Quand on ne sait pas sur qui taper, on tape sur n’importe qui

A l'occasion des 71 ans du terrible décret du Gauleiter Wagner, déclenchant le drame des «malgré-nous», Bernard Rodenstein a tapé sur la table. Malheureusement en se trompant un peu de cible.

L'ancien président de la FEFA André Bord a grandement contribué à la réconciliation franco-allemande. Il ne mérite pas les attaques du pasteur Bernard Rodenstein - puisqu'il est décédé en 2013, il ne peut même pas se défendre. Foto: © Kai Littmann

(KL) – Le pasteur Bernard Rodenstein de Colmar, Président fondateur et d’honneur de l’association des Pupilles de la Nation, orphelins de guerre, d’Alsace, mène un combat des plus honorifiques – celui de la reconnaissance des ophelins de la guerre, des pupilles de la France, privés brutalement d’un parent pendant la IIe Guerre Mondiale.

Bernard Rodenstein a lui-même perdu un oncle qui fut incorporé de force dans l’armée allemande et qui mourait sur le front de l’Est. C’est dramatique et on comprend le deuil des familles concernées. Dans une lettre ouverte publié à l’occasion des 71 ans du terrible décret du Gauleiter Wagner qui forçait les jeunes Alsaciens et Mosellans à rejoindre les rangs de la Wehrmacht, sous peine de repressailles sur les familles de ces jeunes, Rodenstein dénonce l’indifférence des institutions par rapport à ce drame, et le fait que plus de 70 ans plus tard, le sort d’environ 10 000 «malgré-nous» n’a toujours pas pu être élucidé. Le terme officiel qui désigne ces disparus est «mélangé à la terre», ce qui doit être insupportable pour les familles.

Dans sa lettre (étrangement disparue sur le site où elle avait été publiée, autrement, on aurait proposé un lien), Bernard Rodenstein souligne, à juste titre, que les «malgré-nous» étaient des victimes d’un crime de guerre, ce que les plus hauts représentants de l’état français ont reconnu depuis longtemps. Mais est-ce qu’il fallait taper dans cette lettre sur le défunt ministre André Bord et la Fondation Entente Franco-Allemande (FEFA) que Bord présidait pendant plus de 20 ans et qui depuis 1981, a dédommagé plus de 80.000 «malgré-nous» alsaciens et mosellans ? Dans sa lettre, Rodenstein parle des «agissements» de la FEFA, comme si cette dernière s’adonnait à des affaires occultes. Le contraire est vrai.

Mis à part le fait qu’il n’est pas exactement très urbain de faire des reproches à un défunt qui logiquement ne peut plus se défendre, Rodenstein se trompe d’adresse. Bien sûr, pendant longtemps, Rodenstein a demandé des sommes importantes à la FEFA pour son association, mais il se trouve que les demandes faites ne cadrent pas avec la mission statutaire de cette fondation strasbourgoise qui, avec l’aval de l’ensemble des autorités compétentes, avait changé de statuts il y a quelques années, lorsque les dédommagements destinés aux «malgré-nous» se faisaient de plus en plus rares puisque les destinataires de ce dédommagement mouraient.

Depuis, la FEFA a pour mission de soutenir des projets franco-allemands et de se porter partenaire de ce genre de projet, surtout dans le domaine du travail social, culturel, pour la jeunesse et pour le marché de l’emploi. Des soutiens pour le fonctionnement des associations comme les Pupilles de France ne sont pas autorisés par les statuts. Pour le dire ainsi – lorsque la phase du dédommagement des «malgré-nous» touchait à sa fin, la fondation a cessé de travailler uniquement avec le regard tourné vers le passé, mais en travaillant sur les perspectives franco-allemandes. Ainsi, la FEFA est partenaire, entre autres, de plusieurs projets qui facilitent l’entrée de jeunes chercheurs d’emploi français sur le marché de l’emploi allemand.

Si on comprend aisément la quête de Bernard Rodenstein pour des fonds permettant le fonctionnement de son association, il faut également comprendre que ce soient d’autres institutions que la FEFA qui devraient en assumer les frais. On comprend aussi la peine des familles concernées, surtout face à une indifférence généralisée, mais il faut admettre que le monde continue à tourner et que d’autres sujets prennent peu à peu le dessus. La FEFA, en tout cas, n’est en rien responsable des griefs de Bernard Rodenstein, et on a du mal à s’imaginer que Rodenstein préfère réellement qu’une fondation comme la FEFA investisse les peu de moyens à sa disposition dans un travail qui ne profiterait qu’aux déscendants d’une partie des victimes de la guerre, au lieu d’investir cet argent pour l’avenir des jeunes français et allemands.

