l’e.d. Institut pour la Chambre d’Agriculture d’Alsace et l’ADIRA (Agence de Développement d’Alsace).

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