Quand les risques de conflits poussent…

… à la hausse des dépenses d'armement !

Le monde dépense bien plus pour ces "jouets à tuer" que pur combattre la pauvreté, l'inégalité, la maladie... Foto: Sgt. 1st Class Osvaldo Sanchez / Wikimedia Commons / PD

(Alain Howiller) – « Historien » fébrile du quotidien, le journaliste est confronté, par la force des choses, à une actualité sans cesse changeante, même si certains sujets se révèlent des carrefours répétitifs. Certains de ces thèmes régulièrement évoqués – qu’on appelle des « marronniers » – sont heureux, d’autres le sont beaucoup moins, frappés par des maladies aussi anciennes que le monde !Parmi ces derniers, il y a la rencontre annuelle avec le rapport du « SIPRI – Stockholm International Peace Research Institut » (Institut International de Recherche sur la Paix) qui vient d’être publié. Depuis 1966, l’institut, installé comme son nom l’indique, à Stockholm, étudie la paix dans le monde, l’évolution des conflits, la production et les ventes d’armes, le désarmement. Distingué par l’UNESCO pour ses recherches et son action, le SIPRI fait autorité. D’entrée, le rapport note que, en 2018, pour la deuxième année consécutive, les budgets consacrés à la défense ont augmenté dans le monde. L’augmentation a été de 2,6% – l’équivalent de 2,1 fois le PIB mondial (!), contre +1,1% en 2017.

« Les cinq plus grands dépensiers en 2018 – Etats-Unis, Chine, Arabie Saoudite, Inde et France – concentrent à eux seuls 60% des dépenses militaires mondiales », note le rapport qui souligne : « les dépenses militaires des Etats-Unis augmentent pour la première fois depuis 2010, tandis que celles de la Chine augmentent pour la 24ème année consécutive ». Il n’est pas étonnant, dès lors que les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la France mais aussi l’Allemagne, le Royaume Uni, l’Italie (comme l’étonnante Israël !) figurent dans le « Top 10 » des principaux pays exportateurs d’armes et que… l’Arabie Saoudite soit le principal importateur d’armes du monde ! Et le SIPRI de noter à ce propos : « En 2018, les Etats-Unis et la Chine concentrent la moitié des dépenses militaires mondiales… L’augmentation des dépenses aux Etats-Unis est imputable à la mise en œuvre dès 2017 de nouveaux programmes d’achats d’armement sous l’administration Trump… Depuis 2013, la Chine alloue chaque année 1,9% de son PIB aux forces armées. » Quasiment le pourcentage obsessionnel que Donald Trump assène régulièrement aux membres de l’OTAN comme objectif à atteindre, la principale visée par la diatribe trumpienne étant l’Allemagne qui ne consacre que 1,37% de son PIB aux dépenses militaires.

Toujours le poids de l’annexion de la Crimée ! – Depuis l’annexion de la Crimée et la situation au Donbass, les pays de ce qu’on appelle encore – par commodité – les « pays de l’Est » ont pris conscience de la menace que peut représenter la Russie de Vladimir Poutine. La plupart d’entre eux ont fortement augmenté leurs dépenses militaires : +8,9% en Pologne en 2018, +21% en Ukraine (qui a rétabli le service militaire obligatoire dès 2014), +24% en Lettonie, Lituanie (qui a rétabli le service militaire obligatoire en 2015), en Bulgarie ou en Roumanie !

« Les augmentations en Europe centrale et orientale sont dues en grande partie aux sentiments grandissants d’une menace russe. Et ce ne sont pas les propos du Président russe tenus le 9 Mai à Moscou lors du 74ème anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie qui vont rassurer les voisins de la Fédération Russe : devant des milliers de soldats réunis sur la Place Rouge, il s’est engagé à garantir la puissance militaire de son pays. « Les leçons de la dernière guerre sont valables une fois encore. Nous avons tout fait et nous ferons tout ce qui est nécessaire pour garantir les hautes capacités de nos forces armées » , a-t-il déclaré. Le type de déclaration qui avait conduit la Suède, en 2014, à rétablir, elle aussi, le service militaire obligatoire : les incursions incessantes de sous-marins russes dans les eaux territoriales suédoises avaient amené le pays à prendre sa décision alors même que Jean-Yves Le Drian, alors Ministre de la défense, s’était plaint des « provocations » de l’aviation russe qui ne cessait de violer l’espace aérien français !

Ce que coûtent les armes à chaque citoyen ! – A la veille des élections européennes, l’électeur ne peut manquer de prendre le dossier « défense » en considération. 70 ans après sa création, l’OTAN, qui a survécu au Pacte de Varsovie, a décidé d’augmenter le nombre de ses bateaux de surveillance en Mer Noire, dans le secteur du détroit de Kertch, près de la Crimée : une preuve de plus de la méfiance que suscite la Russie de Poutine, même si, comme le soulignait un rapport parlementaire français : « Personne ne veut la guerre, mais on n’est pas à l’abri d’un incident qui pourrait très vite dégénérer ! »(1)

« L’Europe (notamment orientale) n’est pas la seule région du globe à avoir vu augmenter ses dépenses militaires, il en a été de même en Amérique du Sud (où le… Brésil a joué la vedette dépensière), au Proche et au Moyen Orient (Oman, Koweït, Liban, Jordanie, Israël, l’Arabie Saoudite ayant diminué ses dépenses en 2018), en Asie, en Océanie. Seule l’Afrique a vu – pour la quatrième année consécutive – diminuer ses dépenses en matière de défense. L’institut de Stockholm a chiffré l’impact des dépenses sur les citoyens : « l’équivalent de 239 dollars par personne ! », les dépenses des seuls membres de l’OTAN représentant 53% des dépenses mondiales !

Quand la Chine arraisonne une frégate française. – Certes, comme le relevait Jean-Michel Bezat (dans Le Monde) : « Conflits larvés entre pays asiatiques, tensions sino-américaines, sentiment grandissant d’une menace russe en Europe de l’Est : tout concourt à gonfler les dépenses d’équipement ou les crédits aux opérations extérieures… », même si, « …plus d’armement, plus d’armes ne signifie pas plus de guerres. » Un incident récent illustre ce qui peut arriver en Asie : des tensions entre la France et la Chine Populaire sont nées de mesures prises par la marine de guerre chinoise intervenant sur une frégate de surveillance française qui avait franchi le détroit de Taïwan. Les bâtiments chinois voulaient contrôler et identifier le navire avant de lui intimer l’ordre de quitter la zone. « Les tensions entre les pays en Asie ainsi qu’entre la Chine et les Etats-Unis sont les principaux moteurs de la croissance continue des dépenses militaires dans la région », souligne le rapport du SIPRI.

Ce qu’on appelle les « complexes militaro-industriels » (environ 160.000 salariés directs ou indirects en France, 140.000 environ en Allemagne), au delà de sa mission de protection et « d’arme diplomatique », jouent un rôle croissant dans l’économie des pays producteurs et si, aujourd’hui, leur action interpelle souvent sur les destinations légitimes ou non de leurs exportations, elles ne peuvent occulter un triste bilan, trop souvent oublié, celui des victimes militaires ou civils. Ce n’est pas demain qu’avec le poète Paul Verlaine on soufflera : « les armes ont tu leurs ordres ! »

(1) Voir eurojournalist.eu du 16.11.2018

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