Aujourd’hui, plus de 70 ans après les crimes atroces des Nazis, la plupart des gens considèrent que la réconciliation franco-allemande a bel et bien eu lieu. Il suffit de regarder les commémorations de la Ière Guerre Mondiale, occasion à laquelle autant la politique française et allemande se sont félicités d’avoir su surmonter le poids de l’histoire. La FEFA, mandaté par les deux états de s’occuper du dédommagement des «malgré-nous» (financé par l’état allemand sur la base d’un accord de 1981), a rempli sa mission historique. Son président défunt André Bord, certes un personnage pas facile, a largement contribué à cette réconciliation. Lui faire des reproches sur sa tombe, n’est ni particulièrement élégant, ni justifié. La décision de soutenir l’association de Bernard Rodenstein appartient uniquement à l’état – insinuer des «agissements» de cette fondation qui joue un rôle important dans les relations franco-allemandes d’aujourd’hui et de demain, n’est non seulement peu élégant, mais carrément contre-productif, tout comme le reproche que les victimes juives de cette époque noire seraient «mieux» dédommagés que les victimes que représente Bernard Rodenstein. Organiser une «concurrence» entre les différentes catégories de victimes du nazisme, c’est un manque de respect vis-à-vis des autres victimes du nazisme.

Personne ne peut contester l’importance du travail de mémoire de Bernard Rodenstein. Mais personne ne peut contester l’important travail accompli par la FEFA dans le passé et pas non plus l’importance de son travail d’aujourd’hui. L’équipe du nouveau Président de la FEFA Jean-Georges Mandon travaille quotidiennement sur des projets qui visent à faciliter l’avenir transfrontalier dans la région franco-allemande. Quelle meilleure façon pour surmonter les blessures du passé que d’organiser un avenir positif pour la jeunesse des deux pays ? On ne peut pas s’empêcher de penser que le pasteur Bernard Rodenstein se soit trompé de cible. Avec toute la compréhension pour sa frustration – cette frustration ne peut pas justifier de telles attaques sur l’organisation ayant accompli une telle mission historique comme le dédommagement de plus de 80 000 «malgré-nous».

5 Kommentare zu Quand on ne sait pas sur qui taper, on tape sur n’importe qui

  1. Bernard Rodenstein // 28. August 2014 um 15:07 // Antworten

    Je ne connais pas l’auteur de la réplique à ma lettre ouverte , Monsieur Kai Littmann, mais qu’importe. Ses propos sont la copie conforme des représentants de la FEFA tout au long de ces dernières années où aurait pu, aurait du, s’imposer un dialogue constructif entre les orphelins de guerre d’incorporés de guerre et la FEFA, en charge de l’indemnisation des incorporés de force, de leurs ascendants et descendants. Ce dialogue s’est avéré impossible. Hélas. Pour quelles raisons? Parce que souhaité trop tardivement. Les orphelins de guerre, fils et filles de “morts pour la France”, n’ont commencé à s’indigner du sort qui leur était fait qu’à partir des deux décrets de Juillet 2000 et de Juillet 2004, instituant des indemnités très conséquentes pour des catégories très particulières d’orphelins de guerre de la seconde guerre mondiale. Il s’agissait alors d’accorder une reconnaissance particulière et financière aux enfants juifs dont les parents sont morts en camps de concentration et aux orphelins de déportés politiques morts dans les camps. Nous avons été choqués par cette discrimination car les deux décrets font référence à la souffrance des enfants ainsi privés de père ou de mère. Comment aurions nous pu accepter que la souffrance des orphelins de parents victimes d’exécutions sommaires, de bombardements, de l’incorporation de force, c’est à dire de “la déportation militaire” soit considérée comme moindre? Le scandale de l’inégalité de traitement est devenu patent et insupportable. L’Etat n’a toujours pas consenti à réviser sa politique en la matière, tout en reconnaissant très officiellement qu’une injustice a été créée par les deux décrets sus visés. En ce qui concerne la FEFA, nous n’avons pas demandé qu’elle se substitue à l’Etat. Nous avons commencé par demander à être reçus par feu André BORD, ancien président. Il y a eu refus de sa part. Puis il m’a été interdit, à son instigation, d’assister à l’assemblée générale de la Fondation dans les locaux de l’ENA, à Strasbourg. Il a fini par nous recevoir une première fois. Il a monopolisé la parole pendant une heure pour faire son éloge personnel et nous a déclaré, au final, que les orphelins de guerre ne relevaient pas de la responsabilité de la FEFA. Il y eut plus tard un autre rendez vous au siège de la FEFA au cours duquel nous nous sommes fait traités de “drackspatza” (salopards), nous les orphelins de guerre, parce que nous demandions de l’argent à sa Fondation. Les ponts étaient définitivement rompus et la tentative de reprise d’un dialogue nouveau avec le nouveau président a également tourné court.
    Qu’avons nous eu “le culot” de demander? Un montant forfaitaire de 500.000 euros pour venir en aide à des orphelins de guerre, fils et filles d’incorporés de force, morts ou portés disparus, aujourd’hui âgés et souvent dans des situations financières désastreuses, en grande partie en raison du non retour du père de la guerre. Nous avons voulu, également payer à nos adhérents qui le peuvent et qui le souhaitent encore, payer un premier voyage sur le lieu de mémoire où leur parent est tombé et dont les traces ont pu être trouvées à partir de 1991 seulement, après la chute du mur de Berlin. Toutes demandes irrecevables pour ces messieurs et ces dames qui annuellement consomment la bagatelle de 700.000 euros pour leurs frais de fonctionnement. Nous avons osé demandé cette somme de 500.000 euros forfaitaires car nous savons qu’il reste plus de 6 millions d’euros dans les caisses de la FEFA et que beaucoup d’argent est allé dans des poches où il n’aurait jamais du se trouver. Quelqu’un, un jour, révèlera-t-il les générosités de feu André BORD qui m’a dit droit dans le visage qu’il a “arrosé tout le monde” avec cet argent?? Associations sportives, culturelles, politiques, caritatives, etc, sans aucun lien avec l’incorporation de force! ( je dis bien l’incorporation de force qui est un crime de guerre et je dénonce l’usage inapproprié du vocable “malgré nous” qui ne vise que les alsaciens mosellans, citoyens officiels du Reich en 1914) . Rien que sur ce plan de la terminologie, la FEFA porte une lourde responsabilité , celle d’avoir laissé croire si longtemps que les alsaciens et mosellans , au cours des deux grandes guerres mondiales avaient le même statut juridique, ce qui est complètement faux et qui induit en erreur
    la majeure partie des citoyens français!). Mais les mensonges ne s’arrêtent pas là. Je sais de source sûre que M. Bord affichait en privé un mépris considérable pour les incorporés de force qui, selon lui étaient des faibles; Ils ont accepté de partir. Lui, le véritable héros, a pu passer en France libre car son père a payé un réseau de passeurs! Tous n’avaient qu’à faire comme lui. Tiens donc, il n’était ni marié ni père de famille. La belle affaire, donc, pour donner des leçons à des hommes qui ont cherché à protéger les leurs contre la vengeance nazie qui s’est exercée en de nombreux endroits en alsace et en Moselle. Quel meilleur gestionnaire des fonds d’indemnisation versés à la France par l’Allemagne avait-on pu trouver? Il est mort, certes, mais ses œuvres, bonnes et mauvaises lui survivent. C’est ainsi. Je l’accuse de ne pas avoir été d’une parfaite partialité. Sinon, comment expliquer le montant impressionnant des sommes versées par l’Allemagne et qui sont retournées en Allemagne, à Dresde, à Berlin, à Francfort et ailleurs?
    Que les thuriféraires de M. BORD arrêtent de nous chanter leurs litanies et de se protéger derrière son catafalque! la gestion des fonds versés à la FEFA et couverte par une forme d’omerta administrative est scandaleuse à mes yeux. Celles et ceux qui ont eu à faire à la Fondation dans le cadre récent de l’indemnisation symbolique et très tardive des femmes du RAD en savent quelque chose. L’excuse des subventions accordées aujourd’hui à des projets franco-allemands s’élevant à 400.000 euros par an, soit presque moitié moins que les frais de fonctionnement(sic) de l’organisme gestionnaire, est un paravent qui cache mal la réalité lamentable des choses. ” la vérité vaincra” est-il écrit dans l’Evangile de St. Jean. Permettez à un pasteur de se référer à ses sources et à ne pas craindre outre mesure les menaces humaines qui sont plus souvent des signes de faiblesse que de force réelle ancrée dans l’humble vérité. Je fais allusion, évidemment, aux courriers de feu André BORD me menaçant de poursuites judiciaires. Je ne suis pas le seul. il a été coutumier du fait. Qu’avait-il donc à cacher de si important? Ses liens privilégiés avec les courants gaullistes et conservateurs de part et d’autre du Rhin? Secrets de polichinelle. Par exemple, 300.000 euros remis au conseiller général de Neuf- Brisach, à l’époque, pour la construction d’une maison de retraite dans son canton? Jalousie? Non! Révolte!

  2. Bernard Rodenstein // 29. August 2014 um 14:09 // Antworten

    Cher Monsieur, si vous vous étiez donné la peine de lire mon papier en entier, vous auriez compris que non seulement mon oncle a été tué, mais aussi que mon père a été porté disparu en juillet 1944 sur le front de l’EST . mes grands parents avaient deux enfants, deux fils. les deux ont été victimes de la barbarie nazie. Je sais de quoi je parle. Contrairement à de nombreux blablateurs qui s’essuient les pieds sur nos histoires particulières et qui devraient avoir la décence de se faire discrets.

  3. Contrairement à ce qu’on peut lire dans cet article, le texte de Bernard Rodenstein est toujours visible, sur le site de l’APOGA notamment, dans “actualité”. Sur ce site chacun pourra trouver également de nombreuses autres renseignements concernant, notamment, l’incorporation de force des Français, dans l’armée nazie. Cette incorporation qui fut bien un crime de guerre, pour lequel l’Allemagne a payé et versé une grosse somme d’argent qui n’a pas profité, c’est certain, aux principales victimes.

  4. Je viens de lire cet article de M. K. LITTMANN “quand on ne sait pas sur qui taper, on tape sur n’importe qui ”
    Successeur de M. Bernard RODENSTEIN à la tête de l’APOGA, je ne peux lire ce genre d’infamie sans réagir, aussi je pense que le titre attribué à cet article convient exactement à son auteur, car ce qu’il écrit est la réplique exacte de ce qui nous fut e&pondu par le président de la FEFA et par un de ses administrateurs lors d’une rencontre avec cette instance.
    Est ce qu’avant de prendre sa plume critique, M. LITTMANN s’est documenté sur la raison de la création de cette FEFA, sur la destination des fonds alloués par l’Allemagne à la France en 1981? Il est bien précisé que cet argent devait être distribué aux incorporés de force, à leurs ascendants et descendants, en dédommagement des atrocités subies, et non comme indiqué dans cet article pour des projets de partenariats franco allemand, ce qui permettrait en quelque sorte à l’Allemagne de récupérer ses deniers. Ce n’est pas en changeant de statuts que l’on justifie une autre destination à de l’argent ayant déjà une attribution. Si on modifie l’objet premier d’une telle entente (FEFA), on devrait dissoudre celle-ci et recréer une autre instance à but et fonds différents, toujours est ‘il que des sommes ont été distribuées à des organismes de tout genre, sans rapport avec l’objectif initial.
    Comme le pasteur RODENSTEIN qui a toujours eut pour objectif la défense d’une cause juste, la démarche de l’APOGA se résumait à une demande de versement d’une somme forfaitaire pour venir en aide à certains orphelins d’incorporés de force de 39/45 qui ont des difficultés financières dues à leur parcours de vie sans l’aide d’un père, enlevé aux familles par la folie nazie, et pour accorder une aide pour un premier voyage sur la tombe de leur parent disparu.
    Dans sa réponse M. RODENSTEIN précise l’objet de toutes ses démarches pour faire réparer une injustice causée par l’Etat français, de par les décrets de 2000 et de 2004, créant une différence entre des orphelins qui ont subi les mêmes douleurs et les mêmes peines.
    Ce n’était certes pas à la FEFA de corriger l’erreur commise par nos gouvernants, mais de là à rejeter toute demande de notre association, qui représente les victimes doublement lésées, en des termes qui frisent l’inconvenance, il y a une marge, surtout quand on est sensé gérer les deniers qui devaient réparer, tant que faire se peut, les blessures morales causées à des incorporés de force et à leurs parents.
    Vous dites vous même que M. André BORD n’était pas un personnage facile, à la lecture de certaines de ses prises de positions, j’en conviens. J’appellerai cela de la dictature. Il est décédé, paix à son âme(comme on a coutume de dire), mais ses actes justes ou injustes restent et nous orphelins de guerre ne pouvons cautionner certains de ces faits.
    Claude JOCHEM
    Président de l’APOGA

  5. Monsieur JOCHEM, je ne vais pas commenter vos insultes que j’attribue volontiers à l’émotion qui a certainement guidé votre plume. Vous me reprochez de pas avoir été documenté pour écrire cette article, mais vous devriez savoir en tant qu’expert de ce dossier que le changement des statuts de la FEFA avait été avalisé par l’ensemble des instances compétentes des deux états. De quel droit décrétez-vous que la Fondation devrait donc être dissoute pour continuer sous un autre nom ?
    Si je peux comprendre vos griefs, je comprends aussi la décision d’orienter l’action de la FEFA vers l’avenir, vers le travail franco-allemand en faveur des jeunes dans les deux pays, sur l’ancrage de l’amitié franco-allemande. Je persiste à penser que vos requêtes, parfaitement compréhensibles et justifiées, devraient être adressées à d’autres institutions compétentes et non à une organisation qui, selon les voeux des deux états, a aujourd’hui des fonctions bien différentes.
    Et je reste persuadé que l’on peut mener ce débat sans insultes personnelles.
    Respectueusement, Kai Littmann

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